Le psychologue, la loi, le sujet et le ... reste.


 

 

Le psychologue, la loi, le sujet et le ... reste.

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Le psychologue, la loi, le sujet… et le reste.

(Conférence plénière à Besançon dans le cadre d'un colloque en avril 2005 )



Introduction

 

 

Pourquoi, le psychologue serait-il toujours à mettre au pas?  N’est-ce pas que dans notre monde néolibéral à tout va, c’est la loi du marché et du profit maximum qui, pour un impératif de jouissance immédiate par l’objet à consommer, tend à être substituée à la loi symbolique? Celle dont la fonction paternelle, loin d’empêcher le désir, en est le pivot par l’opération d’une métaphore : le signifiant du Nom du Père. Production et nécessité de la présentation narcissique en escalade d’un objet de consommation d’un côté, promotion évolutive et créatrice de la représentation d’un manque dont le sujet est l’effet de l’autre. A l’inverse de l’illusion de pouvoir jouir immédiatement de la possession de l’objet et de satisfaire le modèle capitaliste de gestion évaluative de l’humain comme instrument acéphale de production, le psychologue promeut le désir dont la structure trace le chemin de l’autonomie responsable de la personnalité.

 

 

 Mais est-ce pour cela qu’il reste un sans place indépendante et délimitée dans la jungle du grand marché mondial? Celui dont la logique gestionnaire et rentabiliste chosifiante envahit aussi nos institutions éducatives, sanitaires et sociales? Et notamment dans la jungle d’un libéralisme débridé  promouvant en guise de repères symboliques comme assise structurante et stable, l’apparence fugitive des paillettes et de  l’image où chacun, délivré illusoirement de la loi mais en errance, croit pouvoir faire sa propre psychologie, comme M. Jourdain faisait de la prose? Dans cette jungle marchande, sur le modèle provocant du déni pervers,  il s’agit de se montrer pourvu et sans faille, hors castration et hors filiation. Dès lors n’importe qui, pourvu que son image soit connue, peut laisser croire pouvoir s’autoproclamer faire n’importe quoi. Ceci au nom du règne de l’image et de ses apparences. De ce qui tend à primer sur le symbolique en vertu de l’effacement de l’histoire et au profit de la modernité de l’instant présent, du rejet de la conceptualisation[1] et de la transmission des savoirs et au profit narcissique d’un pseudo- modernisme sans dette et sans pères qui s’auto-originerait.

 

 

Pourquoi la loi ne reconnaît-elle toujours pas un secret psychologique distinct du secret médical ainsi que la liberté d’adresser directement sa demande d’aide à un psychologue indépendant et responsable? Pourquoi déqualifiée et subordonnée, la pratique du psychologue reste-t-elle encore livrée à la dérive de l’instrumentalisation technicienne et au lit de Procuste de ses tutelles judiciaires, médicales, pédagogiques ou sociales ?

 

 

Autant de tutelles qui la détournent dans leur logique différente : celle du maître, du marché ou du bon samaritain. Autant de logiques dans lesquelles la subjectivité serait voulue laissée pour compte et le professionnel chargé d’en accueillir l’émergence et le travail, ne serait voulu qu’un simple et docile instrument de pouvoir.

 

 

Or au fond, quelle horreur à maîtriser ou repousser représente, mobilise et met au travail de la parole, l’acte clinique du psychologue, comme celui du psychanalyste?

 

 

Comme nous l’a enseigné Jacques Lacan avec sa découverte de l’objet dit petit (a), cette horreur c’est l’existence d’un trou dans le psychisme. Il s’agit d’une faille en nous. D’une part de réel indicible et impensable. D’une blessure sans aucun  pansement … de la pensée. Pensez donc, non seulement, selon le scandale mis à jour par Freud, le moi n’est pas maître en son logis. Mais encore, par le truchement de la fonction paternelle et de la signification phallique introduite comme opérateur faisant issue à un impossible, une grande part du réel en est sexualisée. Et enfin, plus angoissant et inacceptable encore que la sexualité, il y a de l’impensable en nous qui échappe à toute symbolisation et qui reste actif. Le langage et la pensée en effet ne recouvrent pas entièrement le réel. Celui-ci n’est pas entièrement traité par le signifiant et la fonction phallique.  Il y a du sujet, certes  comme effet de la loi du signifiant mais il y a aussi un reste. Irréductible. Et si ça laisse précisément à désirer, ça laisse de l’angoisse aussi !

 

 

Cette béance fait blessure de ne pouvoir se symboliser. Mais c’est pourtant elle qui cause le désir et la subjectivité. Elle opère comme effet de coupure d’un refoulement originaire dépendant de l’entrée dans le langage. S’y introduit une place vide, un trou analogue à la case vide du jeu de taquin, sans laquelle il n’y aurait pas de je(u)… possible.

 

 

Le travail créatif de l’horreur de cette blessure introduit un manque à être structurel  incomblable mais opératoire au cœur de l’Homme.

 

 

Dès lors, selon cette théorisation structurale, toujours en vigueur quoi qu’on en dise, le  passage comptable sous la norme froide de l’expertise statistique et du protocole standard objectivant, c’est comme si des sourds imposaient l’appréciation de Mozart sur oscilloscope cathodique. Peut-être croiraient-ils ainsi compenser par une sorte de zapping l’infirmité de leur sensibilité auditive et se donner l’impression d’être précis et objectifs. Mais cette manière caricaturale, est  hélas très prisée de nos jours chez nos grands comptables acéphales. Pour eux, la mesure, le profit et la rentabilité tiennent lieu de pensée. Mais ce passage imposé de la subjectivité sous la toise illusoire de l’objectivation quantifiée, s’il peut à coup sur étouffer et stériliser dans l’instant ce reste irréductible qui nous cause, pourront-t-il ainsi réussir à le solder pour en être enfin quitte? Pourront-ils se débarrasser du reste comme du désir, qui viennent tous deux gâter la plénitude d’une jouissance triomphante du pouvoir de l’argent, de l’objet de consommation et de la dictature dénaturante de l’évaluation scientiste.

 

 

Je ne crois structurellement  pas. Et la montée ici et là de la violence, de la dépression, de l’escalade de la répression et des mesures autoritaires en sont la contre partie. Au plus on bâillonnera le sujet, au plus il cherchera à se faire entendre autrement, quand même, nous en sommes persuadés. Plus le symbolique et le sujet seront laissés pour compte plus grand restera le risque d’un retour de bâton autoritaire, voire totalitaire.

 

 

Aussi bien dans la société en général, qu’à l’école, à l’hôpital, en prison, à l’usine, dans l’entreprise et ailleurs.

 

 

Il y a du réel et du pulsionnel au cœur de l’Homme. Et c’est prêt  à faire retour comme un  boomerang quand on ne veut rien en savoir. Tant il est vrai que tout ce qui est rejeté du symbolique fait retour dans le réel et que c’est le refoulé symbolisé, qui  à un autre niveau et d’une autre façon, fait retour dans le symptôme névrotique, comme parole qui a raté à se dire.  C'est dire qu’il y des retours inévitables lorsqu’on cherche à les bâillonner de force et à les stériliser avec ceux qui, travailleurs du psychique comme nous, sont là pour accueillir et promouvoir le travail d’évolution humanisante de ce reste.

 

 

Au fond, c’est bien sur ce qui d’ordinaire n’est pas pris en compte et reste en marge, qu’en tant que psychologues, professionnels parmi d’autres (psychanalystes, psychiatres, psychothérapeutes) des traitements intersubjectifs par la parole, nous opérons, si nous nous situons aussi dans une démarche et selon des références cliniques psychanalytiques dans lesquelles j’inscris ce propos. Mais encore faut-il, que le choix de ces démarches et de ces références reste librement garanti par contrat social selon les lois de la cité et les réglementations institutionnelles.

 

 

Encore faut-il  que  ce ne soit ni ignoré ni rejeté par des mises au pas qui, soit pour des raisons concurrentes de domination corporatistes monopolisantes, soit pour des raisons d’idéologie chosifiante,  jetant le bébé de la subjectivité avec l’eau du bain, nous détourneraient dictatorialement et stérilement de ce rôle et de cette place. Croyant défensivement ainsi, en maîtrisant des psychologues instrumentalisés, pouvoir mieux maintenir l’illusion « vendeuse » de pouvoir maîtriser le sujet parlant et son désir en le faisant marcher d’un même pas : celui d’une idéologie qui promet la jouissance par la sortie perverse des apories de la division psychique et de son cortège d’inhibitions, de symptômes et d’angoisse[2].

