L'acte psychanalytique, passage par l'acte, acte de passage.

L’acte psychanalytique

Passage par l’acte ou acte de passage.


(Intervention en Avignon au séminaire de Marie-Thérèse Santini et de Jacques Rabinowitch)

 

                 Par la deuxième partie de ce titre sous celui du séminaire de Lacan se retrouve, quelque peu laissée en plan, ma question de cartel. Cette année notre cartel qui s’intitulait « alea j’acta est » s’est trouvé dissout dès sa première séance par le dé-nouage opéré du départ de l’un de nous, démissionnaire de l’ACF et donc de l’ECF. Ce cartel s‘était en effet déclaré pour inscription à l’école. Voilà donc déjà au départ un acte qui cause et ouvre à conséquence.

 

                  De cet alea jacta est, j’en pris … acte et me voilà donc amené par un engagement tout aussi conséquent à en transmettre telles quelles quelques … séquences associatives, bouts d’habillage de réel probablement.

 

                 Cent fois sur le métier, là où ça tisse, remettez votre ouvrage dit le poète. Eh bien, dans l’acte d’écrire sur mon écran en guise de feuille blanche, acte que Lacan dans Encore (p. 86) compare à l’araignée qui tisse sa toile, il y a retour à ce bord d’où ça cause. Il y a acte de changement de position consistant à revenir à sa question et la remettre en chantier, sans assurance de trouvaille.

 

                 Si donc l’acte est un tenant lieu de dire, un dire d’engagement et d’ouverture à la tâche subjectivante, il dit néanmoins déjà de lui-même, pour peu que, comme le souligne Lacan pour le mot d’esprit, il soit par l’Autre, lieu du code d’où il va faire retour sous forme inversée, estampillé et déchiffré comme tel.

 

                  C’est l’Autre qui confère au mot d’esprit son caractère de passage « non sauvage », ni incongru, ni insensé et hors lien social, de l’inconscient, donc du sujet qui s’y fait par là entendre.

                  L’acte me semble donc pouvoir parfois prendre valeur de formation métaphorique disant la vérité de l’inconscient.

 

                   Au sens où l’on sait que dans la métaphore, c’est de l’élision d’un signifiant pour la venue substitutive d’un autre que s’opère, avec le plus de la création d’un sens nouveau à partir de ce moins, une sorte de franchissement de la barrière du refoulement et donc un effet sujet.

 

                   Alors me semble-t-il, bien que sans parole, le dire de l’acte qui lui confère sa valeur symbolique ne constituerait-il pas aussi un « pas de sens »( au sens de Pas- de-Calais comme nous le dit Lacan dans le séminaire V) pour le sujet dans son rapport divisé, « pas tout », à la vérité qui le constitue. C'est à dire un pas fait par le sens. C’est à dire encore donc un passage de l’inconscient mis en acte.

 

                   Je n’en finis pas de passer dit Lacan, éclairant par là la valeur d’acte de passage et de transmission de son séminaire, comme de ses écrits. Ceux-ci ne visent pas, par la « compréhension » directe, à la délivrance d’un plein de savoir universitaire à gober par le bon élève ou à restituer par le brillant et intelligent professeur. Ils visent, par leur style même, non linéaire, ni plat (le style, c’est l’homme dit-il) à mettre le lecteur ou l’auditeur devant la conséquence plus difficile où, au bord de la béance de ce qui fait trou dans la compréhension et le savoir, il lui faille « mettre du sien » soit être causé et mis au travail.

 

                     Alors, ne pourrait-on pas dire que l’acte, dans sa valeur symbolique de passage comme dire rien sans pour autant rien dire, de quelque chose du sujet est une énonciation sans énoncé qui manifeste, au plus prés de la vérité, une certitude anticipée et annonciatrice d’un engagement vers l’assomption de ce qui d’un réel déjà ainsi « appareillé » reste en un second pas à faire venir au travail du dire et au savoir ? On a dit que le sujet était division pure dans son acte. Il est coupure en acte au plus prés du réel et « équivalent à son signifiant ». Il se signifie donc par son acte.

