Introduction à l'amour

Photo MB - Lisbonne : Rodin l'éternel printemps
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Introduction à la question de l'amour


 

 

 

Introduction à la question de l’Amour

                                   (Intervention au séminaire sur l’amour d’Anita Gueydan et Bernard Brunie en Avignon)

 

                  Pour introduire cette question de l’Amour mise au travail cette année, je suis allé consulter l’article sur l’amour dans le  « dictionnaire de la psychanalyse » Larousse, qui se réfère à Lacan. Selon ce dictionnaire il s’agit d’un « sentiment d’attachement d’un être pour un autre, souvent profond voire violent, mais dont l’analyse montre qu’il peut être marqué d’ambivalence et surtout qu’il n’exclut pas le narcissisme ».

 

                 La conceptualisation de ce qu’il en est de l’amour et de son autre face la haine, est à référer chez Freud aux deux périodes de la théorie des pulsions et de la conception de l’appareil psychique dont 1920 marque le tournant.

 

                Déjà, dans l’article consacré à Dora (1905) après les études sur l’hystérie (1895) et l’interprétation des rêves (1900) qu’il a pour but de compléter, Freud rappelle que les symptômes des névrosés proviennent « d’anciennes expériences d’amour ». Il commence à l’occasion de cette cure à mieux percevoir l’importance et définir la nature du transfert comme émergence de « l’amour refoulé » et de « sentiments inconscients », non plus seulement comme obstacle mais comme voie de l’analyse. Ainsi également par l’analyse de l’homme au rats (1909) se révèle dans le transfert qualifié par Freud dans ce texte de « voie douloureuse » la composante négative de l’amour refoulé qu‘est la haine, en l’occurrence ici, celle pour le père. Parlant de l’homme aux rats, Freud écrit : « il lui fallait se convaincre par la voie douloureuse du transfert, que ses rapports avec son père impliquaient véritablement ses sentiments inconscients ». Et un peu plus loin  « son comportement pendant qu’il me faisait part de ses injures était celui d’un désespéré {…} il s’éloignait par crainte d’être frappé par moi {…}.  « Dans cette école de souffrance que fut le transfert pour ce patient, il acquit peu à peu la conviction (…) de l’existence inconsciente de sa haine pour son père ».

 

                 Si  plus tard Lacan va définir le transfert comme « la vérité de l’amour » et  la « mise en acte de la réalité sexuelle de l’inconscient », Freud le place d’emblée sous le signe de l’amour. Ainsi dans l’analyse littéraire qu’il fait dans « Délire et rêve de la Gradiva de Jensen » Freud présente le symptôme névrotique comme « une pauvre issue » un « dégradé » de l’amour refoulé.

 

              Il écrit (p. 239-240) :


          « C’est par une récidive amoureuse que se produit la guérison, à condition d’englober sous le nom d’amour toutes les composantes si variées de l’instinct sexuel, et cette récidive est indispensable car les symptômes contre lesquels le traitement est entrepris ne sont que des résidus de combats antérieurs contre le refoulement ou le retour du refoulé ; ils ne peuvent être résolus et balayés que par une nouvelle marée montante de la même passion. Toute cure psychanalytique est une tentative de libérer l’amour refoulé, amour refoulé ayant trouvé dans le symptôme, pour pauvre issue, un compromis. Nous saisirons mieux encore la conformité complète avec les processus de guérison décrits par le romancier dans sa Gradiva en ajoutant que, au cours de la psychothérapie analytique, la passion réveillée, qu’elle soit l’amour ou la haine, prend ainsi chaque fois pour objet la personne du médecin».

 

                A ce moment donc, le symptôme apparaît comme un compromis entre l’amour en souffrance, en souffrance sous l’effet du refoulement, et l’amour libéré soit une certaine libération par l’amour. C’est du refoulement de l’amour dans sa composante érotique et sensuelle, composante qu’il contient donc comme nous allons y revenir, que le névrosé tombe malade et qu’il ne se dédommage de ce refoulement que par une jouissance substitutive : le symptôme, à titre de compromis et de pauvre issue.

 

                Et c’est par dépassement d’un certain narcissisme, par ce qu’il appelle « une récidive amoureuse » et encore « la voie douloureuse du transfert » , c’est à dire que c’est par l’entrée dans une souffrance d’aimer, puis sa traversée, en rupture avec la complétude d’une certaine suffisance narcissique que s’opère ce que Lacan  qualifiera de « changement de discours », et que s’obtient la guérison.