 

 

Voici donc introduites en un premier circuit les grandes lignes des questions dont je me proposais de vous parler.

 

 

Nous allons à l’occasion de nos associations y revenir et développer ici et là, chemin faisant, quelques aspects de ces questions de fond plus que jamais actuelles.

 

 

                    

A propos de quelques antécédents et d’une autre logique.

 

Pour vous situer un peu l’historique de mon propos, ça fait quelques années maintenant que je réfléchis et interviens sur cette question. Je le fais pour tenter de sauvegarder une place à la fonction clinique du psychologue. Je le fais surtout, dans une visée éthique plus profonde non corporatiste, pour maintenir à travers elle ce dont elle représente l’existence et le travail : c'est-à-dire la subjectivité. 

Aussi, c’est presque automatiquement que j’ai fait le pas en avant de répondre favorablement à la demande d’un des organisateurs de ce colloque. Nous nous connaissons depuis longtemps pour avoir « ramé » dans les mêmes galères de l’éducation nationale et avoir milité dans la même instance syndicale, à l’époque le SPEN. Il s’agissait ainsi de chercher à rester debout dans notre dimension psychologique et à résister à nous laisser « pédagogiser » et « flicologiser » selon l’uniforme et la pensée unique de l’idéologie de notre institution. Celle qui prône le rejet de la logique du sujet au profit exclusif de celle du maître, du bilan et de la mesure. Celle qui a voulu scolariser le psychologue pour mieux le domestiquer par le formatage stérilisant d’un diplôme à part et en dessous des autres et par une mise à un autre pas que le sien dans le statut d’une autre profession. Il nous a fallu, contre vents et marées, tenter de nous maintenir à part, différenciés, ex-sités[3] comme l’est le sujet. Un sujet qui, lui non plus, n’a pas de signifiant qui le signifierait, puisqu’il n’est que représenté, comme un en moins, entre les lignes et les mots de son discours. Ce maintien dans une place, un rôle et un statut professionnel de psychologue, comme vous le savez au SNP, fait pour l’heure toujours antichambre dans cette institution, à cet égard notamment encore très en retard. 

 

La proposition qui m’a été faite de parler du rapport du psychologue à la loi m’a semblé découler de ce qu’offraient mes réflexions écrites passées.  Elles donnaient l’appui d’une série d’arguments et de perspectives fondant, au-delà de son titre désormais réservé par la loi, la singularité indépendante d’une place et d’un rôle, tant dans ses démarches et ses moyens que dans son acte. Cet acte dépasse largement la simple mise en œuvre d’une technique comme le voudraient croire parfois certains gestionnaires. Il relève clairement d’une fonction de conceptualisation et du statut de cadre. Cet acte complexe et hautement humain, comme le dit bien l’argumentaire de ce colloque,  consiste essentiellement en une rencontre interhumaine entre un sujet de désir faisant état d’une demande d’aide et un professionnel dont la démarche se situe d’emblée dans l’offre d’un cadre. Il s’agit d’un cadre qui accueille, promeut, et suscite le déploiement d’une logique dialectique de subjectivation liée à l’interaction où la personne met son psychisme au travail en parlant au psychologue. Et c’est ce travail de parole qui le modifie. L’effet est évolutif et constructif. Mais sa composante thérapeutique, quand composante thérapeutique il y a, ce qui n’est pas toujours le cas, vient de surcroît et en chemin, comme un effet de soin. De plus, elle y est particulière au regard de la thérapeutique médicale qui vise à traiter le symptôme et la maladie comme troubles objectivés et évalués de l’extérieur pour les diagnostiquer, les classifier et les guérir.

 

Nous savons depuis le pas en avant de Freud par rapport à cette conception médicale que, d’un  point de vue de psychologie clinique psychanalytique, il n’en est pas ainsi.

Pour nous le symptôme a un sens à découvrir par le « patient » lui-même. Il est la réalisation d’un fantasme inconscient d’accomplissement de désir. Il constitue l’expression d’un conflit inconscient et non pas une maladie. Selon Lacan, c’est un effet du symbolique dans le réel. Il provient du fait que l’Homme est un être parlant, divisé par le langage. Le sens du symptôme, le savoir en psychanalyse, même s’il est nécessaire qu’il soit supposé par transfert au clinicien, ce n’est pas celui-ci qui le possède et qui va enseigner le sujet souffrant sur ce qu’il a, en l’objectivant ainsi comme en médecine. L’inconscient est structuré comme un langage. Le sujet de l’inconscient, celui qui n’a pas de signifiant propre, est un en moins de la chaîne symbolique. Il n’est que représenté par un signifiant pour un autre signifiant, comme le dit Lacan. Eh bien, ce sujet-là, n’est qu’un effet de langage et ne peut que se mi- dire entre les mots. Sujet non pas de l’énoncé mais de l’énonciation. Et encore faut-il tenir compte du transfert. C’est dire qu’il ne saurait s’apprécier, ce sujet, dans des nosographies catégorisables d’outre Atlantique et de leurs dérivées évaluatives conceptuellement et scientifiquement inadaptées à sa mesure et à sa prise en compte. Dans ce symptôme, il s’agit d’une vérité bâillonnée, d’une parole refoulée ou non advenue, qui parle ainsi comme formation de l’inconscient. Cette vérité reste à entendre et à être reconnue dans le sens de ce qu’elle veut dire sous le déguisement de ce chiffrage pour qu’elle puisse se dire autrement en se verbalisant par mi- dire.

 

Cette vérité apparaît initialement, comme désir de l’Autre, dans un Autre érigé, par le pivot du transfert, en une instance supposée savoir et gouverner le destin du sujet en disposant à sa guise des mobiles qui le dirigent à son insu. Il s’agit alors que, par un mouvement de bascule, le sujet puisse la reprendre à son compte sous cette forme ainsi révélée en y reconnaissant le jeu de son propre désir. Un sujet désormais passé responsable. Non pas de ce qu’il subit passivement en victime de son symptôme, mais de ce qui lui arrive et de ce qu’il a à subjectiver. « Là où c’était je dois advenir » nous a dit Freud.  Pour ce faire, on le sait, il y faut le truchement d’un Autre en position d’adresse, sur qui il y a transfert. Il y faut aussi la mise en œuvre d’un processus dialectique qui fait coupure dans les deux faces du symptôme : une face de jouissance comme satisfaction paradoxale qui fait souffrir et une face de langage duquel une parole peut en être issue.


 L’éthique de la psychanalyse et des traitements de psychologie clinique qui s’y réfèrent, celle du « je dois advenir là où c’était», la jouissance,  n’a rien d’une orthopédie mentale visant l’éradication rapide d’un trouble comme partie immergée d’un iceberg. Le praticien, s’il promeut néanmoins la mise en fonction opératoire du Nom du père comme processus de symbolisation, n’y est pas en position d’autorité pour exercer un pouvoir surmoïque prescriptif ou éducatif, un pouvoir de séduction identificatoire, d’influence hypnotique ou de conditionnement opérant. Bien au contraire, il y est en position de déchet, d’horreur, d’en creux et de tenant lieu angoissant de rien. Il y est en position de support abject mais essentiel de ce qui cause et mobilise le sujet. Le sujet d’un savoir insu mais inscrit en lui qu’il a à faire advenir à la parole. En mettant à nu et à vif ainsi ce qui cause le désir, le clinicien est un empêcheur de jouir et de dormir en rond. Un casse pied de la pulsion jouissive de mort en quelque sorte.

 

Reste à ne plus laisser nier malhonnêtement que des méthodologies différentes découlant de conceptualisations théoriques différentes ne peuvent se subordonner ni se comparer de façon amalgamée avec les mêmes méthodologies évaluatives, les mêmes échelles de valeur ni les mêmes instruments. Ceci reviendrait à faire triomphalement une science sans conscience dont on sait bien qu’elle n’est que ruine de l’âme et qu’elle ressortit perversement à ce qu’on peut qualifier de scientisme. C'est-à-dire l’opposé de la science dont les théories ne cessent de se modifier en fonction de la résistance du réel qui, là aussi, les cause.

