JOURNÉE RÉGIONALE DES CARTELS DE L’ÉCOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE

 

NARBONNE 13 mai 1995

 

 

"Besoin, demande, désir .... vouloir"

 

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PROPOSITION DE COMMUNICATION : ARGUMENT

 

Michel BERLIN    ( AVIGNON)

 

(Cartel " A la recherche des temps perdus" à partir du séminaire sur "La relation d'objet" de Lacan)

 

 

 

Amélie et la peur du loup : au carrefour du cheminement subjectif

 

Lacan définit le rapport du sujet à l'objet manquant et perdu comme dialectique, conflictuel et divisant du fait-même de l'absence d'harmonie préétablie sujet-objet et de la discordance entre objet recherché et objet trouvé selon la ratage répétitif de la pulsion à se boucler par l'effet de sa prise dans le signifiant. L'éclatement d'une phobie ou d'un passage phobique, dans ce moment de discordance fondamentale de la perte de la mère phallique à l'image de laquelle pouvait se suturer le manque de l'enfant, signe un carrefour dans la structuration de la subjectivité et ses ratés.

 

A partir de la clinique de la situation d'Amélie, petite fille de cinq ans qui ne peut plus s'endormir sans sa maman auprès d'elle parce qu'elle a peur du "loup à deux pattes" dont elle rêve chaque nuit, sera évoquée cette orée de l’œdipe et de la nécessité de l'entrée en jeu de la fonction paternelle qu'inaugure pour l'enfant la bascule de ce moment de béance symbolique, de déception fondamentale et d'effroi vertigineux où il s'aperçoit et s'éprouve ne pas être le phallus, l'objet unique d'une mère toute qu'il découvre castrée et désirante.

 

Pour l'enfant, perdu dans les repères subjectifs de l'écroulement d'une situation duelle enfant-phallus-mère devenue insoutenable, l'objet phobogène, substitut du père comme quatrième élément et porteur du phallus, pare au pire de l'angoisse de la béance introduite et constitue un appel à l’aide pour réordonner symboliquement toute une situation de risque d'être la proie des signifiants de l'Autre .

 

Car nous dit Lacan, ce que l'enfant lui-même a trouvé autrefois comme puissance de don  pour écraser son inassouvissement symbolique et passer ainsi du registre du réel de l'objet du besoin à celui imaginaire et essentiellement frustrant de la demande de signe d'amour comme don, il le retrouve possiblement devant lui comme une gueule ouverte. Aussi, le thème de la dévoration se retrouve-il toujours dans la phobie.

 

Le signifiant phobique prélude à la rescousse de ce rôle, métaphoriquement "vivifiant" pour la subjectivité, de père symbolique que va être amené à jouer un père réel non carencé, porteur du pénis réel et représentant de la loi des échanges, de la filiation, et de l'interdit. C'est lui qui va permettre la transcendance de la relation imaginaire de frustration et de la relation de privation dans la relation symbolique de castration et dans l'assomption sexuée ouvrant la perspective de recevoir le phallus symbolique sous forme d'enfant pour la petite fille et celle de devenir père avec le droit à l'usage d'une puissance limitée pour le petit garçon.

 

 

 

 


 

 


 

Communication :

Amélie et la peur du loup : au carrefour du cheminement subjectif

 

Michel   BERLIN

 

 

Prétexte

Entre le sujet et l’objet, les rapports ne vont pas de soi. Dès lors qu’il parle, le sujet ne saurait tout dire. Il y a toujours un reste, une séparation, un écart, une faille. Et c’est ce "reste", en tant que perte originaire et originante de son rapport au signifiant, qui le cause et le voue à la recréation métaphorique incessante. Dès lors qu’il est rentré dans la ronde des signifiants où il n’est plus que représenté, le sujet se trouve pris dans la spirale symbolique d’un désir « indestructible » d’avoir chaque fois à renaître au prix d’une traversée, d’un passage, d’une séparation. Car le sujet recherche non son complément sexuel, mais la part à jamais perdue de lui-même, qui est constituée du fait qu’en tant que vivant sexué, il est entré dans la mort individuelle.

