L'identité en question, question d'identité.


 

L’identité en question, question d’identité ?


(Communication à une réunion du pôle 3 des Forums du Champ Lacanien à Nîmes en juin 2007)

 Publié dans le mensuel de l'EPFCL

 

Michel Berlin

 

 

A l’heure où les crises identitaires, qu'elles soient de nation, de religion, de famille, de sexe…, de profession agitent, voire terrorisent le monde, à l’heure des sans-papiers, à l’heure où on affiche de façon ostentatoire le nom de la marque de son vêtement, son piercing ou son tatouage en guise identitaire de faire valoir à la fois de singularité et d’appartenance, à l’heure où des communautés, des quartiers, des villes se rassemblent et se confortent narcissiquement sous des bannières de club de foot, à l’heure des idéologies néo libérales où le signifiant monétaire l’emporte sur les valeurs humanistes, la psychanalyse est convoquée à maintenir la portée de l’éthique de son discours en soulevant et en mettant au travail la question sous la forme de laquelle se présente pour elle l’identité.

 

Aussi, c’est cette question qui sera le fil rouge des journées de l’EPFCL en décembre prochain.

 

Peut-être, comme le dit Colette Soler, en réaction d’une part à la mondialisation capitaliste qui tend à mépriser le sujet pour le réduire et l’objectiver selon une dimension "klinex" de consommateur et d’instrument de production, et en réaction d’autre part à la chute du refuge passé dans l’idéalité identificatoire et grégaire des religions dans les sociétés occidentales, on assiste de nos jours aussi bien à la montée en puissance compensatoire des identités communautaires qu’à la recherche protestataire et parfois simultanée des singularités individuelles. Comme si la mise en branle et la subversion de ce qui suturait plus ou moins le travail subjectif de la mise en question de l’identité, en découvrant une faille, celle de la coupure signifiante, réveillait le vif de cette question par la recherche, comme chez nombre d’adolescents, de ce qui pourrait mieux l’affirmer, la marquer, la consolider. On sait que l’adolescent en passe de s’affranchir d’avantage des liens de son enfance, comme le sujet entre deux signifiants qui ne peuvent le signifier, cherche parfois à inscrire sur ses habits, voire sur son corps même, une marque qui le signifierait et qui ferait son identité. Mais ce faisant, souvent, cette singularisation réussie par rapport aux générations passées n’échappe pas à l’identification collective à son groupe et à ses insignes d’idéalité.

 

Lacan a mis à mal l’idée, voire l’idéologie de l’ordre de l’imaginaire de l’identité comme unité close.  Non seulement le sujet n’est pas réduit à son Moi, mais encore le sujet n’est pas UN. Il n’a donc pas d’identité qui le totaliserait. Il n’y a pas de signifiant qui le signifierait sans perte. La finalité de la psychanalyse n’est pas de conforter le névrosé dans son narcissisme des petites différences. Elle n’est pas d’aboutir à un Moi fort et à ses effets mégalomaniaques et ségrégatifs. Elle n’est pas d’aller, comme dans les églises, l’armée, les groupes, les foules, les partis, les communautés dans le sens narcissique plus ou moins mégalo expansé de l’identification du moi individuel au moi idéal du chef, du gourou et aux valeurs et insignes qui le représentent.  Dans un deuxième temps Lacan  précise que le désir de l’analyste vise la différence absolue, la plus petite différence - qui elle ne fait pas groupe, ni idéal  – mais qui touche au signifiant pur du désir. Il s’agit de se séparer de I(a) pour aller vers le petit a.