 

En effet, que dire d’un astronome qui, subordonné au retour soi-disant moderne d’une idéologie néo-obscurantiste de son époque, ne devrait travailler que dans un univers mathématiques inscriptible dans une logique évaluative linéaire à deux dimensions qui lui serait autoritairement imposée ? Qu’il n’aurait pas le bon instrument. Tout comme celui qui, le malheureux, prétendrait évaluer Mozart avec un pied à coulisse. Quelle est cette fable selon laquelle le modèle psychanalytique de la conception du psychisme découlant des lois du langage serait désuet? A qui sert-elle de prétexte et pour quelle visée?

 

Chez l’homme, la fonction symbolique corrèle avec les lois métaphoriques et métonymiques du langage. En mesurer les effets ne peut donc se faire en dépit de toute prise en compte de la spécificité de ses lois et sans la conceptualisation des modalités de leurs effets. Sauf à s’exclure de toute prétention scientifique pour tomber dans un scientisme religieux de la croyance en la mesure pour la mesure à tout prix. Là où c’est la foi qui prévaut sur la compréhension.

 

Hélas ce scientisme est particulièrement envahissant et offensif ces derniers temps. Il s’institue comme sorte d’intégrisme obscurantiste d’une religion mercantile, scientifique et pragmatique qui voudrait dicter sa croyance à un comportementalisme conditionnant ou médicamenteux, ainsi qu’en un homme chosifié, traité comme un organe neuronal muet, qu’on mettrait en équation.

 

Il fait effet de nouvelle invasion barbare selon le mot d’Elisabeth Roudinesco [4]. Il est la nouvelle forme dominante de résistance à la psychanalyse, c'est-à-dire au réel comme point de gravité, à l’inconscient et à la division subjective qui le cause. Mais aussi il fait  résistance à ce que l’éthique inhérente à une théorie du sujet se constitue comme contraire au partage de l’idéologie de notre époque d’un homme « sans gravité », au sens du mot de Melman [5]. Cet Homme fuit de plus en plus la loi symbolique du père qui loin de l’interdire promeut le désir. Il la fuit dans une illusion de complétude et de droit naturel au mirage de l’image du bonheur avec toutes les conséquences dépressives que l’on connaît. Il la fuit au profit de l’illusion de maîtrise d’un nouveau moi renforcé et au profit du court-circuit jouissif que constitue la seule consommation addictive de l’objet du marché. Un objet bien présent celui-là, aucunement opératoire, et quasi fétichisé. Avec la dégringolade du père [6]dans son statut, depuis la chute du modèle patriarcal, et donc aussi avec la dégringolade de la différence des sexes, amalgamée à celle des inégalités, serait-ce la fonction phallique symbolique, que traditionnellement il représentait, qui en aurait pris un coup sous forme de pertes de valeurs? Celles qui promeuvent et orientent le désir? Ce sont ces valeurs idéales qui sous-tendant l’idéal du moi symbolique et qui servent d’issue. Ces pertes de repères se seraient-elles faites au profit d’un Moi idéal imaginaire moins stable et toujours prêt, s’il n’est pas perpétuellement regonflé par l’escalade d’une nouvelle possession narcissique, à se dégonfler sur le mode dépressif comme une baudruche?

 

Encore là que parler d’acte, comme on pourrait parler par exemple de l’acte médical ou de l’acte psychanalytique, renvoie à la question de l’existence d’une ligne commune à l’ensemble des actes découlant de l’usage du titre de psychologue, tels qu’ils pourraient se conceptualiser comme acte du psychologue. En accord avec la conceptualisation des organisations de psychologues de l’époque, lors de la réglementation de l’usage du titre en 1984, le législateur avait voulu laisser de côté cette question complexe de la nomination de l’acte psychologique. Un acte qui comporte des différences qui font divisions mais aussi des recouvrements partiels avec ceux d’autres professionnels. Tout psychologue n’intervient pas selon une démarche clinique intersubjective d’une part. La dimension clinique de l’acte du psychologue, même s’il n’en a pas la visée directe et systématique et s’il n’est pas réservé aux malades au sens pathologique et médical du mot mais au sujet en souffrance, n’en a pas moins pour autant un effet psychique évolutif d’ordre libératoire et thérapeutique d’autre part.

 

Dans un rapport[7] sur l’évolution de la formation du psychologue et la revalorisation sociale de son acte adressé au Vice-Président de l’Université de Provence, Roland Gori[8] parlant du titre de psychologue écrit : « Cette formation « généraliste » et « minimaliste » à bac + 5 offre une solide garantie universitaire (théorique et pratique) à même de protéger un titre commun de psychologue selon la loi du 25 juillet 1985. Ce titre en même temps qu’il garantit au public une formation universitaire de haut niveau de celui qui y prétend ne propose aucun statut spécifique et aucun acte qui en découlerait. C’est là que le bât blesse dès lors que les psychologues se trouvent requis à nouvelles fonctions, à de nouvelles prestations dans les services de santé ou dans les domaines socio professionnels les plus divers. » Il évoque là la fonction d’aide et de suivi psychologique, « la fonction psychothérapique que bien des psychologues sont amenés à assurer dans la prise en charge de la souffrance psychique, qu’elle soit d’ordre psychiatrique ou à l’occasion de crises existentielles ordinaires ne relevant pas d’une pathologie psychiatrique, en ayant complété leur formation par une formation personnelle longue et conséquente. Mais cependant, injustement aucune reconnaissance sociale n’accompagne cette formation supplémentaire alors qu’elle relève le plus souvent d’une formation spécialisée post DESS très pointue de psychothérapeute ou de psychanalyste internationalement reconnue par les travaux de publication qui en ont découlé. »

Certes, en matière de pratique analytique ou psychothérapique intersubjective, c’est essentiellement de l’effet de sa propre psychanalyse ou psychothérapie, et avec ce qu’il est dans ce qu’il entend, que le clinicien opère. Il le fait dans un acte par rapport auquel aucun diplôme universitaire ne saurait suffire à faire totale garantie. Cet acte dépasse largement voire tourne le dos à la simple application technique d’un savoir.  D’ailleurs, dans ce domaine aussi, il y a sûrement à faire avec une part, l’Autre de la pensée consciente qui se pense, qu’aucune garantie ne saurait recouvrir de l’extérieur.

C’est après tout peut-être, comme le dit Colette Soler [9] « la part de liberté qui reste au sujet moderne de se confier à une personne de son choix, et d'en évaluer lui-même les bienfaits ». Pour non suffisante en soi qu’elle soit au regard de l’habilitation à conduire des psychanalyses ou des pratiques cliniques qui s’y réfèrent, vu que ce n’est pas de ce lieu de savoir que l’acte clinique opère, une solide formation en psychopathologie clinique ne serait néanmoins pas superflue pour les psychologues qui veulent se spécialiser dans le traitement par la parole de la souffrance psychique. Rien ne fonde logiquement à ce que cette formation, psychologique, soit confisquée et profilée par le pouvoir et la pensée médicale. Car ces traitements de psychologie clinique, psychothérapiques de surcroît seulement, ne sont pas médicaux, et encore moins paramédicaux. Ils débordant le champ de la médecine et de la psychiatrie. Ils ne devraient pas s’exercer dans les seules institutions soignantes, compte tenu de la transversalité d’un sujet divisé et d’une symptomatologie psychanalytique conçue autrement qu’un trouble ou une maladie.

De plus, l’élévation diplômante de la formation vers un doctorat, qui ne se substituerait pas aux indispensables formations de base tirées d’une expérience psychanalytique ou psychothérapique personnelle conduites à leur terme, ne ferait, comme le dit Roland GORI, qu’entériner et permettre de reconnaître enfin socialement et financièrement, mais aussi au plan de l’indépendance par rapport à la médecine les habituelles et courantes formations complémentaires que se donnent depuis longtemps nos collègues qui pratiquent des traitements par la parole. Dans l’immédiat une sixième année diplômante de formation est à mettre en place en liaison avec l’université et dans la perspective, très proche, de légaliser la nécessité d’obtention d’un doctorat en psychopathologie clinique dans le cadre de la réforme universitaire Licence, Mastère, Doctorat, avec prise en compte des acquis par l’expérience pour les anciens praticiens qui se sont dotés des moyens de leurs pratiques analytiques ou psychothérapiques. Ainsi, les effets d’indépendance incontestable, découlant du niveau doctoral de 3ème cycle, ne seraient-ils plus discutables au regard des doctorats de médecine par la récente retombée contestable au second cycle du mastère, des conditions de niveau du titre professionnel de psychologue. Ce qui exclut donc catégoriquement à mon sens une formation en faculté de médecine qui ne viendrait que mieux profiler paramédicalement la profession comme l’envisage, à titre de grossière manœuvre, le récent plan Douste-Blazy.