 

Il n’y a pas de rapport sexuel, ni d’harmonie préétablie que des désordres secondaires rectifiables auraient empêchée et qui pourrait donc être restaurée par modification adaptative. L’entrée originaire du signifiant dans le réel a rendu, avec le meurtre mythique du père des origines, la jouissance littéralement inter-dite. Dite dans les limites d’un entre-deux seulement, comme la vérité, elle ne peut que se mi-dire. Avec le nom du père qui le promeut, le désir lui fait barrage. C’est là la dette humanisante et la féconde aporie dynamisante de notre castration symbolique qui substitue le phallus symbolique que vise le désir, à l’objet du besoin, puis à celui de la frustration imaginaire et à celui de la privation réelle. En effet, derrière la mère symbolique du second temps de la subjectivité, celle qui par sa présence et son absence devient une puissance phallique frustrante de qui l’enfant imagine insatiablement, dans une position de réciprocité duelle, dépendre totalement pour recevoir ou être aussi bien tout que rien, se profile le père symbolique. Il est le transmetteur du phallus symbolique signifiant du manque, par l’entremise du père réel, agent de la castration symbolique et porteur de ce qui apparaît à l’enfant dépité comme l’atout maître du pénis réel dont jouit la mère. Ainsi le phallus en vient-il en tant que signifiant du manque à être du sujet et de l’échange interhumain, à représenter ce que vise le désir et ce que chacun du lieu de sa division subjective ne peut  avoir que partiellement et que dans un rapport  avec l’Autre sexe. 

 

Avec le meurtre du père originaire et l’échange phallique selon la loi de la filiation et de l’interdit de l’inceste, l’ordre symbolique de la culture qui confère une place à chacun se superpose à celui de la nature, à celui de la douloureuse frustration imaginaire et de l’indifférenciation réciproque aliénante dont découle la violence du manque d’issue d’un système en tout ou rien. En tant que quatrième élément intervenant dans la  triade primitive enfant-phallus-mère de la relation duelle, la fonction paternelle introduit le manque d’objet dans la dialectique d’un pacte, qui avec l’interdiction de l’inceste et l’échange des femmes, accorde métaphoriquement le désir et la loi, donnant ainsi la possibilité « vivifiante » au sujet de « transcender dans la relation de castration, la relation imaginaire de frustration ou le manque d’objet de la privation ».

 

Les cartels de l’école sont l’occasion de poursuivre le travail de l’inconscient dans un transfert de travail de l’analysant que nous ne pouvons que rester jusqu’au bout, voués que nous sommes à l’accouchement permanent d’une parole naissante, par le « virus » freudien de ne pas céder sur le maintien d’une béance devenue cause. Fût-ce au croisement, toujours surprenant dans sa fraîcheur, de l’insu d’une autre parole naissante, du bord de la brèche métaphorisante que creuse notre fauteuil... Si,  comme le dit Lacan, dans l’ordre symbolique « le désir vise le phallus en tant qu’il doit être reçu comme don à travers la dialectique de l’échange », si le don surgissant à l’appel comme signe d’amour décollé du réel de l’objet du besoin est devenu en fin de compte essentiellement don de paroles et objet symbolique de demande, soit don phallique de ce qu’on n’a pas mais qui s’échange,  nos échanges ici se situent selon cette chaîne symbolique des dons de ce qui est transmis.