 

                 Après sa réélaboration de 1920-1921, dans « le Moi et le ça », « Au-delà du principe de plaisir » et  « Psychologie collective et analyse du Moi » (Essais de psychanalyse – Petite Bibliothèque Payot), Freud introduit le principe d’une conception de l’appareil psychique fonctionnant selon le jeu conflictuel de deux pulsions fondamentales : Éros et Thanatos. Thanatos ressortissant en fin de compte au principe de plaisir tend par la répétition au retour du même, de l'inanimé et de l’homéostase, ce que contrarie Éros, tiré du Dieu grec de l’amour, désignant dès lors l’ensemble des pulsions de vie.

 

                   Par exemple dans le moi et le ça (1923) Freud définit Éros comme ce qui a pour but «  de compliquer la vie en rassemblant la substance vivante, éclatée en particules, dans des unités toujours plus étendues et, naturellement de la maintenir dans cet état » (XIII p. 196). Il s’agit bien d’entendre là Eros conçu comme ce qui vient compliquer la vie dans son tropisme en quelque sorte naturel vers la mort et la jouissance, en constituant des unions … toujours plus larges … qui viennent s’interposer … à l’accès au retour du même. La pulsion, on le sait, ne se boucle pas sur elle-même par le fait même de sa prise dans le symbolique chez le parlêtre dira Lacan. Le signifiant fait coupure. Un reste irréductible fait cause d’un désir « indestructible ».

 

              Faudrait-il dès lors voir dans Éros, dans l’amour, la seule force qui mène le monde et soit capable de s’opposer à Thanatos, donc à la mort et à la jouissance? Ce n’est pas si simple et une telle conception risquerait en effet de mettre de côté ce qui est de spécifiquement sexuel chez l’homme sur quoi Freud a toujours mis l’accent. Il convient de prêter attention à ce qui distingue amour et désir, amour et sexualité.

 

                   C’est ce qu’avait fait Freud dès 1910 dans « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse ». Il note la disjonction existant chez beaucoup d’hommes d’une part entre les femmes qu’ils aiment et respectent comme substituts de la mère interdite selon un courant tendre et élevé, et d’autre part entre les femmes qu’ils désirent et qu’ils baisent selon le courant sensuel et sexuel sur le modèle « rabaissé » et ainsi non interdit de la putain . « Là où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent ils ne peuvent aimer » « Ils recherchent des objets qu’ils n’aient pas besoin d’aimer afin de maintenir leur sensualité à distance de leurs objets d’amour » nous dit Freud dans ce texte. Pour eux « la femme chaste et insoupçonnable n’exerce jamais l’attrait qui l’élèverait au rang d’objet d’amour ». 


                    Ce n’est que dans la mesure où l’objet d’amour est rabaissé au rang de la putain ou de son équivalent que la sensualité peut se libérer de l’interdit (de l’inceste) et se manifester pour aboutir à des réussites sexuelles et un haut degré de plaisir ajoute-t-il. En effet il tire de cette opposition tranchée entre la mère et la putain le fait que « ce qui se présente clivé en deux termes opposés, bien souvent ne fait qu’un dans l’inconscient »

 

                     Certains autres hommes ne peuvent jamais choisir de femmes libres, mais exclusivement des femmes en relation avec un autre homme apparaissant comme « tiers lésé », à titre de condition nécessaire à l’éclosion d’une « passion amoureuse ». Dans ces cas là, l’amour n’est pas traité comme le désir. Les questions de l’amour et de la sexualité sont à traiter parallèlement voire dans certains cas séparément. En effet, Freud nous l’annonce (p.61) cette disjonction découle  du fait que, de fortes fixations infantiles inhibent, sous forme d’impuissance psychique, la réunion d’un « courant tendre » et d’un « courant sensuel », qui seule permet d’assurer un comportement amoureux parfaitement normal.  Mais poursuit-il « nous ne pouvons nous défendre de penser que le comportement amoureux de l’homme dans notre civilisation actuelle porte, dans son ensemble, le caractère de l’impuissance psychique. Le courant tendre et le courant sensuel n’ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre des êtres civilisés ».

 

                      Toujours dans une tentative d’articulation à partir de Freud de ce qu’il en est des composantes si variées de l’amour dont il parlait dans le passage précédemment cité de la Gradiva, nous allons nous pencher sur la troisième partie de cette contribution à la psychologie de la vie amoureuse qui s’intitule  « Le tabou de la virginité ». Elle est d’autant plus intéressante que c’est là que Freud y cite l’exemple littéraire de la tragédie de HEBBEL, « Judith et Holopherne » dont le tableau va faire l’objet de l’affiche du colloque de notre ACF-Voie Domitienne d’avril 98 à Perpignan.