Pour Roland GORI donc, la demande en psychothérapie et en traitement psychologique comme prise en compte de la part d’humain augmente. Mais cette augmentation, ni la médecine ni la psychiatrie ne peuvent y faire face. Faute d’accroissements de moyens en psychiatres selon la politique actuelle d’une part, par la logique scientiste qui travers la médecine d’autre part. Par nécessité logique de ne pas psychiatriser ce qui ne l’est pas et sort de ce champ enfin pourrait-on ajouter. Dès lors, le sentiment de se sentir rejeté comme sujet par le patient de la médecine qui continue de s’adresser à elle va aller croissant. Il conclue que « faute de devoir prendre en compte cet impératif éthique et social de cette souffrance ordinaire, la judiciarisation de l’acte médical aura encore de beaux jours devant elle ».  Il envisage alors « d’aller vers la reconnaissance de qualifications et de spécialisations en psychologie, comme l’ont fait parfois certains pays européens » ce qui suppose que l’acte des psychologues tant généralistes que spécialistes soit revalorisé socialement et économiquement et que d’autre part par le jeu de validation des acquis professionnels les psychologues que exercent de facto des missions de spécialistes soient reconnus de jure dans leurs actions. »  A ces conditions, poursuit-il, la profession ne serait pas menacée.

 

Car tant que l’acte reste un non-dit sans nom et sans reconnaissance, il existe, me semble-t-il, une tension paradoxale au regard de l’exercice de la psychologie entre les lois sociales et réglementations d’une part et la loi, symbolique celle-là, qui a rapport opératoire avec l’usage qu’on attend au fond du psychologue. Un psychologue entendu ici au sens large ordinaire de celui qui connaît et traite le psychisme, comme tenant lieu de cause et d’adresse à son expression constituante. Le non-dit favorise les amalgames.

 

L’acte psychologique n’est perçu que comme « pratique de bavardage » superfétatoire par certains.  Drapés dans la suffisance d’un scientisme pseudo moderne et tout puissant, ils se limitent ainsi à la surface apparente et objectivable des choses. Cette psychologie peut alors s’exercer et se déléguer pour eux naturellement et sans long apprentissage, ni formation personnelle, comme M. Jourdain faisait de la prose.  C’est là encore un court-circuit d’autant plus tentant qu’il est possible et couramment pratiqué dans les multiples associations, les entreprises et même par l’Etat comme employeur, au nom des exigences concurrentielles du marché et de la rentabilité comme nouvelles lois divines. Actuellement, dans cette logique simpliste, il serait politiquement souhaitable et rentable que les pratiques relationnelles longues, dérivées de la psychanalyse, soient remplacées par des thérapies comportementales ou d’autres traitements rapides et ciblées qui feraient office de « canada-dry » de la psychothérapie analytique.

 

Ces soi-disant nouvelles techniques font fi des causes profondes et générales tenant à la structure de la subjectivité, aux lois de la langue et à la nécessité de lente émergence de l’inconscient à la révélation du mi-dire. Mais en revanche, et selon l’air du temps visant à suturer imaginairement et au plus vite le manque et à court-circuiter ainsi son possible travail, elles satisfont parfaitement à l’exigence de découpages des souffrances et des soi-disant techniques spécialisées de traitement et de prises en charge ainsi qu’à leurs praticiens et aux institutions qui en vivent. Aussi les catégories « d’ouvriers spécialisés » des techniques compartimentées de traitement des troubles psychiques ne cessent de croître au fur et à mesure de l’affinement sans limite des découpages objectivants des symptômes sur le seul modèle médical du trouble. C’est là une nouvelle croyance que l’ont voudrait faire passer pour du modernisme[10] au nom duquel la psychanalyse et sa complexité plus englobante serait rejetée comme ringarde et inefficace avec ses praticiens empêcheurs de « thérapier » en rond un sujet identifié, objectivé, et réduit à son trouble. Un sujet ainsi laissé en souffrance sur le bord du chemin symbolique dont on ne s’étonnera pas d’avoir à payer les conséquences sous forme de retours.

 

Elles apparaîtraient, ces « nouvelles » thérapies, comme des « outils » thérapeutiques. Soit de simples techniques médicales ou paramédicales qu’en quelques heures seulement de formation, médecins généralistes, paramédicaux et travailleurs sociaux pourraient pratiquer. ... Ainsi pourrait-on rattraper pour la plus grande satisfaction du moi et d’un certain corporatisme, tous deux de nouveau maîtres en leur logis, ce qu’ils sentaient leur échapper. 

Ça ne vous évoque rien de ce qui se passe dans la profusion d’associations, d’instituts, dans les établissements de soin et les établissements d’enseignement où l’écoute, celle de M. Jourdain, s’y généralise en s’y transférant dans le seul champ médical de la santé. Un champ où médecins généralistes et infirmiers sont chargés par des plans ou directives de la direction générale de la santé, sur le même plan que les psychologues voire à leur place,  de fonctions psychothérapiques d’aide et d’accompagnement psychologique.

 

Il y aura bientôt autant de spécialités thérapeutiques et de parts de marché que de troubles repérés. Tout est  bénéfice dans ce vaste amalgame programmé. Elles s’y transfèrent ces techniques de façon moins conséquente pour la résistance à cet Autre en nous.  Mais elles le font de façon plus rentable pour les finances, les cotations techno administratives et l’annexion médicale du psychologique vers le personnel paramédical plus habituellement spécialisable selon les découpages de l’humain et mieux médicalement contrôlable et « gérable » selon le mode de gestion économique de la nouvelle religion néolibérale aussi. Mais il n’empêche qu’il ne s’agit que d’un amalgame qui jette de la poudre aux yeux.

 

Dans le contexte idéologique de notre époque où l’impératif du droit au bonheur tient lieu de demande, la psychanalyse, les pratiques cliniques qui s’y réfèrent et leur éthique de subjectivation ne s’inscrivent pas assez facilement, pas assez vite et surtout avec pas assez de partage complice identificatoire dans cette promesse quasi religieuse.

 

Comme le disent John Holland, Colette Chouraqui-Sepel et Colette Soler dans l’argumentaire de présentation de leur séminaire des Formations Cliniques du Champ Lacanien sur l’éthique de la cure analytique : « Thérapier les souffrances psychiques est aujourd’hui devenu un mot d’ordre, assorti d’une offre généralisée, et politiquement exploitée. … La psychanalyse en est sans doute indirectement responsable, mais elle en porte aussi le coup, sommée qu’elle est d’y répondre, sans pouvoir s’en laver les mains au nom de la psychanalyse pure. En effet toute cure qui se veut analytique est traversée par ces finalités hétérogènes qui divisent les sujets : soigner ou analyser, endormir ou cerner le désir, calmer le symptôme ou aller à sa cause ».

 

Comme le dit bien par ailleurs encore Colette Soler [11] en parlant de l’amendement Accoyer qui le légalisait, cet amalgame entre les techniques les plus diverses mises sur un même plan d’indifférenciation, « tire un trait sur la psychanalyse laïque pour laquelle Freud s’était battu, fait rentrer sous la toise de l’idéologie du tout évaluable la relation de transfert nécessairement confidentielle et imprescriptible, tend à ramener la médecine en position d’expertise dans le champ psy dont elle s’est de fait exclue par sa propre scientifisation ». A terme se profile là dans ce n’importe quoi par n’importe qui, propre à l’imaginaire, l’étouffement de la psychanalyse et des applications qui en découlent au nom d’un scientisme borné, le plus contraire à l’esprit scientifique.

