Vous avez dit décomplexé?

 

 

                 Le mot "décomplexé" semble de nos jours avoir le vent en poupe comme on dit.  

 

                  On parle, par exemple avec Nicolas Sarkozy,  de "droite décomplexée" et de "patronat décomplexé" avec la politique "toujours plus" du MEDEF martelée par Pierre Gattaz son président, le fils d'Yvon lui-même ancien "patron des patrons" du temps du CNPF. Une affaire de transmission et d'héritage familial semble-t-il.

 

                    Ce n'est pas le cas de la psychanalyse actuellement. Elle est loin d'avoir le vent en poupe, elle qui vient quelque peu, en réintroduisant la dimension tragique, divisée et aporétique de l'Humain,  risquer de "casser la baraque" à une idéologie néolibérale triomphante de gestion de l'humain (sa santé, son éducation, sa pensée)  comme un agent ou un produit d'entreprise.

 

                   L'humain dans le génie de sa sensibilité et de sa division interne résultant de sa prise dans le symbolique, tend à être pris par l'idéologie libérale "mondialisée" pour de la faiblesse improductive au regard de l'image idéale d'un "battant", "homo économicus" des temps modernes. Dans ces conditions, la tendance n'est-elle pas de zapper la dimension humaine de cet Homme ainsi réduit à une simple "ressource humaine". Une ressource dès lors évaluable dans le cadre de la logique du profit et de l'argent roi mis aux commandes imaginaires de toute action et motivation. L'expression n'est-elle pas bien trouvée et parlante, non?

 


 

                   

                     S'il est vrai que l'humain, être de désir et de langage, par le jeu interne dynamique et conflictualisé de sa fragilité même, est et se constitue une richesse interne, ce n'est pas forcément au premier degré du mot et au ras des pâquerettes qu'on est obligé de prendre cette "richesse" pour en faire un objet d'avidité. L'Homme est un être de désir, mais le désir qui le vertèbre psychiquement ne se réduit pas pauvrement à de l'avidité ou de la cupidité comme moteurs de sa vie selon la marchandisation mondialisée de notre civilisation. Heureusement. C'est bien plus "complexe" et ... riche de variété.

 

                    Pourtant "complexe" et donc "décomplexé" renvoient bien à la théorie psychanalytique dont ils sont issus. 

 

                    C'est de mythe et de complexe d’Oedipe qu'il s'agit.  Un mythe et un complexe qui servent de formalisation métaphorique à la structuration divisée de la personnalité, comme effet de sa prise dans la symbolisation par le langage, selon ses différents modes : psychotiques, pervers ou névrotiques.

 

                        Le "complexe" d’Oedipe, pour vous la faire simple, voire simpliste, c'est que le fils se croit pouvoir rester dans la position imaginaire d'être puis d'avoir ce  qui manque à sa mère ( son phallus dit-on), après avoir repéré qu'elle désire ailleurs ... du côté du père. Du coup, c'est cette place du père vécue comme obstacle à satisfaire son désir qu'il veut. Et il la veut en éliminant, tuant, le père.  Mais ce n'est pas si simple parce que, par ailleurs dans le meilleur des cas, à la fois il aime et admire aussi ce père tout en craignant qu'il ne lui coupe ... l'herbe sous les pieds avec ... sa prétention à être, sans faille le héros tout puissant de sa mère et celle ... d'avoir tout ce qu'il faut pour cela. Bref, pour l'enfant, ça devient ... "complexe" en effet. Il est ... partagé. En conflit avec lui-même, affaibli dans ses illusions et prétentions d'être tout ou d'avoir tout ce qu'il faut. Il doit en passer par le réel de la "castration" comme on dit et ça le nécessite ( par un effet symbolique d'articulation métaphorique) à s'orienter dans un désir d'avenir, d'advenir aussi.   

 

                   L'enfant est ainsi entré dans ce qu'on appelle la névrose infantile, et du coup, cette névrose étant plus ou moins résolue par la suite, il restera dans cette structure névrotique en tant qu'être divisé et conflictualisé, affecté du ressenti d'un manque à être fondamental qui le pousse, par désir, à chercher toujours ailleurs et toujours plus...  Bref, sauf s'il s'imagine toujours complet d'une position perverse ou psychotique de toute puissance, identifié ainsi à ce qu'on appelle le "phallus imaginaire" support de toute sorte d'illusions groupales sectaires et totalisantes, il n'est pas vraiment totalement "décomplexé". Car il a en lui comme une faille au cœur, comme un manque à être qui le leste. Qui le leste mais qui le dynamise aussi et le pousse à cheminer et créer.

