Notes et réflexions sur la phobie

Meduse par Caravage
Meduse par Caravage

 

           

             Ces notes de synthèse sont tirées de mes travaux sur la phobie datant d’un premier cartel de l’ECF à partir de la lecture du séminaire de Lacan « La relation d’objet » et donc à partir de la relecture faite par Lacan de l’étude de la phobie du petit Hans rapportée par Freud dans "Cinq psychanalyses".

 

  

 

              Elles sont tirées aussi de mon travail intitulé « Amélie, ou la peur du loup : un moment structural phobique » (1) présenté lors d’une communication au colloque ACF-ECF de Narbonne, puis d’un article ultérieur d’Isabelle Morin intitulé « Vivant et  féminin dans le parcours phobique » (2) et de son ouvrage "La phobie, le vivant et le féminin" (3) .

 

  

 

               Pour Freud, la phobie signe le symptôme névrotique résultant d'une forme œdipienne d’angoisse de castration. Il s'agit par là du déguisement d'un retour agressif menaçant sur l’enfant par déplacement de ses projections hostiles vis à vis d’un père rival pour une relation exclusive à la mère dans le cadre de la mise en place du complexe d’Œdipe. Freud développe ce point de vue dans l’analyse de la phobie du petit Hans. C’est bien, pour Freud, parce qu’il a peur de son père au regard du risque Œdipien en rapport angoissant avec la nouvelle poussée mal symbolisée de ses pulsions vis à vis de sa mère que le petit Hans déplace de façon phobique cette peur sur la peur des chevaux : plus précisément « la tache noire » au fond de la bouche ouverte et le « charivari » qu’ils lui font entendre.

 

  

 

                 Lacan reprend cette lecture sans l'invalider mais en articulant plus précisément la castration à la coupure qui s’opère en lui entre le sujet du manque qu'il est et son identification imaginaire pleine au phallus de la mère. Et la béance d’anéantissement qu’introduit en lui cette coupure commence à se faire ressentir quand il perçoit la castration de sa mère. Devoir alors être confronté à un Autre manquant et désirant le nécessite dans un remaniement symbolique de ce qu'il est comme sujet.  Risque imaginaire pour lui de passer d’être tout selon son identification au "phallus", à n’être plus rien, et convocation de fait à la nécessité d’une ré-articulation symbolique de ce qu’il est, par le moyen de la métaphore paternelle. De ce qu’il est comme sujet de désir, fugace et évanescent seulement, mais se perpétuant néanmoins indéfiniment de façon « indestructible », entre les mots et les lignes du rapport des signifiants.

 

 

 

               Car « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant », disait Lacan. Le sujet tire sa force de l’extrême de sa fragilité même qui est qu’il n’est donc à jamais qu’évoqué par un rapport de signifiants avec reste, sans signifiant qui le signifierait et le définirait une bonne fois pour toutes lui-même.  Le tout, en écho à sa naissance comme sujet, lors de la symbolisation primordiale où il est né d’une coupure d’avec le réel, soit de ce que l’on appelle parfois le « meurtre » de la chose par la mise en place du symbole qui vient à sa place, la re-présenter.

 

 

                 Mais s’il pare du réel en lui faisant barrage, le signifiant toutefois ne saurait le recouvrir totalement, il y a un reste, du manque donc, que Lacan formalise comme "lettre" en tant qu'objet dit "petit a". C'est à dire qu’il s’agit là aussi, pour partie, en cet « objet » manquant,  du Réel certes non symbolisé mais néanmoins articulable entre les signifiants. Un Réel, "noué" par la fonction signifiante à du symbolique,  qui cause du désir et donc du sujet, mais qui angoisse aussi d’autre part. Le langage ne peut recouvrir totalement le réel et en protéger donc le sujet parlant.

 

 

              Mais pour Lacan c’est en revanche parce que le petit Hans n’a pas assez peur de son père, soit parce que la castration dont le père réel est l’agent et le support n’a pas assez opéré, que l’objet phobique vient jouer ce rôle supplétif.