Une logique implacable et dangereuse semble en marche. Ayant ainsi pédagogisé le psychologue et transféré en la paramédicalisant son autre écoute aux infirmières, que dire désormais de la place réservée au sujet dans les récentes dispositions en matière de santé dite scolaire qui, sous bonne conscience gestionnaire hygiéniste et sécuritaire, instrumentalisent mieux ainsi une véritable flicopathologie scolaire mégalo scientiste ?

 

Au-delà de la réglementation des psychothérapies.

 

Je cherchais un angle d’attaque et un fil à suivre, un peu structuré à mon propos et j’ai eu du mal parce que je réalise qu’habituellement je pars en rebondissant sur quelque chose qui fait cause. Bien sûr j’avais présents à l’esprit, sans trop savoir comment les structurer les uns par rapport aux autres plusieurs points.  L’effet subversif de l’éthique du sujet, sa conceptualisation et les pratiques qui en découlent, les détournements institutionnels subordonnants de type paramédicalisation et psychopédagogisation, les idéologies institutionnelles et corporatistes selon l’imaginaire idéal prévalant dans la psychologie des foules (lesquelles sont toujours un peu du modèle totalisant et sectaire entre église et armée), la fin du modèle patriarcal, la chute de la fonction paternelle et le flou des repères symboliques de notre époque de transition, avec la loi du marché et la recrudescence des réglementations sécuritaires comme prothèses substitutives... Tout ce qui surdétermine en fait ce qui tend à discréditer scientifiquement la psychanalyse [12] pour renforcer une idéologie par rapport à laquelle le sujet et son incontrôlable liberté feraient tache, comme le dit Agnès AFLALO dans un article à propos du rapport de l’INSERM. Le fameux rapport, celui qui, d’apparence scientifique, conclue à la supériorité thérapeutique des pratiques comportementalistes par rapport aux pratiques psychanalytiques et à leurs dérivées intersubjectives. Quand on veut se débarrasser de son chien, en effet, ne dit-on pas qu’on l’accuse de la rage ?

 

Puis je me suis dit que précisément ce n’est pas dans le discours universitaire d’un savoir organisé et en position maître d’agent qu’il y avait à situer ces propos. Il s’agissait simplement d’élaborer en associant à partir de ce qui fait justement pavé actuel dans la marre. Il s’agit de rebondir sur ce qui a fait pavé pour moi, comme pour bien d’autres intellectuels et praticiens connus, reconnus ou pas, au point de me faire sortir de la sérénité de ma retraite et lever de mon fauteuil. J’ai été amené récemment à écrire d’une part sur le site Œdipe, à propos de cet amendement Accoyer et de la ligne politico idéologique qui le sous-tend, un article intitulé « Main basse techno psychiatrique sur le marché de la parole du sujet » puis une communication « Un panier de crabes ? » suivie d’une autre « Alors la psychanalyse et les traitements de la subjectivité : des activités ringardes et inefficaces ? ». J’ai aussi écrit d’autre part pour le récent bulletin du SNP dont le dossier concerne la psychologie dans l’éducation un article intitulé « Témoignage d’un triste gâchis » et va paraître une suite dans le prochain.

 

J’y dis notamment en parlant de la place du psychologue et de la prise en compte psychologique du sujet dans les établissements scolaires qu’il me faut encore témoigner. Témoigner c’est transmettre dans une dimension historique décollant de l’instant présent et du simple contenu objectivable pour mettre au travail ce qui passe du sujet et du reste qui le cause entre les lignes. Et c’est finalement ça qui fait transmission humanisante et peut faire rebondir le désir pour chacun.

 

L’amendement Accoyer a donc mis le feu aux poudres car il confiait au Ministère de la Santé, par le biais de ses décrets, à la fois la définition des catégories de psychothérapies recevables, leur mise en œuvre légale qui devait être réservée aux psychiatres, médecins, et psychologues, à condition qu'ils aient en outre une qualification supplémentaire, fixée par décret elle aussi, et sous la houlette de l'ANAES.

Du coup la loi aurait fait entrer dans le champ de la maladie mentale, de la prescription et du contrôle psychiatrique tous les traitements par la parole qui mobilisent la subjectivité, psychanalyse traditionnellement a topique, incluse. Elle faisait l'amalgame entre des techniques les plus diverses, en effaçant la psychanalyse laïque pour laquelle Freud s'est battu, et en faisant rentrer sous la toise de l'idéologie du tout évaluable et protocolarisable la relation de transfert [13]nécessairement singulière et confidentielle.

 

Pire : on ramenait la médecine en position dominante d'expertise dans un champ psychologique dont elle est désormais de fait exclue par sa propre scientificité. Se profilait là le règne d’un formatage sanitaire généralisé ; la fin programmée de la liberté qui reste au sujet moderne de se confier à une personne de son choix, et d'en évaluer lui-même les bienfaits [14].  Avec la para médicalisation de la psychologie clinique,  se mettait en place l'étouffement programmé de la psychanalyse et des applications qui en découlent, au nom d'un scientisme étriqué, le plus contraire à l'esprit scientifique, comme n’allait pas tarder à le montrer un fameux rapport de l’INSERM proclamant scientifiquement démontrée la supériorité de l’efficacité des thérapies comportementales sur la psychanalyse.

De plus, cet amendement tel qu’il était, adossé au rapport Clery-Melin préconisant toujours la paramédicalisation des actes psychothérapiques de psychologues cliniciens et l’instauration de super psychiatres préfets de l’âme et plaque tournante obligée de tout travail psychologique, n'aurait d'ailleurs certainement pas sauvé les victimes d'abus, comme il se le proposait, car il n'y a pas pire charlatan que le charlatan à l’abris de son diplôme.

 

Cet amendement Accoyer a donc mis le feu aux poudres. En ce sens il a eu fonction de réveil et de subversion de ce qui sournoisement pesait de façon mortifère dans l’antichambre du sort à réserver selon l’air du temps à l’exercice clinique de la psychologie et, à partir de là, à la psychanalyse laïque libérale aussi ainsi qu’à travers elle en fin de compte à toute la psychanalyse, au sujet et à nos libertés individuelles.

 

L’air du temps en effet ne nous est pas favorable, c’est le moins qu’on puisse dire.

 

Le problème de la réglementation des psychothérapies a permis à un plus grand nombre de se pencher sur les écrits de ces dernières années  qui font indication claire de la logique idéologique et tactique dans lequel il s’inscrit.

 

Il s’agit du départ d’une logique dictatoriale sécuritaire et eugénique de quadrillage chosifiant de l’humain. Elle se découvre depuis qu’elle s’accentue en champ sanitaire avec les économies des dépenses de santé comme prétexte et toile de fond, mais je prétends moi qu’elle est en place depuis la fin des années 80 avec la mise en réseaux pédagogiques des psychologues de l’école. C’est ce que j’avais, sans être toujours ni bien compris ni bien suivi largement dénoncé et analysé à l’époque comme une OPA sur le sujet par quadrillage hygiéniste et sécuritaire de ses troubles.  

 

Cette logique vise à instrumentaliser paramédicalement les psychologues empêcheurs d’évaluer, de repérer et de chosifier en rond pour renforcer un pouvoir médical et médicamenteux comme serviteur zélé d’un nouveau pouvoir gestionnaire tout puissant paré d’un alibi scientiste, triomphant sur l’autel d’un néolibéralisme mondial dominant venu d’outre Atlantique. Scientisme néolibéral par rapport auquel les tenants des thérapies cognitives et comportementales, dont le pouvoir soignant ne contredit pas le pouvoir gestionnaire tout court, ont le vent en poupe. Ils ont ainsi cherché à faire main basse sur le marché de la parole et de la souffrance psychique en en prenant le TOTAL contrôle au nom d’une apparence de « total quality » au prix de l’annexion du reste mis au pas de leur logique évaluative de gestion mercantile de l’humain.

