Le trait d'esprit : un acte créateur et un pas en avant du sujet

 

 

 

 

 

Pour Freud, déjà, le trait d’esprit est une manifestation de l’inconscient dont le mécanisme se joue sur un mode verbal selon les lois de la métaphore et de la métonymie, impliquant un  tiers. Alors que le comique est duel, le trait d’esprit prend son sens dans l’Autre, lieu symbolique du code et du « trésor des signifiants », qui le reconnait comme tel et non pas comme message incongru et insensé.

 

 

 

« Aussi bien que Dieu me doit tous les biens (message inconscient inversé reçu du lieu de l’Autre d’où il fait retour), j’étais assis à côté de Salomon Rotschild, tout à fait comme un égal » nous rapporte Freud dans son exemple. Et c’est là que se produit l’incongru apparent, le message inédit, la surprise, ce « scandale de l’énonciation » qui s’emboutit et échappe au discours courant intentionnel sous forme aussi bien d’acte manqué, que d’acte réussi, de dérapage que de création poétique. Apparaît alors « comme un famillionnaire » au carrefour condensé de familier et de millionnaire, avec aussi le sens surdéterminé de « fat-millionnaire ». Mais il y a d’autres lignes associatives qui convergent. Celle de famille et de millionnaire, nous dit Lacan. Par le mépris qui les sépare, l’oncle du sujet, Salomon Hein, millionnaire de la famille, lui refuse sa fille, objet métonymique de son désir. Le mot famille est alors refoulé, attiré par la vérité originaire refoulée que constitue l’objet métonymique du désir.

 

 

 

Par le trait d’esprit, quelque chose qui apparait « penser » et se dire selon des lois propres, dépasse le vouloir du sujet dans son discours intentionnel. Ce dépassement se produit comme accident, paradoxe, mais aussi surprise, prime de plaisir, création qui marque et pose la place d’un sujet ex-sisté : celui de l’inconscient. Se trouve marquée et engendrée, par cette création du nouveau, la place d’un sujet de l’énonciation ex-sisté de celui de l’énoncé du discours.

 

 

 

En tant que création poétique et engendrement métaphorique d’un sens nouveau, le trait d’esprit illustre à travers l’articulation des signifiants le long de la chaîne symbolique, le « vif déroutant de l’expérience analytique » selon laquelle  un sujet « pense » et « se dit » à travers (dia-logos?) cette articulation même. Ce sujet n’est pas une doublure du moi, un alter égo imaginaire. Il ex-siste en moi, selon une sorte « d’exclusion interne » qui fait qu’en moi, « ça » pense par ce que « je » dis. Avec l’engendrement métaphorique d’un sens nouveau surgit en outre une re-création métonymique de l’objet. Objet qui se révèle bien là dans toute la richesse de son hétérogénéité, de sa diversité et sa variabilité par rapport à l’objet biologique qui spécifie l’humain « subducté » et transcendé par le langage. Le sujet se trouve ainsi « vivifié » par l’engendrement d’un sens nouveau par lequel il passe.

 

 

 

C’est dans l’Autre, lieu du code, qu’il prend sens et valeur de sujet de « famillionnaire ». L’Autre estampille comme tel le trait d’esprit en marquant la place du sujet, apparaît comme le lieu où la demande de ce dernier, de par la coupure signifiante même d’où elle a pris naissance, demande insatisfaite et essentiellement toujours demande d’autre chose, trouve un certaine satisfaction symbolique comme issue. Un pas se fait par lequel le désir de reconnaissance de la demande s’est noué/transformé en une reconnaissance du désir dans son articulation signifiante. En effet, nous dit Lacan dans « Fonction et champ de la parole et du langage » (Ecrits p.268), « le désir de l’homme trouve son sens dans le désir de l’autre, non pas tant parce que l’autre détient les clés de l’objet désiré, que parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre ». C’est dans l’Autre qu’il prend son sens.

 

 

 

Par l’effet de la métaphore paternelle, un engendrement se fait par substitution d’un signifiant à l’autre selon l’exemple célèbre du poème de Victor Hugo « Booz endormi » rêvant d’une descendance où l’auteur nous dit du vieux Booz  que « sa gerbe n’était point avare ni haineuse ». C’est dans la substitution de sa gerbe à Booz que réside la force d’engendrement. Booz engendre ainsi symboliquement au prix de disparaître par substitution et chûte au rang de signifié selon la père-pé-tuation du meurtre du père originaire et du refoulement originaire. Le sujet surgit et renaît à chaque fois,dans le passage d’un signifiant à l’autre le long de la chaîne symbolique, par la fonction métaphorique vivifiante et créatrice du Nom du Père ainsi dégagée dans son opérativité.

 

 

 

L’engendrement métaphorique réside dans le fait que le terme agissant est « éludé » par le mécanisme substitutif du refoulement, comme « famille » dans « famillionnaire » et comme « Signor » renvoyant à « Herr » et à l’indicible des choses tout à la fois dernières et originaires du langage et de l’entrée du signifiant dans le réel. Mais dans un cas, il y a élaboration verbale et passage métaphorique, dans l’autre il y a mise en acte par l’oubli de l’impuissance à créer un dire devant le réel de la mort ... le maître absolu qui fait trou. Un trou originaire et originant qui cause pourtant le parlêtre. Là, rien ne lui vient métaphoriquement à la place. Il a visualisé la mort (la fresque) au lieu de dire (le nom) le manque.

 

 

 

Le trait d’esprit se révèle bien comme un acte créateur et cet acte signe de plus comme un pas d’engendrement métaphorique du sujet le long de la chaine signifiante.

 

                                                                                               M.B.