L'ex-sistence scolaire du psychologue


 

 

L’EX-SISTENCE SCOLAIRE DU PSYCHOLOGUE : UNE NECESSITE A VENIR ENCORE DANS L’ANTICHAMBRE D’UN PASSE QUI TARDE A PRENDRE RANG[1]

 

 

Un fantasme pédagogico-institutionnel du même "colle" les psychologues des écoles publiques au corps enseignant sous le statut professionnel duquel ils sont toujours tenus d’exercer. Pourtant, depuis plus de dix ans maintenant, la loi[2] fonde l’existence différenciée de la profession de psychologue nommée par son titre réservé.

 

Le psychologue ne peut, sans le partager ni le « nourrir » qu’entendre ce fantasme parthénogénétique comme le repli narcissique d’une souffrance, non mise au travail de la parole, d’un corps enseignant quelque peu en perte de repères et de valeurs idéales propres, lui qui craint à ce point de se sentir affaibli par le risque de sa division d'avec le "corps" potentiel des psychologues. Ceux que confèrent la transmission, la production et l’appropriation d’un tiers savoir culturel aujourd’hui quelque peu passé au second plan des valeurs d’une société où la richesse créatrice de l’humain est subordonnée à la loi marchande du plus fort et au froid pragmatisme calculateur et chosifiant. Il ne peut que l’entendre et l’interpréter pour permettre la réouverture parlée d’une plaie inguérie, là où la clôture du codage du symptôme se borne à faire emplâtre analgésique.

 

Le ministère de l’éducation nationale représente un appareil institutionnel qui, d’une position de grande maîtrise, résiste à marquer le dégagement de l’éthique du sujet de l’inconscient, effet de la double articulation de la parole, de celle du discours plat du maître, lieu clos de l’imaginaire, de l’illusion et du moi d’où le sujet ne peut que se méprendre et être objet de mépris. Pour les chefferies ministérielles ce fantasme vient s’énoncer de nouveau[3] sous la forme d’une prétendue impossibilité des enseignants d’accepter de travailler et communiquer avec des psychologues « extérieurs à leur corps » auxquels ils ne pourraient pas s’identifier et dans lesquels ils ne pourraient plus se reconnaître s’ils ne pouvaient partager l’histoire d’un commun point de vue pédagogique de rapports de maître à élève.

 

On ne peut pas mieux illustrer ce que Lacan nous dit à travers le "mathème" du schéma L de la relation intersubjective, sur  le barrage que constitue la relation imaginaire (a-a’) à l’accès pour le sujet à la relation symbolique et donc à sa vérité (S-A). On sait que le sujet n’a accès au « passage » de sa vérité qu’à la recevoir du lieu de l’Autre d’où elle lui parvient sous forme de message inversé (que veux-tu?) et au prix de traverser la relation imaginaire de méconnaissance et de réciprocité, mais aussi de rivalité pour le maintien de l’un menacé par l’existence-même de l’autre. Un autre perçu comme son semblable tout puissant et "incastré" en risque de lui ravir cette place. On sait l’impasse de cette relation indifférenciée dés lors structuralement vouée à la lutte rivale à mort pour la disparition de l’un ou de l’autre. C’est une relation qui nécessite la médiation d’un pacte symbolique pour réintroduire du je(u) dans ce qui risque de n’en avoir plus sur un mode purement imaginaire tendant à terme à la psychose, lorsque l’Autre (lieu de l’inconscient et de la détermination symbolique dont il est l’effet, d’où le sujet peut récupérer en lui cette part de lui-même dont il s’est divisé lors du refoulement originaire en entrant dans la parole) en vient à être carrément rejeté. Faute de réintroduire la médiation symbolique (symbolon, chez les Grecs c’était ce bâton brisé et partagé qui faisait lien et pacte de reconnaissance par delà la séparation différenciatrice) du pacte de l’inscription institutionnelle des psychologues, différenciés du corps enseignant, l’institution éducative se maintient et s’enferme par là-même, hors castration symbolique, dans l’impasse de la névrose. Elle maintient le rapport des enseignants aux psychologues sur l’axe a-a’ de la rivale et agressive réciprocité imaginaire, censée faire barrage au sujet de l’inconscient ainsi mis en souffrance ... d’advenir.