 

  

 

       Le signifiant phobique, qualifié parfois par Lacan de "signifiant à tout faire" est donc alors ce qui tente de venir faire pont sur cette béance indicible qui préfigure le réel, celui de la pulsion et de l’angoisse indicible et insensée du vide (de signifiants, de soi et en soi) à qui il faut faire barrage. Qu’il faut circonscrire et limiter pour maintenir l'écart qui "cause" la vie subjective. La fonction de la phobie comme symptôme est en effet de borner le champ du désir. L’objet phobique est le support d’une limite à l’angoisse du réel de la pulsion. Il marque donc pour le sujet comme une frontière entre un intérieur et un extérieur.

 

  

 

      Lacan a défini le rapport du sujet à son objet manquant et perdu comme dialectique, conflictuel et divisant du fait-même de l'absence d'harmonie préétablie sujet-objet et de la discordance entre objet recherché et objet trouvé. Ceci selon le ratage répétitif de la pulsion à se boucler par l'effet de coupure du symbolique d’avec le réel que cette pulsion sexuelle constitue. C’est-à-dire par l'effet de sa prise dans le signifiant, dans le symbolique qui nous humanise en propre. L'éclatement d'une phobie ou d'un passage phobique, dans ce moment de discordance fondamentale de la perte de la mère phallique à l'image de laquelle pouvait se suturer le manque de l'enfant, signe un carrefour dans la structuration de la subjectivité et ses ratés. L’orée de l’œdipe et de la nécessité de l'entrée en jeu de la fonction paternelle qu'inaugure pour l'enfant la bascule de ce moment de béance symbolique, de déception fondamentale et d'effroi vertigineux où il s'aperçoit et se ressent ne pas être le phallus, c’est-à-dire l'objet unique du désir d'une mère toute qu'il découvre castrée (non comblée par lui) et donc désirante.

 

  

 

         Pour l'enfant, perdu dans les repères subjectifs de l'écroulement d'une situation duelle enfant-phallus-mère devenue insoutenable, l'objet phobique, substitut du père comme quatrième élément et porteur du phallus, pare au pire de l'angoisse de la béance introduite et constitue un appel à l’aide pour réordonner symboliquement toute une situation de risque d'être la proie de l'Autre. Il se retrouve possiblement devant lui comme s’il s’agissait d’une gueule ouverte. Aussi, le thème de la dévoration se retrouve-il toujours dans la phobie.

 

  

 

       Le signifiant phobique prélude à la rescousse de ce rôle, métaphoriquement "vivifiant" pour la subjectivité, de père symbolique que va être amené à jouer un père réel non carencé, porteur du pénis réel et représentant de la loi symbolique des échanges, de la filiation, et de l'interdit qui, par la nomination, confère à chacun sa place. C'est lui qui va permettre la transcendance de la nécessaire coupure subjective dans la relation symbolique de castration et dans l'assomption sexuée ouvrant la perspective de recevoir le phallus symbolique sous forme d'enfant pour la petite fille et celle de devenir père avec le droit à l'usage d'une puissance limitée pour le petit garçon.

 

  

 

                  Isabelle Morin reprend et remanie plus récemment la formulation des choses de la phobie dans un ouvrage intitulé « La phobie, le vivant et le féminin ».

 

  

 

                   Pour elle, l’éclatement d’une phobie, à la fois comme comme symptôme qui prélude à la racine du développement de la structure des névroses, est aussi un moment d’évolution structurale et une modalité subjective qui vient comme solution pour se parer du Réel. La rencontre de la castration de la mère, comme rencontre avec « Le Féminin dans la mère », c’est-à-dire avec le manque phallique, avec le « pas tout », redouble et nécessite de réarticuler, en un second temps, le premier temps de la constitution traumatisante du sujet par une coupure d’avec le réel, lors de la symbolisation primordiale. Celle par où l’objet se présente comme manquant et perdu et le sujet, celui de l’inconscient, comme causé par cette coupure qui le rend sujet d’un manque.  