 

Lacan a donc subverti dès le début de son enseignement le caractère fallacieux de l’identité, dans son versant imaginaire d’identique et d’unitaire, d’un sujet identifié à son moi idéal comme dans le miroir où s’anticipe dans une ligne de fiction l’unité corporelle, matrice des aliénations à venir. Il l’a subverti par sa définition princeps d’un sujet qui, étant initialement barré dès le refoulement originaire (S1- 1er appel après le cri, bejahung, 1er temps de l’aliénation) puis divisé( entre S1 et S2 où il n’est que re-présenté sans pouvoir y être totalement signifié puisqu’il y a un reste, puis 2ème appel et opération du N d P pour que S2 s’inscrive, 2ème temps de l’aliénation) n’est pas du côté de l’être, ni de quelque totalité unifiée que ce soit.  Il  ne peut qu’être représenté par un signifiant auprès d’un autre signifiant. C’est du fait que le signifiant tout seul (S1) n’équivaut à aucune signification qu’il s’articule à un autre signifiant (S2) et que de cette articulation est attendue comme une question que le sujet pose sur ce qu’il est. C'est-à-dire la question de son identité donc, que ce second signifiant fasse advenir à titre de réponse. Une réponse qui fasse savoir. Savoir sur la signification du sujet ratée par le premier.

 

Mais il ne s’agit en fait que d’une réponse substitutive et en termes signifiants qui ratent encore à faire clôture et à répondre de la question de l’être du sujet car un reste toujours demeure, irréductible à du savoir. C’est l’objet petit a, la perte par laquelle le sujet est fait manque à être. S barré écrit cette impossibilité du sujet dans le signifiant, son ex-sistence au signifiant. Or on le sait, selon Lacan, l’impossible, c’est le réel et donc S barré c’est le sujet comme réel absent du signifiant, mais qui peut néanmoins avoir une écriture. Ce réel du sujet a ainsi on le voit affaire avec la lettre…

 

Dès lors donc, autrement dit encore, de cette division, son identité fait pour le sujet question. Question sur ce qu’il est dont il attend la réponse chaque fois qu’il parle. Il attend la réponse de l’Autre, le rendant ainsi susceptible de transfert. L’Autre, trésor des signifiants, est supposé en savoir quelque chose de cette part d’identité qui échappe au sujet. Il est mis en place de sujet supposé savoir. Or, l’Autre manque en ce qu’il n’a pas le signifiant du sujet. Et le sujet va devoir faire avec ça. Il va devoir subjectiver ce manque, "faire de cette castration sujet ", c’est à dire faire de ce manque à être identité opératoire.

 

Dans les 20 dernières années de son enseignement, Lacan a évidé le concept pour conclure que l’identité arrive par le corps et non par les identifications qui n’identifient pas. Des noms, des images on peut en changer, un corps, on n’en a qu’un. Le Nom propre, qui a rapport avec le trait unaire, là où, lorsque naissent par séparation et refoulement originaire sujet et objet, un trait est prélevé sur l’objet en tant que socle de l’identification symbolique et de l’idéal du moi, eh bien ce nom propre n’est pas le Nom patronymique. C’est aussi le symptôme passant alors au rang de sinthome qui peut faire guise de Nom propre comme marque, comme lettre…. Comme ce par la singularité de quoi le sujet peut s’y reconnaître représenté en guise d’identité, ainsi qu’on le voit par exemple chez Joyce le Sinthome.

 

On se rappelle que Lacan nous dit que comme chez Joyce où le nom du père défaille à nouer les registres, c’est par la fonction de nomination qui confère un nom qui lui est propre au sujet que s’effectue une opération qui distingue et délimite en les nouant la continuation sans cela embrouillée du symbolique, du réel et de l’imaginaire.

 

On sait que c’est par la trouvaille de l’issue de son art que Joyce, le sans père qui a renié le sien tout en restant "enraciné" dans celui-ci ainsi pour lui non opératoire, est dès lors tenu d’être lui-même "chargé de père". Et  alors, comme on dit il " cherche à se faire un nom". En effet, Il chercherait par là à pallier le fait que pour lui, son père, en se démettant de sa fonction au profit de l’église, s’est démis de sa fonction paternelle en tant que fonction de transmission de la castration (le père est celui qui, désirant, fait d’un femme sa cause et son symptôme) et de sa fonction paternelle en tant que fonction de nomination à effet de nouage. 