 

            Pas étonnant dès lors que les enseignants souffrent et aient l’impression d’étouffer dans un système clos sans issue créatrice, face à des élèves eux-mêmes en souffrance et écrasés dans ce rapport imaginaire de barrage au sujet, d’où se sont estompés les repères et garde-fou symboliques ainsi que les idéaux qu’ils pourraient promouvoir... Pas étonnant que dans une société duale où, en évitement de la loi du père, domine le discours positiviste du maître, celui qui fait obstacle à l’issue métaphorique comme possible cheminement du sujet, celui qui ferme tout espace de subjectivation au profit de l’illusion de l’image et du paraître par laquelle ne cesse de se déprimer comparativement l’être d’un sujet muselé, on se voue dans nos établissements, dans nos banlieues, dans la cité à la (re)montée « (topo)logique » de tant de violence... La structure de nos rapports socio-intersubjectifs ne peut que le générer par l’absence de plus en plus normalisée de prise en compte de « la loi du père ». Une loi qui faisant inter-dit, dans le sens de dit par l’articulation des mots, fait pacte promotionnant et permet par le franchissement de l’imaginaire, le passage métaphorique du sujet au-delà de l’aporie du peu de sens de la perte d’un tout illusoire par quoi il s’est constitué.

 

Lacan nous rappelle dans « Les formations de l’inconscient » que si le comique est duel et donc de l’ordre de l’imaginaire (on voit à quels excès comiques scatologiques mènent par exemple certaines émissions de télé fondées sur une pure logique séductrice, duale et marchande de l’audimat) le trait d’esprit est symbolique. Il a rapport avec l’inconscient dont il constitue le « pas-de-sens », au sens de passage, par dépassement du « peu-de-sens » aporétique de la demande d’un sujet en souffrance de se mieux dire par delà l’aliénation de sa division originaire.

 

C’est pourquoi, comme je l’avais déjà[4] écrit, l’heure continue donc d’être grave et préoccupante et les perspectives plus que jamais étroites mais très claires.

 

La reconnaissance du psychologue découle de celle du sujet de l’inconscient.  Elle ne va pas de soi et suppose un long et douloureux cheminement d’accouchement de soi et de délaissement de la jouissance d’une tenace illusion de maîtrise de l’autre ou de jouissance à le maintenir imaginairement tout puissant en s’en faisant l’objet ou l’instrument. Le névrosé résiste à « tuer» symboliquement l’Autre originaire (le parent puissant de qui dépend originairement dans sa prématuration le petit d’Homme) pour traverser cette souffrance de séparation (castration symbolique) où il renaîtrait symboliquement à lui-même.

 

C’est bien au croisement du désir du psychanalyste qui est désir d’obtenir la différence absolue, qu’il se découvre seul, seulement représenté fugitivement par un signifiant pour un autre signifiant, l’Autre n’étant que contenu dans son dire et n’ayant  aucune existence sinon celle d’être un semblant qui le protège de l’effroi de la néantisation et du réel traumatique. Car si le mot résulte du meurtre de la Chose lors du refoulement originaire, la barre de l’algorithme de Saussure séparant irréductiblement le signifiant du signifié, il ne représente pas le sens perdu que le sujet pourrait avoir sur lui-même, il ne fait que s’articuler au mot, le sens s’engendrant métaphoriquement (métaphore du nom du père) fugitivement dans le passage subjectif de ce rapport articulé. Mais si, comme l’image du fantasme, le discours protège du réel traumatique, il permet néanmoins par sa nature articulée l’engendrement créatif incessant, et donc le dépassement, de ce que fixe et capture (cfrs la mort de Narcisse) de mouvement vital l’image. D’où peut-être le tropisme mortifère et sclérosant des rigidités institutionnelles prônant l’espace maternel de la culture figurative du même contre l’articulation signifiante des différences, soit névrotiquement contre ce qui de la « loi » métaphorique du père vivifie et transcende.

 

Confrontés dès lors, sous l’identité d’enseignants, à une inscription imaginaire qui refoule et méconnaît un sujet laissé pour compte, en souffrance et en demande de passage, les psychologues de l’école se doivent peut-être eux aussi, du point de vue d’une éthique du sujet, de ne pas maintenir la suture et l’indifférence d’une place et identité symptomatiques revendiquées de psychologues « scolaires ». Ils ne pourront pas être reconnus  psychologues, et donc faire leur travail de médiation symbolique d’advenue du sujet, de cette place imaginaire de psychologue scolaire alter égo polyvalent de l’enseignant, sorte de garde-fou imaginaire de toute advenue de l’Autre scène par là conjurée comme un risque d’hérésie et de perte narcissique insupportable. Ce reste diabolisé est ainsi évacué, mais c’est pourtant lui qui cause toute possible évolution des acteurs du système, qu’ils y soient ceux qui étudient comme ceux qui y enseignent. Par là précisément l’institution et ses acteurs, ne voulant rien céder sur leur jouissance pour se risquer au désir à travers la castration, se maintiennent dans la névrose d’un « je ne veux rien en savoir » de la vérité de ce savoir profond, « en gésine » mais  insistant pour advenir, à élaborer du lieu de cet Autre intérieur « ex-sisté » que représente le psychologue tout court[5], dans lequel le moi, cette structure imaginaire de méconnaissance et de suffisance, ne pourrait plus se complaire  reflété.