 

                    Il en est ainsi par exemple de l’acte d’entrée en analyse, de celui de la fin de cette même analyse puis de celui de passer à l’acte analytique et à l’analyste. Là aussi, l’un n’antécéde-t-il pas l’autre, voire n’en est-il pas, non pas passage à l’acte, mais passage par la mise en acte ouvrant au travail d’assomption subjectivante consécutive. Autant d’actes symboliques effets de désir, marquant, par l’opération de séparation, la désaliénation d’un certain franchissement inaugural. Chacun son Rubicon à franchir.

 

                   Pour ma part je me suis surpris plusieurs fois, engagé presque malgré moi, bien que non totalement à mon insu,  dans des actes dont je n’avais rien envie de dire d’autre sauf, comme dans le dire sur un mot d’esprit qui le commenterait, à avoir le sentiment d’en gâcher sa valeur signifiante et d’en éliminer sa valeur d’acte. De l'affadir en quelque sorte.

 

                    Il y a d’une part le dire dans l’acte, soit le dire en acte et dans son prolongement logique, c’est à dire ce à quoi la coupure marquée par l’acte ouvre comme conséquence de l’ordre de l’effet sujet. Il y a d’autre part le dire intentionnel sur l’acte qui, comme l’explication d’un mot d’esprit ou la délivrance d’un savoir tout fait bouchant la question du sujet et ce qui de la transmission d’une béance pourrait faire enseignement, me semble de l’ordre de ce qui l’annule ou l’atténue dans son opérativité par de l’intentionnalité suturante. Il y a par exemple l’acte de s’inscrire au séminaire avec la conséquence d’y exposer ce qui s’y essaimerait de ce qui y ferait transmission … Il y a l’acte de demander à être membre de l’ACF, de l’ECF, celui d’intervenir aux colloques, de s’inscrire aux forums.…  etc.. etc…

 Autant d’actes qui sont d’eux-mêmes des dires. Car « l’acte est lui-même, de sa propre dimension, un dire », et « ce qui caractérise l’acte, c’est sa pointe signifiante » dit Lacan. Voilà qui nous amène à l’acte analytique.

 

                    Qu’en est-il de l’acte psychanalytique ?

 

                     Il consiste nous dit Lacan en résumé et pour aller d’emblée à l’essentiel à accepter une place supportant, en tant que cause du procès de l’analyse, le transfert, soit la position de sujet supposé savoir, et la mise en acte de l’inconscient. Car au départ de l’analyse, il y a, posé par l’analysant, un sujet supposé savoir quelque chose d’un symptôme faisant question pour lui dont il sait pourtant bien qu’il n’y est pas pour rien dans ce dont il souffre et se plaint. Mais voilà que ce quelque Chose pour l’heure il se rend compte que ça lui échappe. Alors, dans sa recherche ainsi causée par ce manque, il s’en remet à un autre qui a nom d’analyste.

 

                      Mais accepter cette place de support du transfert et de cause du travail de création poético-élaborative de l’analysant dans son rapport au trou du réel met l’analyste dans une sorte de porte-à-faux par lequel il a à feindre d’oublier ce à quoi a pu se réduire de "désêtre" pour lui, dans sa propre expérience d’analysant, la fonction de sujet supposé savoir.

L’acte psychanalytique, c’est donc accepter d’être pour l’analysant le support de l’objet (a) qui le cause et qu’il a à expulser à la fin. « L’analyste met l’analysant à la tâche d’une pensée qui implique la destitution du sujet supposé savoir et qui mène à la castration » et « c’est à la place de la chute du sujet supposé savoir que surgit l’objet (a) » nous dit Lacan dans le séminaire sur l’acte psychanalytique .

 

                        Mais si l’acte psychanalytique pose l’acceptation opérante d’être fait la cause du procès de la cure, sa conséquence en est la subversion du sujet dans son rapport au savoir dit il encore.

 

                    Qu’est-ce donc qui pousse quelqu’un qui a réalisé à la fin de sa propre analyse, à travers la destitution du sujet supposé savoir, qu’il n’y pas de savoir extérieur à son dire et qui n’est pas forcément foncièrement « maso », à désirer prendre cette place de déchet à expulser ? C’est ce que se demande Lacan en instaurant la procédure de la passe censée notamment permettre une transmission à l’école qui en apprenne un peu plus là-dessus ?