 

                    Freud nous dit que s’il existe chez les primitifs un tabou de la virginité, au point que la défloration de la future épouse se fait par quelqu’un d’autre que le mari, c’est que « là où le primitif a posé un tabou, c’est qu’il redoute un danger (…) et que toutes ces prescriptions d’évitement trahissent une crainte essentielle à l’égard de la femme ». Faisant l’analyse de ce danger, Freud le fait apparaître comme psychique et surdéterminé. Il apparaît comme danger à éviter à la fois du côté de la menace que représente le retour  des projections agressives sexuelles de l’homme particulièrement évidentes et marquées dans ce premier coït, ainsi que l’inconnue, l’étrangeté, le mystère voire l’ennemie et le risque « d’être affaibli » ou « d’être contaminé par sa féminité » « et de se montrer ainsi incapable » que représente la femme pour l’homme. Bref l’homme craint en retour, probablement projectif, de ce premier geste agressif et intrusif : sa castration, comme le met en scène précisément le tableau où l’on voit Judith qui vient, brandissant son glaive, de décapiter Holopherne, « puisant dans son indignation la force de lui trancher la tête ».

 

                 En effet, Judith, après avoir été déflorée par ce puissant général Assyrien qui assiégeait sa ville, avait projeté de le séduire pour le perdre et se libérer ainsi en sauvant son peuple. La virginité de Judith était en effet protégée par un tabou nous dit Freud. « Jouir de ma beauté, disait-elle, c’est être frappé de délire ou de mort ». 

 

                   Freud évoque sous  un autre aspect le danger ressenti par l’homme devant le tabou de la virginité de la femme lors du premier acte sexuel. Il s’agit de la crainte de la réaction de déception de la femme découlant de sa frigidité lors de ce premier acte et du forçage de « la tendance générale de la femme à se défendre » qu’il constitue. Il évoque alors certain cas pathologique pouvant éclairer l’énigme de la frigidité féminine dans lesquels une femme, qui par ailleurs « aimait beaucoup son mari », « à chaque nouveau rapport, exprime ouvertement son hostilité envers l’homme, en l’injuriant, en levant la main sur lui, ou en le battant pour de bon. (…)alors qu’elle  « exigeait elle même le coït » et « y trouvait sans erreur possible une grande satisfaction » . Ce qui se montre, dans la pathologie, à ciel ouvert et séparé en ses deux courants comme dans les symptômes de la névrose obsessionnelle, dit Freud, se réunit de façon beaucoup plus fréquente dans la frigidité comme effet d’inhibition de l’hostilité.

 

                   Il évoque encore comme facteur de l’hostilité féminine déclenchée par la défloration, outre la douleur physique de la rupture de l’hymen, la blessure narcissique qu’entraîne « la destruction d’un organe ». Un autre facteur réside dans la difficulté pour la femme de se défaire d’une forte fixation infantile au père ou au frère tendant, pour son maintien et par la frigidité, à rendre tout substitut incapable de les supplanter en la satisfaisant. Aucun substitut ne saurait être à la hauteur du premier objet mâle auquel la femme est restée fixée.

 

                  Enfin le premier coït active chez la femme, le complexe de castration, soit dit Freud « des motions qui s’opposent surtout à la fonction et au rôle féminin » et qui font que se sentant privées de l’organe masculin envié chez l’homme, elles éprouvent de « l’amertume hostile envers l’homme » due à un sentiment d’infériorisation.  Il ajoute que si la femme dans son évolution passe par une phase qualifiée de « virile » où elle envie le garçon pour son pénis, cette phase « est plus ancienne dans l’histoire de son évolution et est plus proche du narcissisme originaire que l’amour objectal. »

 

                 Il nous faut donc maintenant examiner avec freud ce qu’il en est des rapports du narcissisme et de l’amour pour comprendre comment et pourquoi, seul l’amour dans son destin par rapport à celui des pulsions ( 1915 - renversement actif/passif, retournement sur la personne propre, refoulement, sublimation) peut prendre le caractère totalitaire de la passion et être renversé quant au contenu en se transformant en haine, ou plus communément en un mélange des deux sous forme d’ambivalence. C’est que la haine, toujours plus ou moins sous-jacente et mêlée à l’amour, accompagne l’attachement passionnel entraînant dépendance et aliénation dans une dimension qui va apparaître comme éminemment narcissique et imaginaire que Lacan appellera « hainamoration ».

