L'arrêt Berlin

Jurisprudence du 07 avril 1993 Le Conseil d’État statuant au contentieux, 4 / 1 SSR, lecture du 7 avril 1993, M. BERLIN et autres,

requêtes n° 121683, 121938, 122055 et 122058

(Tables du Recueil LEBON )

Résumé : Illégalité d'une note de service du ministre de l'éducation nationale qui restreint le champ d'application du décret du 29 octobre 1936 en édictant une interdiction générale et absolue, à l'encontre des psychologues scolaires, d'exercer la profession de psychologue en ouvrant un cabinet privé de consultation relatif à cette activité.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

(Publié aux Tables du Recueil Lebon)

Vu 1°/, sous le n° 121 683, la requête enregistrée le 13 décembre 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par M. BERLIN, demeurant  XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX ; M. BERLIN demande que le Conseil d’État annule une note de service du ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en date du 29 octobre 1990 relative aux autorisations d'exercer en cabinet privé sollicitées par les psychologues scolaires ;

Vu 2°/, sous le n° 121 938, la requête enregistrée le 26 décembre 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par Mme FUMANAL, domiciliée XXXXXXXXXXXXXXXXX ; Mme FUMANAL demande que le Conseil d’État annule une note de service du ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en date du 29 octobre 1990 relative aux autorisations d'exercer en cabinet privé sollicitées par les psychologues scolaires ;

Vu 3°/, sous le n° 122 055, la requête enregistrée le 2 janvier 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par M. PELLECUER demeurant XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX; M. PELLECUER demande que le Conseil d'Etat annule une note de service du ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en date du 29 octobre 1990 relative aux autorisations d'exercer en cabinet privé sollicitées par les psychologues scolaires ;

Vu 4°/, sous le n° 122 058, la requête enregistrée le 2 janvier 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’État, présentée par Mme YZQUIERDO, demeurant XXXXXXXXXXXXXXXXX ; Mme YZQUIERDO demande que le Conseil d’État annule une note de service du ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en date du 29 octobre 1990 relative aux autorisations d'exercer en cabinet privé sollicitées par les psychologues scolaires ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique ;

Vu le décret du 29 octobre 1936 modifié relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions ;

Vu le décret n° 90-259 du 22 mars 1990 pris pour l'application du II de l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social et relatif aux personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Roger-Lacan, Auditeur,

- les conclusions de M. Kessler, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même note de service ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article 25 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : "Les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité lucrative de quelque nature que ce soit. Les conditions dans lesquelles il peut être exceptionnellement dérogé à cette interdiction sont fixées par décret en Conseil d’État" ; qu'en vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article 3 du décret susvisé du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions : "Les membres du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d'enseignement peuvent exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions" ;

Considérant qu'en décidant, par la note de service attaquée, que les psychologues scolaires ne pouvaient être autorisés, en sus de leurs fonctions, à exercer la profession de psychologue en ouvrant un cabinet de consultation relatif à cette activité, le ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ne s'est pas borné à informer les inspecteurs d'académie et les directeurs des services départementaux de l'éducation nationale des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, mais a restreint le champ d'application des dispositions précitées du décret du 29 octobre 1936 en édictant une interdiction générale et absolue ; qu'aucune disposition législative ne lui donnait compétence pour prendre une telle réglementation;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation de la note de service attaquée ;

DÉCIDE :

Article 1er : La note de service du ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en date du 29 octobre 1990 relative à l'autorisation d'exercer en cabinet privé sollicitée par des psychologues scolaires est annulée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. BERLIN, à Mme FUMANAL, à M. PELLECUER, à Mme YZQUIERDO et au ministre d’État, ministre de l'éducation nationale et de la culture.

M. ROGER-LACAN, Rapporteur

M. KESSLER, Commissaire du gouvernement

M. VUGHT, Président


Que faut-il remarquer?

 

                                    Quelque chose de très, très important pour l'époque, qui pourtant nous apparait évident plus de 20 ans après, parce que c'est quelque chose qui a fait jouer le tranchant de la loi, métaphore d'une castration,  dans l'imaginaire "restrictif" et détourné de l'éducation nationale. Et au niveau collectif des représentations institutionnelles il a sans doute fallu toutes ces années pour que ça opère.... vers la création d'un statut particulier de psychologue. Le "mammouth" est sans doute long à la détente.

 

                             Ne pas oublier que l'éducation nationale pensait alors devoir interdire aux psychologues scolaires l'exercice libéral de leur profession. Elle contestait que les psychologues scolaires soient psychologues. Elle leur interdisait l'exercice libéral de leur profession, non pas tant parce qu'il était libéral, mais parce qu'elle confondait la profession de psychologue scolaire avec une spécialité enseignante et imaginait dès lors que les psychologues scolaires n'étaient pas pleinement psychologues et que donc comme cette profession ne "découlait pas de la nature de leurs fonctions", ils n'étaient pas autorisés à l'exercer.

 

                            C'est ce qui ressort des motifs invoqués pour cette interdiction générale attaquée par mes soins avec quelques autres.

 

                             En effet, la note de service du 29 octobre 1990 attaquée (signée Jean Ferrier, Directeur de Écoles au ministère) disait d'une part à tort (car de façon illégalement restrictive) que "les dispositions du décret n° 90-259 du 22 mars 1990 n'autorisent les fonctionnaires et agents publics qui exercent les fonctions de psychologue.... à faire usage du titre de psychologue que dans l'exercice de leurs fonctions".

                            Elle disait d'autre part et enfin dans un dernier paragraphe que : "les services (juridiques) de la fonction publique, consultés, estiment que l'activité de psychologue exercée à titre privé ne peut être considérée, au sens de ces dispositions, comme l'exercice d'une profession libérale découlant des fonctions de psychologue scolaire".