 

Elle apparaît dans la claire linéarité d’une montée en puissance à la lecture :

- du rapport Piel et Roeland, du rapport Pichot - Allilaire

- du rapport Berland sur le transfert de compétences. Ce transfert va permettre notamment aux généralistes déjà largement prescripteurs de se voir renforcer dans un rôle thérapeutique après quelques heures de stage de formation à une thérapeutique considérée comme un outil, une technique médicale pour eux et paramédicale pour les non médecins, qu’ils soient paramédicaux ou psychologues,

- d’un rapport de l’académie de médecine qui préconise la nécessaire paramédicalisation des psychothérapies conduites par les psychologues, d’un rapport de l’ordre des médecins sur la subordination médicale des psychologues cliniciens

- du rôle d’encadrement médical par une mise en protocole selon la définition de bonnes pratiques à faire jouer par L’ANAES investissant ainsi un secteur jusque-là non médicalisé  qui lui était resté extérieur, de la révision des nomenclature des activités à l’hôpital selon la classification commune des actes médicaux, disparition des psychologues au profit des psychothérapeutes sans les comités de bioéthique

- de la caution scientifique commandée à l’INSERM et du plan Douste-Blazy de formation des psychologues en fac de médecine enfin.

 

L’article 52 finalement voté par le parlement ne distingue plus ni les psychiatres, ni les psychologues cliniciens des autres médecins ou psychologues. Il place sur le même plan de droit et au regard des conditions nécessaires de formations théoriques et pratiques en psychopathologie clinique à définir par décret pour l’inscription sur une liste des psychothérapeutes les médecins, les psychologues et les psychanalystes inscrits à une école. Mais il ne change rien en ce qui concerne l’exercice de la psychothérapie par les mêmes psychanalystes, psychiatres, psychologues qui voudraient le faire ou continuer de le faire sans inscription sous ce titre.

 

Le problème de cette dictature évaluative, c’est qu’elle se veut, comme tout intégrisme avoir vocation totalisante.

Donc au-delà de la réglementation des psychothérapies c’est d’une certaine conception actuelle de l’homme et de l’écoute de son discours de souffrance qu’il s’agit, ainsi que d’une attaque en force du pouvoir médical en collusion avec les praticiens de l’évaluation et du comportementalisme pour se mettre en position de monopole dans le domaine et sur le marché de la souffrance psychique. Plus encore, ne s’agirait-il pas là dans une société où c’est la loi du marché et le pouvoir des grands intendants qui sont aux commandes, d’une vaste opération marketing mondialiste dans la perspective de juteuses retombées à terme que les seuls traitements de la subjectivité contrarient?

 

Le champ de l’école.

 

Une éthique et une logique du Sujet, selon la loi symbolique du désir, seront-t-elles un jour admises par l'Ecole aux côtes de l’éthique et de la logique cognitiviste et évaluatrice à tous crins du maître qui tient lieu de pensée unique?

 

La fonction d'aide psychologique et d'ouverture à expression constituante et réorganisatrice du fond de "l'âme" humaine est individuelle, confidentielle et anti-prescriptive. Elle concerne et mobilise la parole du sujet, soit la vie privée la plus intime, secrète et personnelle de chacun de nous, ce qui ne peut se faire ni sur injonctions, ni par procuration ou pour le compte d’un tiers d’une part.  Que dire d’autre part de la mise en œuvre d’une fonction d’aide et d’écoute psychologique, qui ne serait pas confiée à des psychologues de l’école dotés une formation psychologique et personnelle correspondante pour être, comme c’est le cas actuellement, transférée, sous la pression médicale de la hiérarchie ministérielle et locale des services de santé scolaire, sur les seuls infirmiers ou médecins de santé scolaire, non vraiment professionnellement et personnellement formés en psychologie et non habilités à faire usage du titre de psychologue pour en exercer les fonctions.

 

Enfin est-il acceptable que cette fonction, devant en démocratie respecter les libertés publiques et la déontologie du psychologue, puisse s’inscrire réglementairement de façon obligatoire et forcée, sur simple « commande administrative » ou « décision » (prescriptives ?)  des équipes pédagogiques,  hors cadre psychologique d’une demande consultative des intéressés eux-mêmes pour ce qui concerne sa mise en œuvre et son déroulement dialectique ? Le psychologue est responsable de garantir son travail comme m’a voulu la loi. Il ne peut donc pas se laisser utiliser autoritairement dans une logique dévoyée d’expertise plus ou moins forcée où les uns seraient les objets d’examen de la seule « commande » des autres. L’école, je l’ai constaté, conteste abusivement de fait au psychologue la responsabilité du choix éthique de démarches et de références cliniques intersubjectives non cognitivistes.

 

Aucun "collectif" fut-il équipe dite éducative ne devrait pouvoir être psychologiquement fondé à décider, dire, désirer, penser, POUR ceux au seul service duquel se place le psychologue. Sauf à faire fi des libertés individuelles et du cadre psychologique pour en faire un cadre flicologique.  Cela fait dès lors du psychologue une sorte de « flicologue scolaire » qui, renforcerait l’identification collective idéale en satisfaisant la jouissance d’un surmoi institutionnel et administratif en position d’autorité. 

A l'école, pas moins qu'ailleurs, les psychologues ne devraient plus être officiellement empêchés, de faire le choix responsable de conceptualiser et d'organiser le cadre de leur travail sous forme de mise directe à la disposition consultative des enfants et des familles pour une écoute clinique, y compris de référence et d'approche psychanalytiques, qui viserait à favoriser l'expression, l'analyse et le dépassement évolutif des souffrances, difficultés et échecs inhérents à la condition humaine.

 

Car être élève ne fait pas sortir de cette condition humaine de sujet divisé qui reste sous-jacente ? C’est elle qui précisément constitue la dynamique de toute évolution et de tout accès au savoir. L’étouffer en la stérilisant c’est, se priver des forces vives qui poussent le jeune à s’élever et apprendre les valeurs symboliques qui lui sont transmises.

 

Là aussi l'éthique du sujet suppose une logique d'indépendance, de liberté de choix des pratiques, de confidentialité, d'organisation d’un cadre de travail et de consultation adaptés à sa spécificité. Ce qui est pour l'heure fort loin d’être le cas dans notre institution éducative française. 

D’aucuns dénoncent maintenant à juste titre la disparition de la psychiatrie par sa dissolution [15]dans la médecine. Dans un texte[16] intitulé « un panier de crabes ? » avec un point d’interrogation pour marquer qu’il se voulait ouverture à issue, je concluais notamment vers la nécessité d’une association de certaines rivalités historiques dans le domaine du traitement psychique pour maintenir vivantes les pratiques relationnelles et intersubjectives. Les maintenir contre le nouveau visage comptable, administratif, scientiste, hygiéniste ou sécuritaire mais à coup sûr mortifère que prend la barbarie du pouvoir néolibéral appliqué aux rapports humains. Car la dissolution et ce que ça fait : la profession de psychologue le connaît. Elle a déjà largement donné.

 

Dissolution du psychologue dans le corps enseignant et ses fonctions pédagogiques pour le psychologue scolaire. Sa fonction et sa place restent, hélas dans l'indifférence résignée du public citoyen et usager, DETOURNEES et instrumentalisées comme une sous spécialisation enseignante tendant à la flicologie scolaire objectivante obligatoire sur « signalement » administrativo-pédagogique sécuritaire et hygiéniste. 

  L'aide, le soutien et l'écoute psychologique des jeunes, malgré les taux de désarrois, d'échecs et de suicides, c'est considéré comme « soignant » et dès lors réservé au médical dans une institution où le psychologique devrait être considéré comme une dimension du pédagogique. Comme si l’aide psychologique n’était pas assez « scolaire » et dissoute dans le pédagogique pour être confiée aux psychologues de l'école….

On assiste ainsi à la dissolution du psychologue dans le scolaire à l’école et dans le médico-psychologique et le paramédical à l’hôpital selon l’offensive de tous ces rapports récents.

 

Dissolution future risquée du psychanalyste laïque enfin dans le paramédical toujours dans la même logique du rapport Clery-Melin, du premier amendement Accoyer,  des perspectives ouvertes par les précédents rapports conformément à la pensée de l’académie de médecine et d'un milieu médical encore majoritairement drapé dans une suffisance « maître » qui prétend tout contrôler, annexer et subordonner. 

 

Signalements pédagogiques et mises autoritaires en examens psychologiques d’un côté, ordonnances , prescriptions médicales, évaluations et protocoles de bonnes pratiques à dominante comportementale de l’autre!

 

Et le sujet parlant ? Et le travail de sa demande dans tout ce fatras d'injonctions, de signalements, de fichage et de quadrillage? Forclos du ... protocole ? Du dossier ? Du ... programme de ... gestion? Du plan ... financier ?

