Réponse à M. Luciani


Cher Monsieur, Cher collègue,

 

 

           Quelques éléments d’information.

 

           Vous lancez un nouveau sujet sur le bienfondé d'une fonction d'écoute psychologique dans l'institution éducative. Ayant jadis été quelque temps chargé de fonctions de psychologue solaire comme j'en ai témoigné ici dans quelques messages, je ne peux que vous suivre et vous approuver dans ce souhait.

 

            Mais ceci, pourtant très simple et très utile selon le bons sens, supposerait pourtant à la fois un véritable désir institutionnel et quelques conditions « douloureuses » qui en permettraient vraiment la réalisation..

 

            Vous dites " J'ai du mal à comprendre certains messages sur la place des psychologues dans les établissements scolaires, pour la bonne raison qu'en 35 ans de carrière de prof ayant connu 6 lycées différents je n'en ai jamais vu un seul. J'entends parler de la "résistance des profs ou de l'administration" (??).  M. Le Vaguerèse et une collègue conseillère d’orientation-psychologue vous ont donné leur réponse.

 

           Des psychologues tout court, vous n'en avez pas vu et pour cause !

 

 

           J'ai exercé pour ma part plus de trente ans dans l'éducation nationale dont plus de vingt-cinq ans comme psychologue. Au début dans un secteur de GAPP (Groupes d'aides psycho-pédagogiques) d'écoles primaires et maternelles, puis les GAPP ayant disparu pour cause de trop grande extériorité et autonomie, comme psychologue clinicien en CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique) . 

 

          Je vais essayer de prendre plus rapidement et grossièrement les choses au ras des pâquerettes de leurs multiples déterminants, historiquement intriqués dans ce qui constitue un nouage symptomatique particulièrement fixé, sur l’évolution duquel je reste pessimiste.

 

           A un niveau institutionnel et groupal l'exercice de la psychologie dans l'éducation nationale a  beaucoup de mal à s'émanciper du collage historique de sa mise en tutelle scolaire et des luttes de pouvoir et de territoires (primaire, secondaire etc.) des différents corps enseignants, de leur hiérarchie et de leurs appareils syndicaux, comme effets de structure. L'exercice d'une fonction de psychologue y est arrivé après-guerre avec le plan Langevin-Wallon. Mais comme beaucoup d'autres réformes, par inertie du système et par départ et remplacement des initiateurs, les psychologues une fois recrutés initialement à partir de tous les ordres d’enseignement et sortis de formation, n'ont pas trouvé des conditions d'inscription administrative leur donnant cette existence  et identité « à côté » nécessaire à l’exercice de leurs nouvelles fonctions par rapport à leurs différents corps d'origine. Ceci pour asseoir institutionnellement le sens et la légitimité de leur place différente et la dégager du pouvoir de la hiérarchie des autres disciplines, incompétente en la matière.

 

          De fait, l'institution et les corps qui la constituent n’ayant pas pu donner leur véritable place de psychologue aux psychologues celle-ci, ainsi quasi refoulée dans sa différence d’avec le corps enseignant de ses origines, non seulement n’apparaît pas, mais surtout n'opère pas. Et quand elle opère, elle tend à être rabattue sur le terrain de ses origines et des compétences de la hiérarchie qui le contrôle et qui, comme à l’armée, ne veut voir aucune tête dépasser de l’unie-forme.

 

          A un autre niveau, celui de l'effet de colle de tout groupe (identifications aux leaders et à l’idéologie de l’esprit de corps qui assure la cohésion), bien connu des écoles de psychanalyse qui en principe essayent de l'éviter par exemple par le travail en cartel et la rotation des fonctions, la différence professionnelle enseignant / psychologue et donc la séparation de leurs corps sur ce qui est vécu d'en haut à la fois par les hiérarchies ministérielles et académiques et les appareils syndicaux concurrents  comme un même territoire de pouvoir, a dès lors toujours posé problème. A l'image d'un Moi qui voudrait rester maître en son logis rejetant la division subjective, le territoire de l'Ecole a, tout au moins pour ce qui concerne les psychologues dits « scolaires », du mal à se diviser pour faire place à une fonction psy différenciée.

 

           Cet exercice est donc resté compartimenté selon les différents ordres d'enseignements puisque  la spécificité professionnelle de l'exercice de la psychologie par rapport à celui de la pédagogie et de l'enseignement n'est pas vraiment reconnue ni inscrite dans la structure institutionnelle.