                                  

                     Et c'est en ce sens, que pour la plupart d'entre nous qui ne sommes ni pervers, ni psychotiques, être dans le mode névrotique ne signifie pas qu'on est affecté d'une grave névrose invalidante, mais qu'on est affecté d'une certaine insuffisance ressentie qui nous pousse au désir. On peut aussi proclamer le contraire par fanfaronnade sur fond de perversité de celui qui veut dominer les autres en leur renvoyant, pour les intimider et les inhiber, sa propre castration déniée à titre d'illusion d'idéal narcissique qu'on appelle le Moi Idéal. C'est l'identification du Moi Idéal de chacun au Moi Idéal incarné par l'idéologie ou le ... Leader Guru qui constitue une foule organisée sur un mode totalitaire ou sectaire...

 

                      En ce sens donc, être décomplexé, va du côté du désir, de ce qu'on voudrait bien,  mais aussi du retour illusoire à un état d'avant l'entrée dans la conflictualité, la division et le manque à être ressentis.

 

                       C'est à dire encore que ça renvoie plus ou moins à l'état de toute puissance imaginaire dans lequel se trouvait (de façon mythique seulement) l'enfant quand il prétendait être ce qui pouvait combler le désir de sa mère en se mettant à la place d'un père éliminé dont il n'aurait pas respecté la loi d'interdit.

 

                           Alors bien sûr être décomplexé ou promettre à ceux qui vous suivraient pour cela de le devenir aussi, comme vous, décomplexés, c'est ... tentant. Et c'est donc "vendeur" comme on dit. Ça peut alors "payer" pour rassembler. C'est un peu quand même du boniment et ce qu'on appelait, avant la pub, et d'une position plus proche de la vérité moins élégante de ses racines infantiles, de la "réclame". L'enfant aussi, depuis l'écart dans lequel il se sent, réclamait....Et c'est la non réponse directe à cette "réclame" qui l'a poussé à grandir.

 

                           Cette notion d'envie de se trouver, enfin pour le coup totalement décomplexé, hors des limitations de la position névrotique, est bien sur permanente chez le névrosé. Mais c'est du rêve. Car, comme il est dans la névrose, je veux dire dans la structure névrotique, affecté, affaibli par le manque à être, le conflit et la division de tout un chacun qui a à se débrouiller avec ce "malheur banal" et commun, ça lui fait envie. Mais ça lui fait bien sur peur à la fois. Mais si cette peur est atténuée, voire éliminée parce que son envie se trouve portée, renforcée et légitimée par le corps social dans lequel il est pris, ou par le "guru" ou le chef qui l'incarne : alors "banco" il ne reste que l'envie. Enfin libre et sans culpabilité.  Le paradis perdu est de nouveau à portée de main...Un "sauveur" sachant y faire avec la  part de crédulité infantile de chacun, nous le donne. Notre Moi renforcé, pourra à nouveau, comme il l'exige, être maître en son logis. Notre salaire pourra bien sans complexe être triplé, voire plus par amputation de la moitié, voire plus, de celui des autres, qu'importe quand le chacun pour soi l'emporte dans cette seule froide logique asociale de "battant".

 

                              Si ces questions résonnent en vous et si vous désirez du coup poursuivre un peu, elles renvoient à ce que j'ai voulu expliciter dans mon article "L'illusion totalitaire : une passion de l'instrumentalité" (1) comme rêve idéologique de sortir de la névrose en retrouvant la toute puissance perdue par identification hypnotique au dictateur ou au guru en régime totalitaire ou sectaire. Elles renvoient aussi à la religion comme "névrose collective" ainsi que le disait Freud. 

 

                              Elles renvoient enfin à la tentation de la perversion chez le névrosé comme dans mon article sur Mlle Else (2).

 

 

                                                                                                             Michel Berlin

 

                                                                                                             déc. 2014

 

 

 

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