 

                   Dans « Pour introduire le narcissisme », Freud indique la difficulté d’un étude directe du narcissisme qu’il va donc aborder par deux voies d’accès différentes : Une voie principale constituée par les psychoses et une autre par les maladies organiques, l’hypocondrie et la vie amoureuse.  Partant de la coupure d’avec la réalité extérieure qui apparaît dans la psychose, il parle de l’existence d’un narcissisme primaire auto-érotique, avant même la constitution du moi, à partir du constat d’un narcissisme secondaire par retrait de la libido des objets extérieurs sur le moi dans la psychose. Il note que dans la schizophrénie, le délire apparaît au détriment de la libido d’objet. « La libido retirée au monde extérieur a été apportée au moi, dit-il, si bien qu’est apparue une attitude que nous pouvons nommer narcissique ».

 

                  De là  apparaît une opposition complémentaire selon le modèle hydraulique des vases communicants entre deux sortes de libido : la libido du moi et la libido d’objet dont découle la séparation qu’il établit entre pulsions du moi et pulsions sexuelles. « Plus l’une absorbe, plus l’autre s’appauvrit » note-t-il page 83. Il y a dans la vie psychique note-t-il comme une « contrainte de sortir des frontières du narcissisme et de placer la libido sur les objets 

 

                  Partant de l’observation clinique, Freud rappelle que certains hommes, les pervers et les homosexuels « ne choisissent pas leur objet d’amour ultérieur sur le modèle de la mère, mais bien sur celui de leur propre personne ». Il distingue ainsi deux voies de choix d’objet d’amour. Le choix par étayage où l’amour qui vise « la femme qui nourrit » ou  « l’homme qui protège » s’appuie sur la satisfaction des pulsions d’autoconservation  et le choix narcissique où l’amour vise un objet sur le modèle de la personne propre. Il observe ainsi une « différence fondamentale » entre l’homme et la femme dans leur rapport au type de choix d’objet d’amour. Le choix par étayage caractérisant l’homme et le choix narcissique de plus fréquent chez la femme. Chez l’homme, dont le moi s’appauvrit au détriment de l’objet tendant à être idéalisé,  l’objet « présente la surestimation sexuelle frappante qui a bien son origine dans le narcissisme originaire de l’enfant et répond à un transfert de ce narcissisme sur l’objet sexuel ». Alors que chez la femme, « la formation des organes sexuels féminins provoque une augmentation du narcissisme originaire, défavorable à un amour d’objet régulier s’accompagnant de surestimation sexuelle ». C’est sa beauté qui est investie comme objet narcissique par la femme qui alors « se suffit à elle même ». Pour ces femmes « leur besoin, ajoute Freud, ne leur fait pas tendre à aimer, mais à être aimées, et leur plaît l’homme qui remplit cette condition ».

 

                       Il avance aussi l’idée que comme dans la démence où il y a retrait de la libido investie à l’extérieur sur l’objet, il y a une stase de la libido dans l’hypocondrie qui s’avère comme un avortement de l’investissement d’objet et du discours amoureux en ce que la libido s’est retirée sur l’organe, ainsi érogénéisé. Freud parle de l’égoïsme bien connu du malade pour qui, comme dans une rage de dent, « son âme se resserre au trou étroit de la molaire ». La plainte de l’hypocondriaque s’avère comme cette dimension haineuse de l’amour où s’inverse dans la relation d’identification narcissique la déception amoureuse et le refus de satisfaction. Le corps propre s’affirme là dans une turgescence érotique de l’investissement de ses zones ou de ses organes.

 

                      Mais pour bien montrer que tout en restant en partie lié au narcissisme, mais de façon secondaire dans le cadre d’un choix par étayage,  l’amour en marque malgré tout un certain degré de cession et d’écornage: « un solide égoïsme préserve de la maladie, mais à la fin l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade, et l’on doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer, par suite de frustration » nous dit Freud. Car l’amour, dont Lacan dira qu’il est toujours réciproque, parce que narcissique en son fond, nécessite malgré tout de sortir du retrait sur le moi hypertrophié pour en passer par cette forme de manque qu’est son appauvrissement dans ce modèle hydraulique allant de l’investissement du moi à l’objet. 

