Lettre à l'inspecteur d'académie du Calvados


 

SPEN

Commissions Statut et Contentieux

REF: IA14/MB

                                                                                                                Sathonay-Village le 26 décembre 1994

 

Monsieur XXXXXXXXXXXXXXXXX

Inspecteur d'académie du Calvados

Place de l'Europe

14208 HEROUVILLE ST CLAIR

 

OBJET : Votre note aux IEN du 21 octobre 94 relative au service des psychologues de l'éducation nationale. (M. XXX - MV/IM/10/94)

 

Monsieur l'inspecteur d'académie,

 

              Il a été porté à notre connaissance qu'accusant les psychologues scolaires d'avoir la "propension (...) à considérer leur service comme une activité libérale qui justifierait une organisation personnelle de leur emploi du temps" en échappant ainsi à la règle et à l'autorité, vous avez cru devoir, par un rappel à l'ordre, pallier le risque de dérive d'un service public dont les psychologues du SPEN vous assurent avoir le souci primordial d'efficacité, de compétence et de qualité.

 

                    Nous aimerions attirer votre attention sur les observations que cette note appelle de notre part.

 

                La situation actuelle des psychologues face à l'administration scolaire ne manque pas d'évoquer Galilée qui, accusé par l'église de mettre en cause l'ordre universel selon lequel la terre était le centre du monde, dut dire que le soleil tournait bien autour de la terre, mais que pour la commodité des calculs on était obligé de considérer l'inverse...

 

                 Qu'on le veuille ou non, les psychologues représentent le rapport d'ouverture ou de fermeture que chacun entretient avec cette autre part, maîtrisée, refoulée ou prise en compte de lui-même, qui, serait-elle en souffrance de cette prise en compte, cherche et "pousse" pourtant à advenir à se réaliser. Dès lors la place et le rapport qu'une société ou une institution accordent au psychologue révèle en fin de compte ce qu'il en est pour elles de leur rapport à l'être humain en tant que sujet.

Qu'en est-il révélé de la reconnaissance du statut du sujet par une École qui ne peut donner statut à la profession de psychologue?

 

                   La confusion des psychologues et des enseignants dans un même grade ne saurait pourtant s'étendre à celle de leurs fonctions. Paradoxalement encore enseignants au plan administratif de leur grade, les psychologues scolaires sont néanmoins psychologues au plan de leur fonction découlant du titre réservé de cette autre profession.

Le désir d'intégration et de soumission à des projets de circonscription des missions et des modalités d'action des réseaux, dans lesquels interviennent partiellement les psychologues, ne saurait tendre à rejeter, sous le rituel et facile anathème libéral, la mise en œuvre d'une aide de nature psychologique, extérieure aux aides pédagogiques et ré éducatives mises en place, qui découle pourtant réglementairement de la mission du psychologue visant en effet à des ... libérations intérieures.

 

                   Résultant des droits et devoirs du psychologue selon lesquels "la diversité des cas et des situations, celle des approches et des méthodologies impliquent pour le psychologue le choix de ses outils et de ses démarches compte tenu des règles en usage dans sa profession" (C. 90-083 du 10.4.90), l'accomplissement de cette mission suppose que reste possible l'organisation d'un cadre psychologique de libre accès consultatif des familles.

 

                    Elle ne saurait, au regard du nécessaire respect d'une éthique et logique psychologiques selon des démarches et modèles cliniques psychodynamiques choisis par le psychologue (dont font partie les examens psychologiques), "collaborer" à une logique bureaucratique de maîtrise et de refoulement des rapports et des êtres humains. Car, ainsi pervertie et instrumentalisée, elle s’inscrirait alors dans une organisation de prescriptions administratives ou pédagogiques obligatoires, sur listes nominatives de « signalements » ou de « recensement de besoins ». Et ainsi, exclus d'un cadre de libres consultations, les usagers dépossédés de leurs droits psychologiques les plus fondamentaux de sujets, seraient dès lors positionnés en simples objets de signalements.

 

                    La logique administrative, croyant peut-être à tort percevoir une logique libérale d’insoumission répréhensible dans ce qu’a pourtant pour rôle de représenter, accueillir et libérer le psychologue de ce qui est ressenti imaginairement comme en risque angoissant d’échapper, ne saurait être fondée à réaliser sa contre-propension d’instauration d’une psychologie à deux niveaux selon son exercice public ou privé pour ce qui concerne la liberté et la vie privée des personnes ainsi que le cadre relationnel nécessaire à la prise en compte et à la mise au travail de leur dynamique de sujets.

 

                      Ceci suppose une autre logique d’administration de la psychologie qui, ayant trouvé intérêt et valeur dans la gestion publique et la facilitation efficace de cette modalité de rapports humains, lui corresponde enfin sans s’y opposer stérilement.

 

                    C'est pourquoi, dans le cadre général d'une organisation institutionnelle nationale fixant ses missions et la durée de son service hebdomadaire à 24 heures, il appartient au psychologue de ne pas se dessaisir de ses responsabilités dans l'usage de son titre au regard de l'organisation éthique et théorique du choix de ses démarches consultatives de libre accès, d'écoute, d'examen et d'aide des familles et des enfants qui s'adressent ou sont invités à s'adresser à lui.

 

                     Vous savez bien enfin que les décisions des tribunaux administratifs ne sont pas extensibles hors de leur juridiction de compétence. Pour l'affaire du profilage et de l'assujettissement abusifs des psychologues et de leurs pratiques que nous avons portée en conseil d’État avec celle de la remise en cause des horaires hebdomadaires par la direction des écoles, l'arrêt du Conseil d’État tranchera. Comme nous l'avons requis, nous voulant responsables de l'usage de notre titre et de la mise en œuvre des compétences techniques psychologiques que nous sommes tenus de garantir, nous ne pouvons laisser le rapport de subordination administrative existant par ailleurs avec le pouvoir de conseils, de contrôle et de notation pédagogiques des IEN, s'étendre au-delà de son champ de compétences pédagogiques et administratives, pour restreindre, profiler ou détourner notre nécessaire et légitime autonomie professionnelle de psychologues, gage indispensable de la raison d'être d'un service public "avant tout" au service du public et dès lors pas moins efficace et de qualité qu'un service privé libéral.

 

                      Nous rappelons que dans le cadre du respect du caractère désormais absolu d'un secret professionnel psychologique non partageable concernant le respect de l'intimité et de la vie privée, les droits et obligations du psychologue en matière de communication de ses analyses aux commissions de l'éducation spéciale ont été clairement définis. Aux termes du paragraphe 2.2 de la circulaire du 10 avril 90 relatives aux missions des psychologues scolaires, il est très clairement établi que "Lorsque le psychologue scolaire n'est pas effectivement présent, il est tenu d'éclairer les travaux de la commission en lui communiquant par écrit les éléments d'information qu'il juge nécessaire", et non pas ceux que d'autres, non psychologues de surcroît, jugeraient nécessaire à sa place.

 

                      Nous vous prions d'agréer, Monsieur l'inspecteur d'académie, l'assurance de notre considération distinguée.

 

 

Pour le secrétaire général

 Le secrétaire national chargé du statut et du contentieux

 

Michel BERLIN

 


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