 

                   La position de l’analyste, entre savoir et vérité est en effet au milieu, là où c’est le vide, le trou, la cause du désir…En donnant support au transfert c’est lui à la fin qui, rejoignant le "désêtre" qu’a subi le sujet supposé savoir, donne corps à ce qu’il en advient sous forme d’objet (a).

 

                   L’acte du psychanalyste, c’est aussi d’ouvrir un espace de parole en posant l’inconscient et en posant qu’il y a un sujet de l’inconscient qui demande à se dire.

 

                  A ce propos me revient ce qu’en remarque Lacan dans le séminaire XI  pour réfuter ce que pensaient certains analystes du bien-fondé dans le procès de la cure de faire alliance avec une soi-disant partie saine du Moi pour interpréter le transfert et non pas « dans le transfert », alors que c’est précisément le Moi, en tant que structure imaginaire de méconnaissance qui « ferme les volets »  à l’ouverture de l’inconscient et au surgissement consécutif du sujet. Cette ouverture du sujet, Lacan la compare à une belle attendue et appelée dans son désir de les ouvrir. Je vous rappelle ce passage du chapitre X intitulé « présence de l’analyste » du séminaire XI.

 

                   Lacan remarque un peu plus haut que  l’interprétation de l’analyste ne fait que recouvrir le fait  que l’inconscient en tant que jeu du signifiant a déjà dans ses formations (lapsus, jeu de mot, symptôme) procédé par interprétation car il y a déjà eu « rayure sur le réel », le mot est de Jacques Rabinowitch me semble-t-il . C’est à dire il y a déjà eu inscription. Si on peut dire là que l’inconscient interprète, encore y faut-il une lecture et donc un lecteur. Il y a déjà eu inscription, car c’est ce qui de la perte de l’objet s’est inscrit qui est à l’origine du statut de l’inconscient et qui, précise Lacan, par un progrès logique en est venu à se présenter comme manque phallique (- j) et à se réaliser comme désêtre d’un sujet supposé savoir.

 

                  Mais, rappelle Lacan, Freud découvre un transfert essentiellement résistant et donc « loin d’être la passation des pouvoirs à l’inconscient, le transfert est au contraire sa fermeture ». Dès lors, dans l’analyse du transfert « faire appel à une partie saine du sujet, qui serait là dans le réel, apte à juger avec l’analyste ce qui se passe dans le transfert, c’est méconnaître que c’est justement cette partie là qui est intéressée dans le transfert, que c’est elle qui ferme la porte, ou la fenêtre, ou les volets, comme vous voudrez – et que le belle avec qui on veut parler est là derrière, qui ne demande qu’à les ouvrir les volets. C’est bien pour ça que c’est à ce moment que l’interprétation devient décisive, car c’est à la belle qu’on a à s’adresser ». Et Lacan ajoute : « Or, le discours de l’Autre qu’il s’agit de réaliser, celui de l’inconscient, il n’est pas au-delà de la fermeture, il est au-dehors. C’est lui qui, par la bouche de l’analyste, en appelle à la réouverture. »

 

                   Ainsi cet analysant, à vif dans ses défenses par la perspective d’ouverture de son récent acte d’entrée en analyse, en vient-il au cours d’une des premières séances à se plaindre à son analyste de ce que l’insistance bestiale de son chien à forcer de ses coups le pas de la porte alors que son maître le lui l’interdit, l’excède. Cette poussée, au plus près d’un réel pulsionnel cherchant à franchir un seuil barré qui se fait ressentir du dehors, en provenance d’un lieu Autre, comme message inversé, ne traduit-elle pas là, précisément, ce qui de la réalité sexuelle de l’inconscient, qui reste à subjectiver pour notre analysant, demande à passer la barrière de son Moi? D’ailleurs il lui vient à associer cette insistance sourde à celle, pour lui à valeur de surprise traumatisante de la composante violente du coït, des coups de butoir de son père, ressentis sur le matelas lors d’un acte sexuel entre ses parents. Des circonstances de voyage lui en avaient fait partager la couche, dès lors après coup, c’est le cas de le dire, de façon déplacée et coupable.