 

           Dès lors, dans le secondaire et le supérieur, il y a "le corps" des conseillers d'orientation-psychologues qui ont, en tant que fonctionnaires de l'éducation nationale, statut, hiérarchie quelque peu décentrée dans les CIO et titre de psychologue, mais dont les fonctions de psychologue semblent effectivement encore méconnues au profit de celle d'orientation et peut être, ça reste à voir, peu demandées dans l'institution même, que ce soit par les jeunes, les familles, les enseignants et les personnels médico-sociaux. Il est vrai que majoritairement, la formation initiale et complémentaire des conseillers d’orientations psychologues n’a pas vraiment évolué vers la psychologie clinique et la psychanalyse, alors que la proportion des cliniciens est beaucoup plus grande chez les « anciens » psychologues scolaires comme ce fut mon cas. Nombreux d’entre nous sont rentrés dans la fonction enseignante alors qu’ils avaient déjà un DESS de psychologie clinique et ont du faire un passage obligatoire en tant qu’auxiliaires d’au moins trois ans d’enseignement effectif en classe. D’autres, étaient déjà instituteurs ou prof et ont été détachés deux ou trois ans en fac pour obtenir au moins leur licence de psycho et le Diplôme d’État de Psychologie Scolaire à licence +1 (qui a longtemps été un simple DU). Par la suite, pour se sentir à la hauteur et parce qu’ils n’acceptent pas que l’éducation nationale exige une formation au rabais pour ses psychologues afin de mieux les subordonner et les profiler, ils ont utilisé, comme ce fut mon cas, leur temps de loisir pour poursuivre leur formation en fac : maîtrise et DESS de psychologie clinique et pathologique,  DEA, ou Doctorats, ou formations dans les écoles de psychanalyse etc.

 

             Pour ce qui concerne les enfants de l'école primaire et de la maternelle, il y a donc les psychologues dits "scolaires" qui, n'ayant pas de "corps" propres sont contradictoirement psychologues par leur titre selon la loi de 1985 et les fonctions qui en découlent dans l’usage professionnel dudit titre. Mais ils sont et restent instituteurs ou professeurs d'école sur le plan de leur recrutement, de leur statut administratif, de leur … salaire et sur le plan de leur subordination aux "petits" chefs locaux de la pédagogie, les inspecteurs de l'éducation nationale, pourtant incompétents en exercice de la psychologie.

 

            Si bien qu'il y a un glissement de sens et un détournement symbolique de place, de fonction et de démarches qui s'est opéré.  Ce qui aurait pu être inscrit comme des fonctions de psychologue en milieu scolaire est resté officiellement et avec une résistance jusqu'à présent insurmontable à toute demande et revendication de régularisation, inscrit comme une des spécialisations enseignantes. Les psychologues sont donc administrativement et hiérarchiquement "traités" et "dirigés" comme des enseignants spécialisés exerçant des fonctions pédagogiques. Leur notation par exemple est dite «pédagogique» et effectuée par des pédagogues chefs n’ayant aucune formation et bien souvent aucune autre connaissance et à fortiori pratique en psychologie que l'information très psychopédagogique et partielle qu'en donnent les textes administratifs.

 

            De cette place profilée d'enseignants chargés de fonctions correspondantes par les enseignants-chefs que sont les inspecteurs, la place de psychologue, le sens, la démarche et l'éthique correspondants (par exemple, la confidentialité des paroles entendues, la demande et son analyse, l'espace de déploiement de la subjectivité, la démarche consultative des familles voire des enfants et des jeunes placés en position de sujets, la demande des équipes et son analyse) est dès lors vécue comme déplacée voire transgressive au regard de celle d'agent d'un pouvoir autoritaire d'expertises, d'orientations et de renseignements par délivrance de savoirs extérieurs sur l’intime. Ces fonctions sur consultation et demande et non pas sur prescription administrative écornent quelque peu le pouvoir institutionnel. Elle lui paraissent de ce fait relever du seul secteur privé libéral.  D'où conflit.

          Les diverses politiques de l'éducation nationale se sont toujours farouchement opposées à la prise en compte de la différence professionnelle enseignants et psychologue pour inscrire une « ex-timité » des corps professionnels propre à marquer symboliquement leur différence et au-delà un espace officiel dans l'institution éducative pour la prise en compte singulière, intime et confidentielle, et le travail non médicalisé ni pédagogisé de la subjectivité. Une écoute qui simplement "porte la parole" avec les conséquences de travail psychique que l'on sait au niveau du désir.

 

          Par ailleurs, quel sens, autre que celui d'un détournement scolarisant "maison", donner au fait  que l'éducation nationale reste à l'heure actuelle et malgré la protestation historique des personnels concernés dans le cadre de leurs syndicats de psychologues, la seule institution à ne recruter ses psychologues qu'au SEIN du corps enseignant et qu'avec un diplôme "maison" inférieur aux 3ème cycle universitaires fixés par la loi de 85 pour tous les autres psychologues?