 

En revendiquant jadis[6]une place, une formation et des pratiques de psychologues scolaires issues du corps enseignant, ils ont fait entendre en écho au chant institutionnel des sirènes, une certaine complicité névrotique à se maintenir et être maintenus dans l’orbe de l’assujettisement au désir et aux jupes pédagogique de leur corps maternel des origines. La castration symbolique et donc la « loi du père » qui donne à chacun, avec son nom, sa place dans la famille en a été évitée. Faute d’avoir osé ce que beaucoup prenaient pour un idéal paternel inaccessible, savoir entrer dans la loi métaphorique du père, celui du titre unique fondé par la loi, et donc dans le nom de leurs pairs les psychologues tout court spécifiés, non pas par détournement subordonnant et instrumentalisant aux pratiques prescriptives objectivantes et « surmoïquement » dominantes de leur champ d’exercice (qu’il soit médical, social ou pédagogique), mais par rapport à l’autonomie de leur choix des démarches et références théoriques de leur discipline, les psychologues « de l’éducation » ont  participé aux insupportables maux et méprises dont ils se plaignent. S’en sont-ils dégagés à l’heure où, au congrès de Nîmes du SPEN, la tentation de rejoindre telle ou telle grande fédération dominée par des syndicats d’enseignants, pour qui ils sont encore des  frères ennemis séparatistes, a refait surface comme un vieux démon à qui le cou n’a toujours pas été tordu?  Pas sûr. Mais, sauf à s’en aller comme Empédocle, peut-on se castrer symboliquement soi-même?  Sûrement pas. Il y faut du tiers assurant la fonction de père symbolique. On le sait par notre expérience analytique et par sa théorie. La loi sur notre titre, s’autoriser dans une pratique intersubjective, user de la langue pour dire et écrire comme je le fais ici, en procède, mais il s’avère que ça ne suffit institutionnellement et politiquement encore pas. Alors?

 

Alors peut-être le temps est-il venu de faire nouage autour de cette « cause communément propre à chaque un » (celle de la marge d’un espace social pour le sujet psychique) et de (se) fonder du tiers que pourrait constituer ... l’instance transorganisationnelle d’une fédération française des psychologues ou d’un collège des psychologues. Cette instance, représenterait tous les psychologues en France. Elle regrouperait tous les psychologues praticiens-chercheurs et universitaires pour travailler auprès de la représentation nationale et des pouvoirs publics à faire inscrire métaphoriquement dans la loi républicaine, en rectification des insuffisances de la loi de 85 réservant notre titre, cette « autre place[7] » socio-institutionnellement autonome de psychologues titulaires d’un doctorat d’exercice. Une place qui serait ainsi mieux en mesure de marquer et garantir déontologiquement et statutairement, même hors cabinet et divan, dans les champs institutionnels d’exercice qui ne pourraient employer les psychologues qu’au réel et libre service direct des équipes et de leurs consultants, l’espace éthique d’écoute et d’accompagnement de la parole du sujet qu’elle appelle et promeut.

 

Il s’agit d’établir la nécessaire indépendance de la profession de psychologue, afin de protéger le respect de la liberté et de l’intimité de la dimension subjective de l’Homme de l’influence et du détournement aliénants de toute prescription tierce instrumentalisante qui le réduirait à un objet de mesures psycho-administratives voire psycho-médicales en faisant d’un sous-psychologue dépendant et subordonné, le simple auxiliaire technique d’un dispositif anti-psychologique de maîtrise et de refoulement.

 

 

 

 

                                                                                                                                                  Michel Berlin



[1] - Article publié en février 1996 dans le n° 129 de Psychologues et Psychologies, le bulletin syndical et scientifique du SNP.

[2] - Article 44 du Chapitre V de la loi 85 772 du 26 juillet 85 portant « mesures relatives à la profession de psychologue ».

[3] - Audience du  SPEN reçu en  nov. 95 au cabinet du MEN par un inspecteur d’académie, conseiller technique.

[4] - Réflexions – Michel BERLIN - Le journal du SPEN - Juin-juillet 1991

[5] -   La création du DEPS, diplôme de psychologue scolaire-enseignant à bac + 3 seulement, traduit la volonté frileuse de l’Ecole d’avoir « sa » psychologie et « ses » psychologues maison, hors loi de formation et nomination communes.

[6] - Groupe des psychologues de l’éducation qui voulaient se faire reconnaître, dans les années de la promulgation de la loi de 85, par la création d’un « DESS de l’éducation et de la formation » spécifique au champ éducatif.

[7] - Cfrs M. Berlin : « L’Autre écoute du psychologue : une éthique du sujet et un envers de la pédagogie » in Euroéthique (Actes des Premières rencontres professionnelles des psychologues de l’Europe du Sud) juin 1995.


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