 

La dissolution des différences, si elle permet mieux la marche au pas et l’adoration exaltée du guru, est de mauvaise augure pour la subjectivité, on le sait bien à la suite de Freud et de Lacan. C’est précisément de ne pas les différencier dans leur indépendance, leur logique, leur démarche respective qu’on peut craindre les glissements et des « transferts de compétence » dont on parle tant.

Au-delà du principe de plaisir qui, nous dit Freud, tend, par la répétition, à lier l'énergie troublante et douloureuse vers l'homéostasie et la mort subjective, il y a le désir humain, cet aiguillon né du ratage de la répétition à se boucler. Ce désir indestructible qui nous pousse à chercher toujours au-delà, vers et par ce qui ne cesse de nous laisser toujours UN PEU EN RESTE de nous-même.  Qui nous pousse à chercher par-delà le risque accepté et arraché à la séduction du mortifère et du repos, et à travers l’éprouvé douloureux mais créatif d'un incessant manque à être qui nous cause.

 

 

Sous l’angle du moi, de l’identification idéale et de la psychologie des foules .

 

Ceci nous amène à examiner maintenant les choses sous l’angle de la psychologie des foules et du rapport du psychologue aux équipes et aux institutions.

Il s’agit du rapport des autres corps professionnels à la différence et à la position a topique que représente et mobilise le psychologue, ainsi que nous l’avons vu aussi au tout début. C’est encore une autre manière, par la psychologie des foules et les identifications idéales[19], d’aborder en quoi, l’autonomie du psychologue, renvoyant à une différenciation et à une division par rapport à un grand tout dans lequel on pourrait faire corps entier, hors habituelle relation de domination ou de subordination dans une même logique imaginaire de pouvoir phallique, contrevient à la sécurité communautaire narcissique sur laquelle s’étaye le moi individuel et collectif. C’est ébranler une illusion qui fait étayage social.

 

Dans ma démarche passée j’avais bien sûr comme tout un chacun eu à analyser cette opposition constante, véritable résistance institutionnelle à une place différenciée pour le psychologue que ce soit par rapport au pédagogique et à sa hiérarchie en milieu scolaire ou au médical et paramédical en milieu médical, ou par rapport à l’éducatif, au travail social et à leur hiérarchie en milieu associatif.

Ces problèmes me reviennent maintenant par les psychologues que je reçois en analyse ou en contrôle et qui sont aux prises avec les impasses de ces tentatives de mises à un autre pas professionnel et hiérarchique que le leur, au motif que dans un même champ on attend du psychologue qu’il ne vienne pas, par sa singularité,  mettre en défaut et en écart une « comme-une » identité de base. Du « on est tous enseignants à l’école », « tous des professionnels de l’enfance » en pédiatrie, « tous des soignants » selon le schéma médical-paramédical à l’hôpital, on passe aisément à des reproches sur une différence a-topique et auto-nomique mal acceptée et perçue comme insupportable.  

 

Selon ces reproches, les psychologues ne voudraient pas avoir à rendre des comptes (reste à savoir à qui et selon quel sens identificatoire de réduction au même à satisfaire dans cette démarche?). Ils se voudraient soi-disant hors hiérarchie (là encore la leur ou celle des autres ?), sans chef, sans transparence sur les vérités qu’on leur confie, comme en cabinet libéral, alors qu’ils sont en institution, insérés comme éléments (inter commutables?) d’équipes de travail. Ils ne sont pas médecins, ne voudraient pas commander mais ne pas non plus être subordonnés aux surveillants et aux directeurs des soins comme les  (autres?) paramédicaux. Une place hors chaîne de commandement médical et hors obéissance paramédicale semble sortir du schéma mental habituel. Elle fait l’effet de toucher comme un point de forclusion qui comme pour la psychose risquerait de déclencher une catastrophe en venant mobiliser quelque chose de la castration mal ou pas symbolisé. Les collègues psychologues oublient qu’ils ont été enseignants et qu’ils le sont toujours. D’ailleurs pour être psychologue à l’école il faut avoir été enseignant pour nous comprendre et nous aider n’entent-on pas ici et là de la part des enseignants voire de leurs syndicats? Ils feraient mieux de venir comme nous les éducateurs sur le terrain au lieu de rester dans leur bureau à faire on ne sait trop quoi entend-on couramment, dans telle ou telle association censée faire de l’écoute et de la prévention.  Il y a là quelque chose qui se répète à l’identique et insiste.

Mais d’où vient cette propension à l’in-différenciation à quoi semble déroger, davantage que d’autres, le psychologue ? Et d’où vient cette propension collective à faire de l’UN, à suturer le manque et la différence, que l’on rencontre dans la société, dans nos équipes et dans nos institutions. Bien évidemment, on le voit, ce qui fait colle identificatoire va à l’inverse de ce qui décolle en mettant au travail la fonction symbolique du manque ainsi qu’il ressortit pour le public et nos collègues des autres professions à la fonction du psychologue. Et je dirais même plus, ainsi qu’il en découle de l’effet dans le psychisme du signifiant psychologue, car c’est un signifiant qui renvoie au manque de signifiant.

Toutes ces questions de différences et de subjectivité d’une part, d’indifférenciation et d’identification communautaire qui se posent dans le quotidien m’ont donc amené par le passé [20]à aller voir de plus près ce qui se passe dans la psychologie de foules.

 

Dans un texte sur la passion de l’instrumentalité, j’évoquais notamment une thèse précitée plus haut soutenue par Contardo Calligaris, philosophe et psychanalyste, selon laquelle des sujets névrosés comme vous et moi, bon pères de famille, pas pervers du tout, pouvaient être tentés de sortir de leur souffrance névrotique et de l’inconfort de leur division psychique en cédant sur leur désir et en s’insérant, non sans jouissance, dans un type particulier de lien social renforçant le narcissisme. Et ce d’autant plus facilement que leur narcissisme était blessé et en souffrance. C’est un type de lien quasi religieux, comme celui sur lequel s’organise la psychologie de foules telles l’église et l’armée étudiées par Freud, qui consiste à « faire corps » avec un système collectif fonctionnant sur le mode imaginaire de la promotion narcissique et de la cohésion réunifiante. Cette dérive collective, d’ordre pervers ou paranoïaque sans qu’individuellement les membres le soient, se fait par un double processus unificateur. Le rejet de la division interne sur un objet extérieur de haine et d’horreur qui permet l’identification amoureuse des moi idéaux narcissiques de chacun au moi idéal la plupart du temps hypertrophié du chef ou de l’idéologie surmoïque jouissive qu’il incarne. C’est une dérive car cette logique a du point de vue collectif la modalité structurelle qu’a selon la radicalité du rejet la perversion ou la paranoïa au niveau individuel. 

Vous savez que selon Lacan : le surmoi c’est l’impératif de jouissance et qu’à cet égard on peut ranger, comme il l’a fait, Kant avec Sade. C’est du pareil au même.

 

Il y a là, dans la complicité perverse de ce lien totalisant qui rejette la différence et donc la loi symbolique issue d’une opération de coupure, un moyen de faire enfin l’économie des conflits névrotiques, du manque à être et de la souffrance de castration qu’implique la division subjective. Il y a moyen de faire cette économie, certes avec grand soulagement, mais au prix fort et insu du sacrifice de sa subjectivité et de son esprit critique. Nous avons là, dans ce fonctionnement social et dans celui de nos institutions, le substrat structurel du totalitarisme et du fonctionnement sectaire.