 

                            Or qu'établit ce jugement en annulant cette interdiction?

 

                                   Qu'il est illégal de restreindre le champ d'application du décret du 29 octobre 1936 en édictant une interdiction générale et absolue, à l'encontre des psychologues scolaires, d'exercer la profession de psychologue en ouvrant un cabinet privé de consultation relatif à cette activité, parce que la profession de psychologue découle bien de la nature des fonctions de psychologues scolaires.

 

                                   Et que par conséquent,  les psychologues scolaires sont bien de droit des psychologues qui en exercent légalement à ce titre la profession dans le cadre de leurs fonctions.

 

                                                                                                                                     M. Berlin

 

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Autre remarque encore:

 

                          L'éducation nationale avait traîné les pieds pour mettre en application, sur son territoire, la loi de 85 réservant l'usage professionnel du titre de psychologue.  Les premières mesures furent prises 4 à 5 ans après par la création en 1989 d'un diplôme "maison", le DEPS, inférieur à tous les autres diplômes de psychologues. Ce DEPS ( Diplôme d’État de Psychologie Scolaire)  fut créé juste avant la parution en 1990 des décrets d'application de ladite loi de 1985.

 

                          Il semble bien que le ministère comptait, par la logique subtile de ce diplôme, contourner le tranchant de la loi pour garder "le beurre" de pouvoir conserver des psychologues scolaires au sein de son institution, tout en ayant "l'argent du beurre" qui aurait consisté en ce que ce titre soit un sous-titre permettant qu'ils ne le soient pas en plein. Il aurait permis la restriction des droits d'exercice qu'il aurait conférés, tout en n'excluant pas les fonctions de psychologue du champ des spécialités enseignantes.  Il s'agissait de garder dans le champ de la pédagogie une psychologie domestiquée.  Et il s'agissait bien sûr que les psychologues puissent continuer "d'appartenir" au corps des enseignants. Une vraie "formation de compromis" comme on le voit. Autrement dit : un symptôme.

 

                           Or, nous avions attaqué ce DEPS, en conseil d’État, une première fois au motif qu'il sortait du niveau de l'esprit de la loi de 85. Celle-ci, selon nous et d'après les débats parlementaires, faisait référence implicite par la mention  "haut niveau de formation théorique et pratique" et d'après les débats parlementaires du temps de Mme Georgina Dufoix, à la définition même des DESS qui étaient les 3èmes cycles universitaires professionnalisés de l'époque.(1)

 

                            Le conseil d’État avait rejeté notre requête au double motif que le DEPS, bien que de second cycle et à bac plus 3 seulement,  n'était pas sans être un diplôme de haut niveau d'une part, puisque la loi ne définissait strictement pas la notion de "haut niveau", et que d'autre part, on ne pouvait pas établir qu'il contredisait la loi de 85 puisque ses décrets d'application l'incluant ou non dans son cadre, n'étaient pas encore promulgués.

 

                             Dont acte.

 

                             La suite de l'histoire c'est que le DEPS a été ajouté à la liste des diplômes autorisant l'usage du titre de psychologue tout court. Un usage établi de droit par la loi dès 90 , mais contesté par l'éducation nationale, jusqu'à l’arrêt Berlin en question. Manœuvre de légalisation certes subtile, mais manœuvre tout de même.

 

                            Mais l'histoire n'est pas finie.

 

                            Poursuivant sa logique dérogatoire d'avoir le beurre sans lâcher l'argent du beurre, l'éducation nationale avait pondu un texte qui clarifiait les dessous de cette logique. Ce texte réglementaire restreignait rien de moins que l'application d'une loi, celle de 85 sur le titre de psychologue, pour l'éducation nationale seule. En effet, il faisait obligation aux psychologues dits "scolaires" de ne faire usage de leur titre qu'assorti du qualificatif "scolaire". Ce qui contredisait la loi et contredisait l'ajout du DEPS à la liste des diplômes autorisant l'usage du titre tout court.

 

                           Deux attaques en Conseil d’État furent alors menées par la profession.

 

                           La première, menée par une partie de la profession plutôt favorable au DEPS, visa l'annulation de la restriction et c'est à celle là que le Conseil d’État fit droit. La deuxième, que j'avais personnellement conçue fut menée par le SPEN avec le SNP. Elle combattait bien sûr encore la logique DEPS comme particularité "maison", et profitant de cet élément nouveau, elle fut diligentée contre cette logique dérogatoire même.

 

                          Nous avons donc attaqué, de nouveau à mon initiative,  le DEPS pour le faire retirer de la liste des diplômes de psychologue, au motif qu'il n'était pas un diplôme permettant l'usage plein du titre de psychologue selon la loi.

 

                           L'autre requête ayant abouti, celle-ci a été rejetée. La logique des deux "attaques" ne pouvait que nous faire gagner : soit la suppression de la restriction et le statut quo, soit la suppression du DEPS et de la logique dérogatoire qu'il promeut.

 

                           Le DEPS autorise donc, depuis, l'usage du titre de psychologue tout court et l'arrêt Berlin en est une des conséquences.

 

                           Voilà, par "mon" "arrêt Berlin", je ne suis pas sans avoir quelque satisfaction d'avoir été un peu à ma manière une sorte de Charles Martel du détournement pédagogique de la sous-psychologie scolaire... Je dois ici rendre un hommage particulier à la mémoire de feu mon ami Guy Ch... - directeur d'école émérite par accident, mais néanmoins juriste conseil distingué par formation et gout personnel affirmé- sans qui mon mémoire de requête en annulation n'aurait pas été ce qu'il fut.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                               M.B.

 

                            


La copie de mon recours en conseil d'Etat



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