 

Du ratage de la répétition en tant que retour du même recherché, soit du ratage de la pulsion -qui est donc toujours en son fond pulsion de mort- à se boucler sur elle-même par sa prise dans le signifiant, le rapport non suturant et conflictuel du sujet au monde se trouve inscrit comme « mauvaise rencontre » au-delà de laquelle se profile toujours le trou traumatisant du réel que vient, partiellement seulement, tamponner le fantasme. Dès lors vivre, c’est l’éthique de devoir emprunter toutes sortes de détours qui apparaissent comme autant de perturbations dans la tendance à revenir au point d’origine, à l’état  inanimé, à une jouissance supposée perdue qui se confond avec un réel à qui rien ne saurait manquer.

 

Mais quel habit donner à la nudité angoissante de la béance insuturable et donc "in-pensable" comme blessure et impensable comme réel de cette mauvaise rencontre? Nous allons voir que celle du loup et de la peur qu’il inspire représente, à l’orée de l’œdipe, et donc au carrefour de la subjectivité, un (signifiant) garde-fou contre l’angoisse du vide et du réel vertigineux du risque imaginaire engloutissant d’une absence de perspective et le pivot d’un remaniement structural.

 

Clinique

Petite fille de cinq ans, Amélie m’est amenée parce qu’elle ne peut plus s’endormir sans sa maman auprès d’elle. Elle a peur du loup « qui marche debout sur ses deux  pattes » et surtout « des souris qui faisaient des trous dans la maison » dont elle rêve et a peur de rêver la nuit.  Elle n’arrive pas à s’endormir et sa maman, appelée auprès d’elle, ne peut regagner que très tard la chambre conjugale. Il m’est dit que la peur et les cauchemars ont débuté il y a un  mois, lorsqu’ Amélie a dû quitter la chambre de son frère de sept ans. Elle a exigé de son père qu’il bouche avec du ciment et « même des bouts de verre » les petits trous qui communiquaient avec les WC qu’avaient faits jadis des souris. « J’avais encore plus peur quand j’ai perdu ma dent dit Amélie parce qu’après, dans la nuit, la souris vient me porter des sous ou des bonbons et j’ai peur qu’elle me griffe ».

 

 

On voit que la souris est associée de façon complexe au trou de lla perte de la dent et à sa venue pour apporter un cadeau de compensation.

 

La mère est inquiète pour sa fille. Elle se met à poser des questions graves sur la mort et sur le diable à partir d’une cassette vidéo de Titi et Gros Minet (Titi, le petit oiseau, se met toujours au bord extrême du risque d’être dévoré par Gros Minet). Elle demande aussi comment se nourrit le bébé dans le ventre de la maman. Voici ce qui d’Amélie est amené comme symptômes.

 

Non seulement les cauchemars et les éléments phobiques-œdipiens se sont déclenchés lors de la solitude nouvelle d’Amélie dans sa chambre, mais encore dans le contexte insécurisant d’une modification de la situation  de chacun des parents. Le père, fragilisé, vient d’avoir un accident. Il marche avec des béquilles après un court séjour à l’hôpital pendant  lequel il  n’a pas voulu que sa famille vienne le voir de peur du risque en voiture. La mère vient de traverser une mauvaise passe. Elle a eu de fortes douleurs lombaires au point d’en pleurer et d’avoir un ulcère à l’estomac. Elle craignait la nécessité d’une hospitalisation. De plus, elle s’inquiète car Amélie devient agressive à son égard. « Ça devient insupportable » dit-elle. Amélie lui a même dit « je n’ai plus de maman ». C’est vrai qu’en ce moment, elle se sent peut-être « à l’écart », ajoute la maman, parce que son frère, très brillant à l’école, est vanté et admiré par toute la famille.