 

  

 

                    La phobie, nous dit-elle, met en jeu une difficulté de la symbolisation primordiale en permettant néanmoins au sujet de traiter son rapport à ce qu’il est lui-même comme réel en tant que manque (il n’y a pas de signifiant du sujet qui lui permettrait de se désigner comme totalité) et par rapport à ce qu’il est, du fait même de l’opérativité symbolique de son manque, comme « vivant » et même « vivant sexué ». Elle met une limite là où règne la pulsion. En ce sens, elle a une fonction structurale à dégager et à différencier d’autres tentatives névrotiques qui parent aussi à un défaut du symbolique pour recouvrir et barrer tout le réel en canalisant ainsi toute l’angoisse massive innommable qu’il suscite nécessairement par son intrusion traumatisante.

 

  

 

                     Ce réel se présente notamment sous l’aspect de la force pulsionnelle que le vivant et le féminin supportent et qui tend à faire intrusion dans les possibilités de traitement symbolique. La phobie surgit et se développe quand du réel pulsionnel vient faire intrusion là et quand le sujet, surpris, n’a pas encore développé la possibilité symbolique de le traiter.   Et c’est ainsi que dans la phobie, comme dans toutes les autres tentatives de parades névrotiques, ce dont on a peur et qu’on veut limiter et domestiquer, c’est manifestement de sa propre libido. Il y a structurellement, et par le propre de toute constitution humanisante même, répulsion du sujet à l’égard d’une certaine jouissance dans laquelle il serait en risque de disparaître comme sujet de désir. Comme dit Freud le désir est indestructible chez l’homme, sauf à ce qu’il perde son humanité. D’où la résistance à renoncer au désir et à se laisser engloutir et submerger par la jouissance. Mais d’un autre côté, ne pas renoncer au désir pour la jouissance suppose et implique d’affronter l’épreuve de ce qu’on appelle la castration.

 

  

 

                   Dans la phobie, l’angoisse se situe donc non pas devant le danger de perte de soutien vital mais, au contraire, devant le surgissement du désir de l’Autre, qui convoque le sujet à la dimension du désir, donc de la castration. La phobie est présente dans toutes les névroses comme cicatrice de la constitution du sujet. Elle peut être réactualisée à certaines périodes de la vie, par exemple l’adolescence ou à l’occasion de certaines rencontres, par exemple sexuelles.  Elle est ce temps de suspension devant la castration de l’Autre, activée par la rencontre avec le féminin et la castration maternelle, un moment où le sujet ne se décide pas à consentir à sa propre castration, c’est-à-dire à condescendre à devoir symboliser la perte dont il est issu et qui le cause. « Là où c’était, je doit advenir » disait Freud, et c’est volontairement que j’écris doit avec un t pour marquer que si « je est un Autre », ou tout au moins que « je » est « de l’Autre » il reste, comme une nécessité pour vivre, une devoir de vivre, à chacun de s’approprier subjectivement ce qu’il est pour pouvoir écrire alors, dans un second temps, « je dois advenir ».

 

  

 

                C’est à dire qu’il s’agit, en fin de compte comme solution bancale mais géniale tout à la fois inhérente à l’humain inséré dans le champ symbolique qui le sort du risque de sa condition animale, pour chacun d’entre nous les humains partageant la richesse douloureuse de cette humanité, de renoncer à voler pour condescendre à néanmoins avancer en boitant comme nous le disait Freud dès son au-delà du principe de plaisir. 

 

  

 

                 La phobie ouvre une voie pour faire « une aide à partir du trou », là où le sujet creuse sa place dit Isabelle Morin.

 

  

 

                 Elle ouvre, comme le dit Lacan, une voie à la solution de faire de sa castration : sujet.

 

 

 

  

 

                                                                                                              MB

 


           

 

                

            

 

 

 

(1) Michel Berlin - Amélie ou la peur du loup : un moment structural phobique

(2) Isabelle Morin - Vivant et féminin dans le parcours phobique 

(3) Isabelle Morin - La phobie, le vivant et le féminin