 

                     Mais dans l’objet de l’amour plus ou moins surestimé et idéalisé, qui n’est pas celui du désir que la fonction de l’analyste sera de maintenir différencié de son image idéale, ne s’agit-il pas au fond que du reflet du moi, comme le fait ressortir l’extrême pathologique de la passion amoureuse : celle de la mélancolie ou celle de l’érotomanie ? En effet d’une part dans le chapitre VIII de « Psychologie collective et analyse du Moi » intitulé « État amoureux et hypnose » (Essais de psychanalyse), Freud établit un lien entre l’amour et l’hypnose.

 

                    Ne dit-on pas que l’amour rend aveugle quant aux qualités de l’objet aimé, surestimé et idéalisé, par perte d’une certaine réalité le concernant ? 

 

                   Là encore selon le fait que c’est la composante du courant sensuel qui, depuis l’œdipe, suscite le plus grand degré d’implication au regard de l’angoisse de castration et donc le refoulement, il note qu’on voit naître l’amour comme prétexte illusoire autorisant, par cette entremise, le désir d’une certaine satisfaction sexuelle. « Lorsque les tendances sensuelles se trouvent plus ou moins efficacement refoulées ou réprimées, on voit naître l’illusion que l’objet est aussi aimé sensuellement, à cause de ses qualités psychiques, alors que très souvent c’est au contraire sous l’influence du plaisir sensuel qu’il procure qu’on lui attribue ces qualités psychiques ».  En fait l’amour concerne essentiellement le moi, le narcissisme et l’identification, donc  l’aliénation imaginaire.

 

                   Ou bien l’objet aimé l’est en tant que pouvant donner de l’amour d’une position de vouloir se faire et se rendre aimable ce qui ressortit à compléter et remonter l’estime de soi et le narcissisme, au détriment de la reconnaissance du désir dans ce caractère d’ « amour véritable » qu’a le transfert dans la cure,. Car vouloir se faire aimer diffère voire s’oppose au désir de se faire reconnaître, soit de reconnaître son désir. L’un concerne le moi et l’autre le sujet de l’inconscient.

Ou bien l’objet est aimé par le moi, comme dans l’hypnose ou dans les foules, comme la projection du moi idéal perdu, en vue de récupérer ainsi ce dont il s’est appauvri en faveur de l’objet. Comme on le voit il ne s’agit là que d’un prêté pour un rendu au niveau narcissique.

 

                      C’est pourquoi la psychanalyse ne voit en somme que satisfaction narcissique derrière la tromperie du soi-disant mérite altruiste le plus beau de l’amour génital. « On aime l’objet nous dit Freud pour les perfections qu’on souhaite à son propre moi et on cherche par ce détour à satisfaire son propre narcissisme ». Toutefois c’est bien du refoulement de la sexualité en faveur de l’amour que s’institue le lien social dans les collectivités où chacun aime l’autre comme son « prochain ». Mais ce prochain n’est jamais qu’un reflet considéré comme l’alter-égo narcissique de son moi idéal identifié à celui du chef ou de l’idéologie. On voit dès lors la forte composante imaginaire narcissique de ce lien social institué du refoulement du sujet. Et on voit là en quoi la psychanalyse et le désir, ex-sistés et empêcheurs de se mirer en rond dans une sorte d’auto-suffisance réciproque ainsi renforcée, gardent leur caractère subversif pour toute organisation collective.

 

 

                     D’ailleurs, dans la séance du 21 février 1962 de son séminaire consacré à l’identification Lacan parlant du sujet de préciser : « Le sujet dont il s’agit, celui dont nous suivons la trace est le sujet du désir et non pas le sujet de l’amour pour la simple raison qu’on n’est pas sujet de l’amour ; on est ordinairement, on est normalement sa victime, c’est tout à fait différent ».

 

                     Même si c’est par le changement opéré par l’amour que la jouissance peut condescendre au désir comme le dira aussi Lacan, dans le séminaire suivant sur l’angoisse. Toujours dans l’identification, lors de la même séance de février 1962, il poursuit son parallèle entre désir et amour ainsi : «  Je désire  l’autre comme désirant et non pas comme me désirant, car c’est moi qui désire, et qui désire le désir … (…)  un désir qui ne saurait être désir de moi que si je m’aime dans l’autre, autrement dit si c’est moi que j’aime. Mais alors j’abandonne le désir. Ce que je suis en train d’accentuer, c’est cette limite, cette frontière qui sépare le désir de l’amour ». Là comme on peut l’entrevoir, ça laisse à désirer et il reste à dire.

 

 

 

 

                                                                                                                                              Michel Berlin




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