 

Lacan ajoute qu’il existe ainsi pour Joyce, par cette démission paternelle qui lui fait carence, comme " une forclusion de fait ". Et que c’est son sinthome qui, en tant qu’il fait office de 4ème rond noue ainsi de façon borroméenne les 3 autres sans cela dénoués. En effet, on sait que Lacan repère chez "Joyce le sans corps", que depuis l’imaginaire en dérive parce que non noué de façon borroméenne au symbolique et au réel, résulte l’usage par son écriture d’une forme particulière d’ego, c’est à dire d’idée de soi comme corps. C'est-à-dire encore donc en quelque sorte de forme d’identité, de forme d’égo  qui serait pour lui  déconnectée de l’image. D’où, quand même, l’importance d’un imaginaire et donc d’une image de soi non déconnectée du symbolique pour faire étayage d’identité.

 

Ainsi par exemple, après avoir reçu une violente raclée de la part de ses camarades, à la place d’en éprouver l’effet d’un quelconque affect il vient à  Joyce la métaphore que toute l’affaire s’est évacuée "comme une pelure". Ce laisser tomber du rapport au corps, Lacan l’interprète comme la dérive d’un imaginaire qui, désarrimé du symbolique, fout le camp comme une pelure. D’où la nécessité, faute de mieux, mais peut-être faute de mieux seulement pour lui selon sa structure où il y a une « forclusion de fait », de nouage par un ego d’une autre nature que celle de l’image d’un corps entier qui serait celui qu’il a. Mais alors de nouage par un ego sinthome, correcteur du rapport imaginaire manquant, qui retient la dérive sans limite de l’imaginaire. Ceci nous renvoie aussi à la matrice de " je " et au stade du miroir, là où le premier regard de l’Autre peut ou non faire office d’une sorte de nomination dans l’assomption identitaire jubilatoire  anticipée par le sujet de son image. 

 

Il y a aussi que la fonction du nom propre, par laquelle se met en place avec le "pas tout" inhérent à la fonction symbolique, l’identité symbolique du sujet, cette fonction de  nom propre ne se réduit certes pas au patronyme comme on l’a dit. Mais elle "cible et indexe l’ex-sistence d’une identité subjective unique et infalsifiable" nous dit Colette Soler dans un travail intitulé  " Nomination et contingence " paru dans le n° 3 de notre revue de psychanalyse. Ce nom advient du trou de l’inconscient que creuse la parole depuis le refoulement originaire. Plus que pont métaphorique sur une béance comme l’opérait, seulement dans le registre symbolique, la première conception du NdP, il fait donc nœud entre R, S et I et ce faisant, au-delà du symbolique il touche au réel.

 

Si l’identité subjective diffère de l’identification en ce qu’elle n’atteint pas à l’unité ni à l’unification sur l’axe d’un moi idéal imaginaire prolongeant l’anticipation unitaire qui s’est initialement opérée dans le miroir, elle a néanmoins me semble-t-il à la fois à voir avec l’idéal du moi et le nom propre à partir du trait unaire comme marque première et originaire du sujet et aussi avec l’assomption opératoire de l’incomplétude, du ratage du même, de la différence et de la perte, bref du -1 comme effet du symbolique et comme fonction subjective

 

On retrouve là la nécessité pour le sujet de s’identifier à son symptôme, soit de se trouver une identité par lui ou encore comme nous l’avons déjà repris d’une trouvaille de Lacan  de ""faire de sa castration sujet" et de s’y retrouver ainsi dans la fonction opératoire et donc positivée de ce moins. Le sujet ne retrouverait-il pas par là un effet d’identité par sa cause de l’ordre du  S = f(a) ?

 

Voilà, je ne sais pas si j’ai pu vous en faire entendre quelque chose, car c’est parfois à la limite du dicible, comme tout ce qui concerne cet objet petit a, bord de réel.

 

J’ai tenté de brièvement poser quelques fils qui me sont venus de l’ouverture de cette question de l’identité.  

C’est à développer et peut-être à mieux articuler logiquement, ce qui n’est pas facile.                                                                                                                                            

               

                                                                                                                     Michel Berlin

 

 


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