Recours contre l'obligation d'établir un QI pour évaluer l'intelligence.


 

La profession de psychologue en lutte pour son autonomie attaque en Conseil d’État

l'obligation hiérarchique de chiffrage de l’intelligence.

 

 

 

En soutien à l'un de ses secrétaires départementaux du Nord de la France qui voulait faire annuler par un tribunal administratif l'ordre de son inspecteur l'obligeant à établir et chiffrer le QI des enfants dont le cas est examiné par une commission d'orientation des personnes handicapés (CCPE), le SPEN (Syndicat des Psychologues de l’Éducation Nationale) vient de faire appel du rejet de cette requête en Conseil d’État.

 

Le jugement attaqué du tribunal administratif prétend qu'il ne s'agit là que d'une simple mesure d'ordre intérieur qui ne fait pas grief juridique et qui ne peut dès lors être contestée. Invoquant la jurisprudence existante à ce sujet, le SPEN fait valoir qu'il y a là mesure déguisée de règlementation abusive, dès lors susceptible de recours, d’autant qu’il s’agit par-là de nier la compétence et les droits du psychologue en matière de choix de ses outils et de ses démarches, pour imposer le choix administratif d’un outil diagnostique parmi d’autres existants, tout aussi pertinents.

 

 

Pour le SPEN et l'ensemble de la profession, c'est là une affaire de la plus haute importance car il s'agit de permettre aux psychologues d'exercice public de ne pas laisser leur subordination administrative s'étendre abusivement à leurs compétences techniques et professionnelles, et donc à leur droit à l'autonomie technique garante de l'efficacité du service public et du respect des usagers par le bon usage de leur titre.

 

Le pouvoir de la hiérarchie pédagogique, sans avoir pourtant compétence dans l'usage du titre de psychologue, prétend être fondé à user de son autorité administrative vis à vis d'un subordonné pour contester son droit réglementaire au libre "choix de ses outils et de ses démarches" selon les "règles en usage dans l'exercice de sa profession" de psychologue.

 

Pour lui, la soumission totale semble être la première vertu attendue d'un psychologue fonctionnarisé, primant la compétence et la responsabilité. Car pour le pouvoir pédagogique, le psychologue, déjà par ailleurs voulu réduit à une prétendue dimension scolaire justifiant le détournement et l'annexion de son titre au champ du statut inadéquat d'une spécialité enseignante, semble ne pouvoir être admis et toléré qu' irresponsable et neutralisé.

 

Ainsi découvre-t-on là un des aspects d'une doctrine scolaire tenace tendant quotidiennement sur le terrain à rabattre insidieusement l'éthique psychologique du sujet dans celle du maître ...pour réduire l'enfant à l'élève et en faire le simple objet de mesures psycho-administratives prescrites dont un psychologue "maison", scolarisé dans un statut d'enseignant et de maître, serait dès lors ainsi supposé devoir être le docile agent collaboratif.

 

En effet, face à l’injonction d'un supérieur, non psychologue, sur la mise en œuvre d'outils, de démarches et de modèles psychologiques, "il ne lui appartient pas d'en discuter l'opportunité dès lors que la décision entrait dans le champ de compétence de l'autorité" dit l'administration parce que "le refus d'obtempérer ...  met en échec le principe hiérarchique, donnée de base du service public".

 

La voilà mise à jour, la vraie "basse" raison. C'est avant tout une question de pouvoir à couvrir et protéger. On peut se demander alors pourquoi le respect invoqué d'un prétendu Grand Principe Hiérarchique n'a pas donné lieu, dans l'éducation nationale, à la création d'une hiérarchie psychologique issue de cette profession, susceptible dès lors d'étayer son pouvoir et d'administrer un authentique exercice de la psychologie selon des conceptions qui lui correspondraient et des compétences qui feraient enfin autorité en la matière ...dans une institution où cet exercice, inféodé au pouvoir pédagogique, ne cesse d'être laminé et mis en dérive. Une institution où les droits psychologiques fondamentaux des usagers en matière de respect de leur vie privée et de leur libre accès au psychologue font l'objet d'une contestation administrative permanente.

 

Par nature, la psychologie clinique psychanalytique, à laquelle ne saurait frileusement continuer de se fermer l'école, en activant et révélant la racine d'un désir infantile de toute puissance dans les mécanismes de tout pouvoir, le fait se découvrir dans sa triste et pauvre réalité de produit d'un sujet blessé par la perspective de la perte de son illusion d'omnipotence. Celle, maternelle, de son Ordre Institutionnel d'abord, dans le reflet de laquelle pouvait secrètement et sans risques se nourrir anonymement la sienne. Mais l'irresponsabilité collective érigée en SYSTEME hiérarchique totalisant, si elle évite certes à chacun d'avoir à désirer en son nom et à défaut découvert au profit d'un hyper-narcissisme d'ensemble dans l'identification mégalomaniaque à la figure idéale d'un corps unifié incarné par l'idéologie sectaire et le chef-gourou, a conduit, on le sait, à tous les excès connus historiques.

 

On sait que ce risque inhérent au tropisme sectaire des illusions collectivistes de l'Homme pour tenter de s'arracher à l'aporie de sa conflictualité interne sur fond d'incomplétude et de manque d'absolu, s'il a pourtant montré ici et là ses horreurs et sa faillite, n'en est pas pour autant écarté de nos jours. 

   

C'est là un problème de fond ...soumis au Conseil d’État, juge de l'excès de pouvoir administratif dans notre démocratie.

 

Non seulement l'autorité académique veut imposer le profilage pédagogique des méthodes, démarches et outils psychologiques, mais encore le psychologue se voit opposé l'ordre absolu, contraire à son droit établi, de communiquer, non pas "les éléments d'information qu'il juge nécessaires" ainsi que le dit la règlementation par circulaire, mais bien ceux que tel ou tel administrateur non-psychologue jugerait nécessaires à sa place.

 

C'est la caractéristique-même de l'abus et du détournement de pouvoir où, à terme, l'indépendance de l'expertise psychologique  et l'autonomie technique du psychologue découlant de l'usage professionnel d'un titre protégé devraient être aliénées, assujetties et profilées à l'incompétence technique en la matière de la hiérarchie pédagogique.

 

Une hiérarchie pédagogique qui voudrait de surcroît doublement reculer les limites du territoire de son pouvoir et de son champ de compétences :

-pour s'étendre au champ de la psychologie et de son exercice d'une part,

-pour s'exercer, hors terrain scolaire, en faisant pression sur les professionnels nommés dans des commissions extérieures par décision préfectorale aux fins d'expertises en vue de l'orientation des personnes handicapées d'autre part.

 

Car si les commissions de l'éducation spéciale sont bien règlementairement définies comme des "organismes et instances extérieures à l'école", le psychologue y intervient es-qualité en tant qu'expert et l'inspecteur de l'éducation nationale en tant que président, sans que le rapport de subordination administrative existant par ailleurs puisse s'étendre à cet extérieur pour aliéner et assujettir l'indépendance de l'avis du psychologue, en restreignant  ou modelant son autonomie technique professionnelle pour ce qui concerne le choix de ses démarches et méthodes d'analyse et de leur mode adapté de communication.

 

                                                                                                                               

                                                                                                                        Michel BERLIN

                                                                                                                        Secrétaire national du SPEN

 

 

       (Article publié en tribune libre dans "Le journal des psychologues" N° 126 d'avril 1995)


Écrire commentaire

Commentaires: 0