 

          Les psychologues du Syndicat des Psychologues de l’Education Nationale (le SPEN) depuis 1975 essaient de faire lever cet injuste et stupide paradoxe. J’ai été jadis secrétaire national et même pour un temps secrétaire général adjoint de ce syndicat. Nous avons du supporter de nous faire accuser de traîtres séparatistes catégoriels quand nous l’avons crée en quittant à l’époque la FEN (Fédération de l’Education Nationale). Car la FEN qui recevait les Assistantes Sociales, les Infirmières, les Conseillers d’éducation, les médecins scolaires etc. etc. ne voulait pas accueillir un syndicat de psychologues en son sein. Parce que d’une part le Syndicat des Instituteurs s’y opposait farouchement, lui qui voulait que les psychologues restent instituteurs pour continuer à les syndiquer et grossir ses rangs contre son rival le SNES (Syndicat national des Enseignements Secondaires). Celui-ci, le SNES n’en voulait pas non plus d’un syndicat de psychologues de la FEN , parce qu’il ne voulait pas perdre les conseillers d’orientation qu'il syndiquait. Pareil pour le SGEN (Syndicat Général de l’Éducation Nationale) et les autres.

 

            Les choses sont restées ainsi bloquées et aucune "volonté " politique n’a jamais pu surmonter cela pour organiser comme le demandent les psychologues un service de psychologie de la maternelle à l’université, différencié logiquement, non pas par ordres d’enseignements, mais par démarches et références psychologiques (cliniques, cognitives, systémiques,sociales) dans lequel les situations et les demandes seraient ventilées. Une distribution non pas en fonction des "territoires" scolaires (maternelle, collège, lycée, fac), mais en fonction de la nature et des orientations spécialisées des psychologues à qui elles seraient adressées. C’est moins débile et plus cohérent, si l’on admet et reconnaît qu’exercer la psychologie est une profession à part entière.

 

            Je lisais l'autre jour sur le site du ministère de l'éducation nationale un rapport de l'inspection générale ( Rapport CARRE je crois) déplorant que « les enseignants chargés de psychologie scolaire » se mettent à part (comme si, désobéissants et galopins, ils ne voulaient en faire qu’à leur tête et hors hiérarchie) pour recevoir enfants et familles A LEUR DEMANDE, sans attendre de s'inscrire dans les prescriptions directoriales et de pilotage du conseil des "maîtres" et de l'équipe éducative, pour déterminer la nature, la durée, la fréquence,  des "aides spécialisées" à apporter aux enfants dans le cadre des réseaux d'aide. Là aussi il s'agit de planifier, « protocoloriser à tour de bras », évaluer, prescrire de l’extérieur et d’une place de prétendu savoir et d’autorité, des mesures y compris psychologiques considérées comme "spécialisations éducatives" et donc "obligatoires" dont les sujets (parlêtres pour Lacan) ainsi dépossédés de ce qu'ils ont à faire advenir DOIVENT être les ... éléments administrés. Or, en psychologie clinique d’orientation psychanalytique on sait bien que ça ne peut pas marcher comme ça. Il y faut un autre cadre, une autre démarche parce que ça a un autre sens et que le psychisme, divisé et conflictualisé, y est perçu avec une autre organisation que celle du seul Moi. Et cette autre démarche s'appuie sur LE TRAVAIL DANS ET PAR LA DEMANDE du "consultant". Comme si donner la place à l'énonciation reconstructrice du désir d'un autre en le faisant sortir du coup d'une position de celui dont on parle ou pour qui on décide, ne pouvait se faire en service public et court-circuitait de manière offensante à réprimer la bureaucratie hiérarchique...

             Exit alors la parole constituante du sujet et le libre choix par le psychologue des méthodes, démarches et références "autres" de sa "discipline" ... propre. Une discipline qui ne peut, sauf à s’y perdre, prendre comme le caméléon la couleur du secteur psychiatrique, éducatif, social  ou judiciaire dans lequel elle a à prendre sa place propre. Une discipline s'exerçant d'une Autre place que celle de docteur, de "maître" ou de « bon samaritain » avec des logiques correspondantes et des traitements médicaux, pédagogiques, rééducatifs, sociaux ou … cognitivo-comportementalistes forcés.

 

              Voilà, je n’ai pas eu le temps de faire plus court et plus « léger », mais déjà vous pourrez peut-être vous faire une idée un peu plus précise des enjeux et des résistances. Restent naturellement comme partout ailleurs les résistances communes à la division du psychisme et à l’inconscient qui égratignent quelque peu, c’est bien connu depuis Freud, le confort illusoire de la sécurité et des certitudes inhérentes à la maîtrise et à son administration .

 

                                                                                         Bien cordialement à vous.

 

                                                                                                                                                 Michel Berlin


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