 

                     Ainsi cette mère qui, consultant pour son fils, me dit sur le ton indifférent du récit que le couple va se séparer, que le mariage prévu pour l’été est fichu parce que le père, son compagnon, brusquement ne sait plus où il en est..  - Alors lui- dis-je ?  « Alors je prends sur moi » me dit - elle en prenant dans le même temps son fils sur ses genoux. - Ah bon, comme ça? M’entends-je dire. L’effet de vérité en fut d’abord un rire … la levée du fils et l’ouverture à commencer d’entre-dire son vécu dépressif…

 

                     Faire appel à une partie « saine » du sujet, son Moi, c’est aussi en quelque sorte sortir de l’opérativité de la coupure - de l’acte analytique donc - et  ramener comme pour en tamponner l’effet de béance, le rapport à une relation de Moi à Moi, ainsi que je l’évoquais plus haut en ce qui concerne le dire sur l’acte ou sur le trait d’esprit qui en fermerait son tranchant et sa valeur d’énonciation.

 

                    Voilà donc qui pose l’interprétation de l’analyste du côté d’un dire en acte et d’un acte de dire qui n’est pas quelque chose de pensé avec le Moi,  dont l’efficience n’a rien à voir avec un faire ni même avec quelque chose d’intentionnel. « Là où je suis à l’écoute de l’inconscient, je ne pense pas avec mon Moi, je ne pense pas penser à ce qu’il en est de son inconscient », « l’acte psychanalytique opère, mais sans s’afficher, se poser intentionnellement comme acte. C’est même tout le contraire. C’est un acte qui ébranle tout ce qui serait à l’abris du ratage » dit Lacan.

 

                    Bref, ce n’est pas le savoir théorique qui opère dans la pratique (de l’acte) analytique dont Lacan disait qu’elle n’avait pas besoin d’être éclairée (même si ça peut parfois aider ou rassurer) pour être opérante. Mais se soutenir d’une docte ignorance au bord d’une faille n’est pas facile pour autant, ni tenable en permanence. Pour Lacan d’ailleurs la résistance du psychanalyste se manifeste en ce qu’il se refuse à l’acte.

 

                    Il le fait quand il cède à conseiller, prendre parti pour le patient, intervenir par de l’approbation ou le contraire, mais il le fait aussi quand il cède à se (com)mettre du côté « moïque » voire « surmoïque » et normalisateur de l’ordre social, médical, pédagogique , scientifico-psychologique, institutionnel pour collaborer à examiner, adapter, guérir, soigner, orienter, enquêter et renseigner sur ce qui, « là où c’était » et en saignant, pourtant cherche, et a à être, laissé advenir au dire par le décalage d’une prise de position, analytique, qui maintienne vif le travail de manque d’une cause perdue. Ce qui n’est que tierce demande et symptôme social de traitement psychanalytiquement intraitable ainsi, dont le sujet serait voulu l’objet « aseptisé », c’est l’acte analytique, en tant qu’opérateur, qui en permet parfois la bascule dans le symptôme analytique où alors seulement le sujet, par le travail de sa propre demande dans le transfert, peut se réaliser dans sa division et subjectiver son rapport au réel.   

 

                   Interrogé sur ce problème dans le lettre mensuelle de mai 99, Juan Carlos Derdadjian répond notamment que « différents domaines, comme ceux de l’éducation, de l’aide sociale, de la médecine ou du droit sont contaminés par cette croyance que tout peut être traité ». « Autrement dit, l’intraitable serait à situer ici de ne pas céder sur la demande émanant du social et de maintenir le désir du psychanalyste comme opérateur. Notre travail est de ne pas nous faire absorber dans la logique des appareils d’état ».

 

                    Ni dans celle d’aucun autre appareil médico-socio-pédagogique d’ailleurs, fut-ce en position, zélée ou non, de « collaborateur » pour, bon agent samaritain des temps modernes, mais psychothérapeute voué on le sait à l’impuissance d’une vaine mise au travail à la place de celle d’un patient non mis en position d’analysant, « se coltiner la misère du monde » comme disait Lacan dans « télévision ».

 

                                                                                                                                                   Michel Berlin

                                                                                                                                                    Mai 199





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