Des psychologues sous voile scolaire?


 

 

DES PSYCHOLOGUES SOUS VOILE SCOLAIRE DANS L’ECOLE LAÏQUE?

  (Article Publié dans « le journal du SPEN N° 4 - Septembre- Octobre 1994)

 

 

 

La reconnaissance de fait de la profession de psychologue a trouvé en 1985 une forme légale. Les réflexions et discussions menées, dès le début des années 80, par le SPEN dans le cadre de l'Association Nationale des Organisations de Psychologues (ANOP) ont permis cette légalisation. Ainsi, l'article 44 de la loi 85-772 du 25 juillet 85 garantit désormais au public la possibilité de s'adresser à des psychologues d'un haut niveau universitaire de qualification  à qui est réservé l'usage professionnel de ce titre.

 

Comme le montrent les débats parlementaires précédant son vote, la loi visait à réserver ce titre aux seuls titulaires d'un diplôme universitaire de 3ème cycle en psychologie (DESS ou DEA + stage). Il s'agissait d'harmoniser la profession en évitant, notamment dans le secteur public de l'éducation nationale, l'instauration d'une psychologie de second ordre pratiquée par des sous-psychologues.

 

Mais probablement sous la pression ultérieure de pouvoirs occultes et du corps des inspecteurs qui tient le cabinet du ministre et la Direction des Écoles, l'éducation nationale réussit à contourner la loi pour ses propres psychologues. En effet, on ne peut que constater que ces groupes de pression sont à la fois fermés au risque d'une psychologie qui ne serait pas "scolaire" et à celui de psychologues venus de l'extérieur qui ne seraient plus des "collègues" leur "appartenant" et restant sous leur pouvoir.

 

Ainsi, pour l’Éducation Nationale tout spécialement, furent créés deux sous-diplômes  "maison" qui ne sont pas des diplômes universitaires de 3ème cycle en psychologie et qui n'en donnent pas l'équivalence universitaire. Le Diplôme d'Etat de Psychologie Scolaire (DEPS) réservé aux enseignants du 1er degré est préparé en un an seulement après la licence dans les IUFM comme une "formation de maîtres" et donc comme une spécialisation enseignante. Le Diplôme de Conseiller d'Orientation-Psychologue (DECOP) préparé en deux ans après la licence dans des instituts spécifiques. Il n’est pas un diplôme universitaire de troisième cycle. Ces deux diplômes et les logiques dérogatoires d'un exercice maison de la psychologie qu'ils représentent sont condamnés et rejetés par toute la profession. Par requête n° 152294 du 24 septembre 93 le SPEN a demandé au Conseil d'Etat le retrait, pour non conformité à la loi, du DEPS et du DECOP de la liste des diplômes de haut niveau universitaire conférant le titre de psychologue.

 

Ainsi, par la mise en dérive d'une loi qui tendait à garantir l'usage d'un haut niveau universitaire de compétences au public, les psychologues "scolaires" peuvent-ils continuer d'être scolarisés et "bridés" dans leur rôle et leur autonomie technique en étant  exclusivement recrutés et maintenus dans le corps des instituteurs ou des professeurs d'écoles. Et c'est dans le cadre inapproprié et détourné du statut professionnel d'enseignant qu'ils sont néanmoins prétendus pouvoir exercer des fonctions de psychologue.  Fonctions voulues à la fois découler de l'usage professionnel de ce titre tout en restant annexées en tant que psychologie dite scolaire au champ et  au   territoire de la  pédagogie  et à son   mode  forcé d'administration.

 

Malgré la loi, malgré leurs pratiques de psychologue et la formation aux DESS et DEA qu'ils se donnent majoritairement, les psychologues de l'enseignement du 1er degré sont toujours statutairement considérés et administrativement gérés comme des "enseignants spécialisés en psychologie scolaire". Ce paradoxe institutionnel tend à restreindre et dénaturer les pratiques des psychologues dans l'école pour les profiler au terrain de compétence et au mode de pensée et de rapports humains administratifs et dirigistes de leurs tutelles enseignantes.

 

Ainsi, un pouvoir omnipotent qui semble continuer de vouloir faire sa loi au ministère quels que soient les régimes politiques, peut-il faire écrire par F. BAYROU le 27 juin dernier en réponse à une question écrite de M. Bruno Bourg-Broc (N°16128) portant sur ses engagements et en reprise mot à mot des écrits de MM. JOSPIN et LANG, "qu'une expérience pédagogique a toujours été considérée comme nécessaire pour exercer les fonctions de psychologue scolaire" et que "cette exigence implique que les psychologues scolaires soient des enseignants du premier degré à qui une formation spécifique est apportée" et que "La création d'un corps nouveau de fonctionnaires de l'éducation nationale n'est pas nécessaire pour répondre aux besoins de la psychologie scolaire". Pour lui, la psychologie scolaire est bien la forme spécifiquement dénaturée et "voilée" d'une autre psychologie.

 

Comme on le voit, cette exigence protectionniste infondée n'est que prétexte à fermeture de l'institution sur elle-même pour la protéger du bénéfice de toute différence et de la soumission à la loi commune en matière d'exercice de la psychologie. Pour les psychologues, comme pour ceux qui les consultent quotidiennement au sujet de leurs problèmes humains personnels, il est évident qu'il n'y a ni forme scolaire du psychisme, ni sous-branche disciplinaire "scolaire" justifiant la constitution de psychologues et de psychologie à part.

 

Il n'y a aucune raison d'intérêt général  pour que les psychologues dits scolaires soient désormais les seuls psychologues de France détournés dans le statut inadéquat d'une autre profession que la leur avec un recrutement et une formation au rabais et à part au regard de tous les psychologues exerçant dans les autres secteurs. Le sens de cette situation singulière ne manque pas de faire question sur ce qu'il en est du rapport de méfiante fermeture des administrateurs du territoire de l'école élémentaire publique à la dimension psychologique de l'humain et à la prise en compte psychologique de l'enfant en souffrance et en difficulté d'être derrière l'élève en échec, en désintérêt ou en révolte.

 

.Que fait-on à l'école de la difficulté de vivre des enfants et du cadre psychologique qui pourrait prendre en compte et en charge cet enfant ou ce jeune en souffrance dans tout élève en difficulté?

 

Tout comme une école à deux vitesses une psychologie à deux vitesses est inacceptable dans notre État de droit démocratique où l'on sait bien que la place accordée au psychologue n'est que le reflet de celle accordée à l'être  humain en tant que sujet et à la dimension profonde de sa vie.

 

 

Familles, enseignants sont en droit d'attendre d’un nouveau contrat pour l’école, s’il se veut vraiment novateur, moderne et laïque, qu’il garantisse statutairement l'indépendance professionnelle de psychologues recrutés et employés comme tels, qui leur offriraient un réel service de psychologue.

 

                                                                                                                                          M. B.



[1] - Publié sans signature dans « le journal du SPEN N° 4 - Septembre- Octobre 1994


Écrire commentaire

Commentaires: 0