Dans ce système de liens, la culpabilité est aussi évacuée puisque le sujet déresponsabilisé bien que sacrifié à l’identification à ce Gourou, véritable « Dieu obscur [21]» d’un moi idéal collectif et du phallus imaginaire qu’il incarne, retrouve le bénéfice d’une illusion hypnotique de complétude en se faisant instrument zélé de l’idéal collectif. Il se la pète en se sentant membre, super membré de cette grande chose pourrait-on dire. Mais il s’agit d’une régression dans l’identification collective, disons au phallus imaginaire. C’est une identification qui rejette haineusement le manque et qui vise la jouissance par l’obéissance aveugle à ce que commande l’idéal pour se sentir ainsi narcissiquement renforcé. Le manque, l’empêcheur d’être phallus imaginaire en rond c’est sur le juif, le noir, l’arabe, le communiste, le fou, le psychologue, le psychanalyste, le trouble psychique, l’objet petit a, le féminin (la lettre féminise a dit Lacan) qu’il est reporté. Les faire disparaître en les éliminant, les éradiquant ou en les faisant rentrer dans le rang avec tous ceux qui ne seraient pas de ce pas et sous cette « unie forme », restaurerait la tranquillité de la complétude mythique. Dans cette logique idéologique, totalisante, intégriste et sectaire tous ceux par qui l’horreur d’un réel rejeté pourrait faire retour pour une prise en compte qui fait antichambre sont vécus comme des dangers à contre agresser ou à … convertir.

 

Voilà pourquoi le psychologue, vécu comme la fausse note dans tout ce qui fait chant à l’unisson, ne cesse pas d’être à mettre au pas s’il tente de se démarquer pour rester dans son rôle. Voilà pourquoi on veut le para médicaliser à l’hôpital, le subordonner aux surveillants ou autres directeurs de soins, le mettre sous tutelle et sous uniforme pédagogique à l’école, lui interdire les psychothérapies dans l’A.S.E., transférer sa formation en fac de médecine et soumettre son action aux bonnes pratiques définies par l’ANAES. Voilà pourquoi les gens préfèrent marcher au pas et avoir l’illusion d’enfourcher ainsi ce gros phallus imaginaire de l’idéologie, mondialiste, évaluative, mercantile, soignante.  Celle du marché, du court-circuit de la loi et de la dette symbolique, de la dictature de l’évaluation ou du bon samaritain, plutôt que de se coltiner avec les misères de leur subjectivité et de leur responsabilité. C’est ce que Lacan appelle le « sacrifice aux dieux obscurs » devant lequel peu sont capables de reculer en ne cédant pas sur le désir.

 

Avec la représentation du psychanalyste, celle d’un psychologue clinicien qui défait la colle de l’identification et des certitudes du moi, pour promouvoir la loi symbolique par le travail de coupure vers la « différence absolue[22] » qu’opère la fonction de l’objet a, ce bord de réel qui nous cause, ces signifiants et leurs effets ne sont dès lors guère de mise par les temps qui courent. On voit bien d’ailleurs, à la lumière du réveil qu’a permis peut-être de déclencher l’amendement Accoyer, la logique et la consistance d’ensemble que semble prendre une offensive qui se fait de plus en plus clairement jour sous ses aspects multiples, contre la subjectivité et l’existence d’un Autre en nous d’une part et contre ceux qui, psychanalystes, psychologues, psychothérapeutes sont à paramédicaliser, parce qu’ils en mobilisent l’émergence.

 

Alors ? Alors la question qui nous échoit c’est celle de savoir comment ne pas tomber dans l’emprise totalisante ou phagocytante qui nous est préparée.

 

Comment maintenir l’opérativité créatrice et vivante d’une ex-sistence du sujet dans le cadre mortifère d’une mise au pas de loi « comme un », si vous me permettez ces jeux de mots.  D’ailleurs en jouer c’est déjà maintenir la distance d’une possibilité de penser et ménager une issue. Mais en tant que psychologue, peut-on, par dialectisation, opérer l’ouverture d’une remise au travail du manque sans s’exclure ni se faire totalement rejeter d’un système tendant idéologiquement à araser ou rejeter ce qui diffère, divise et s’insère dans de l’histoire contre l’auto-génération illusoire et toute puissante de l’instant présent?

 

Probablement, en restant d’une part dans le rôle de celui qui par l’appel de son écoute singulière ouvrant au processus de symbolisation comme issue au seul jeu mortel du rapport imaginaire, « porte » une parole vivante et créatrice à se tenir quand même et à faire transmission.

 

Du point de vue syndical et citoyen d’autre part en tenant bon dans nos positions d’autonomie et d'indépendance professionnelle, à mieux asseoir et faire garantir encore dans leur dimension conceptuelle par une élévation de la formation au niveau du doctorat et par la constitution de nos propres structures de représentation et de fonctionnement singulier (collèges, pôles, services etc..) aux côtés des autres représentations hiérarchiques professionnelles dans les institutions et aux différents échelons locaux, départementaux, régionaux et ministériels de la structure administrative du pouvoir.

 

Du point de vue politique en faisant en conséquence, et même à contre-courant, notre devoir de citoyen pour continuer à travailler à faire inscrire juridiquement et légalement notre profession dans son autonomie.

 

Ou bien nous gagnerons à côté des autres professions « l’ex-sistence » symbolique et légale qui nous est nécessaire pour exercer notre fonction ou nous resterons en risque d’être exclus ou dissous me semble-t-il. Car il y a là, me semble-t-il comme un paradoxe à soutenir et faire inscrire. Si le psychologue au fond et en dernière analyse représente la béance de l’objet perdu d’où ça « cause », c’est-à-dire une sorte de « rien » de « trou » opérant et dynamisant, eh bien c’est néanmoins le tenant lieu de cette place de « rien » à subjectiver à quoi il faut pouvoir donner inscription sociale singulière et indépendante, pour en faire la place socialement reconnue et garantie d’un exercice professionnel.

 

                                            Michel Berlin

                                            Avril 2005

                                                                                 

 

   

[i][1] Serge Leclere : le psychanalyste saisi par la société – cliniques méditerranéennes n°35-36 - 1992              

[ii][2] Michel Berlin : L’illusion totalitaire : une passion de l’instrumentalité – Tabula N° 3 – revue de L’Association

de  la Cause Freudienne de la Voie Domitienne -1996  

[iii][3]   Michel Berlin : Psychologues et psychologies n° 129 - février 1996 - L’ex-sistence scolaire du psychologue :    

une nécessité à venir encore dans l’antichambre d’un passé qui tarde à prendre rang.

[iv][4] Elisabeth Roudinesco : Les invasions barbares – intervention au forum des psy du 15/11/ 2003 - site Œdipe.

[v][5] Charles Melman : L’homme sans gravité (jouir à tout prix)  - Denoël  (2002)

5 Sol Aparicio : Considérations lacaniennes sur le déclin du père – revue de psychanalyse de l’EPFCL n° 2

[vi][7] Roland Gori : Extrait du rapport au vice président de l’université de Provence publié sur le site oedipe.

[vii][8] Roland Gori : psychanalyste, professeur des Universités en psychopathologie clinique, président du SIUERPP

[viii][9] Colette Soler : article  publié sur le site Œdipe en février 2004

[ix][10] Michel Berlin : Alors la psychanalyse et les traitements de la subjectivité : des activités ringardes et inefficaces? -

Site Œdipe -  mars 2005

[x][11] Colette Soler : article précité

[xi][12] Agnès Aflalo : Discréditer scientifiquement la psychanalyse et attenter aux libertés, version augmentée parue

dans le journal Marianne le 17 mai 2004, publiée sur le site Internet de l’école de la cause freudienne.

[xii][13] Marc Strauss :  Réglementer l’inconscient ? – article publié dans Le Monde du 11 novembre 2003

[xiii][14] Colette Soler : article publié en février 2004 sur le site Oedipe

[xiv][15] Roland Lebret : Mort sur circulaire ou la psychiatrie dissoute dans la santé mentale – Site Œdipe le 15/2/2005

[xv][16] Michel Berlin : Un panier de crabes – Site oedipe février 2004

[xvi][17] Michel Berlin : L’Autre écoute du psychologue : une éthique du sujet et un envers de la pédagogie – in

Euroéthique, actes des premières rencontres professionnelles des psychologues de l’Europe du Sud – Publication de

Instituto Superior de Psicologia Aplicada (ISPA) – Lisboa - Portugal

[xvii][18] Contardo Calligaris : La séduction totalitaire – Cliniques méditerranéennes n° 31-32 – 1991

[xviii][19] Sigmund Freud :  psychologie collective et analyse du moi – in Essais de psychanalyse - Payot

[xix][20] Michel Berlin : Passion communautaire : une déshumanisation du lien social – communication inédite de mars

2000 à une soirée des Forums du Champ Lacanien.

[xx][21] Jacques Lacan : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse – seuil

[xxi][22]  Jacques Lacan : opus cité



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                         

 


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