 

Que constate-t-on?  La rupture d’une situation par laquelle se sent écartée Amélie qui avait dû commencer à réaliser que l’Autre, sur laquelle elle s’appuyait dans une relation duelle de réciprocité phallique, n’est pas Toute. Bien plus, dans la famille, les images phalliques vacillent.  Le père est boiteux et s’absente. Lui-même, peut-être carencé de père, a perdu son père en bas âge, me dira Amélie plus tard. Le frère prend statut phallique pour la mère. Amélie se trouve confrontée littéralement en effet, comme il est bien dit, à une « mise à l’écart »  d’un phallus qu’elle n’a pas et qu’elle ne se sent plus être pour des parents qu’elle découvre avec angoisse, angoissés, fragiles et défaillants. Le monde s’écroule pour elle. Sa maman n’est plus sa maman d’avant en effet. Son père n’est pas encore interdit. La peur du loup recrée le lien duel à la mère dont elle sert à rappeler la présence à la fois rassurante et frustrante (agressivité) et supplée à la défaillance phallique médiatrice du père comme tiers aperçu à la fois attirant et effrayant. Elle a peur de ce qui dévore ou de ce qui évoque l’existence d’un trou par où pourrait venir passer la souris dont elle appelle à être protégée.

 

Lacan nous dit  que l’objet phobique vient en suppléance symbolique à la loi phallique représentée par le père, porteur du phallus, dans ce moment de béance et de déception fondamentale où l’enfant découvre sa mère castrée et désirante en s’éprouvant ne pas être le phallus qui la comble. Les objets phobiques  (loup, girafe, souris, etc...), analogues à ceux des blasons d’armoiries, sont des signifiants qui ont pour fonction de suppléer au père symbolique et à sa loi, et de parer pour le sujet au risque d’être la simple proie de l’Autre qui peut être là, aussi bien maternel que paternel comme nous verrons que le traduisent les fantasmes et les cauchemars. Un risque aussi bien d’engloutissement, de dévoration et d’anéantissement dans l’Autre maternel, que de pénétration sadique et mutilante, faute d'avoir mieux intégré l’assurance de sa place symbolique dans l’ordre du monde, dans la filiation et dans la généalogie. Dès lors pour l’enfant, ajoute Lacan, la situation devient symboliquement insoutenable, car la loi est nécessaire au soutien de la subjectivité.

 

C’est l’angoisse qui surgit à laquelle pare de façon substitutive la peur qui, elle au moins, n’est pas sans objet. Car l’angoisse, ajoute Lacan, surgit chaque fois que le sujet est décollé/séparé de son existence. « Elle surgit quand il est suspendu entre un temps où il ne sait plus où il est et un temps où il va être quelque chose où il ne pourra plus se retrouver ».  Bref, nous pouvons dire que l’angoisse surgit dans un moment de passage et de séparation, de mort et de (re)-naissance incertaine. Dans l’accouchement d’une parole naissante qui élabore symboliquement le non réalisé sexuel de l’inconscient. Autrement dit elle se gère dans le risque de la liaison/déliaison du passage métaphorique d’un signifiant à l’autre, puisque « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant ».

 

Que nous dit Amélie?  Lors des entretiens diagnostiques, elle dessine « un loup dans sa maison ». « Il  veut manger  le dauphin qui sort de la mer ». Mais ce loup a lui-même peur de sortir de la maison parce qu’  « il ne veut pas que la baleine le mette sur sa queue et le balance ». La baleine, elle, a peur que le loup mange le dauphin. On voit là poindre les projections imaginaires où, à côté de l’objet phobique dévorateur possible de l’enfant identifié au phallus maternel ou voulant s’introjecter un phallus encore mal différencié, se profile toujours la mère phallique qui balance et qui pourrait être signifiant de haine en tant que bal-haine. II  y a là encore retour oscillatoire aux deux pôles de la relation identificatoire imaginaire primitive selon laquelle Lacan nous dit que l’enfant se trouve confronté.

 

Il s’agit soit d’une identification à la femme sadisée vouée à la violence subie d’un pénis destructeur selon une conception sadique et meurtrière du coït, soit inversement d’une identification au phallus imaginaire qui le fait risquer d’être un pur objet de dévoration. On voit de plus là une situation où, comme dans l’imaginaire de toute la famille d’Amélie, tout le monde semble avoir peur,  père compris. Si le dauphin sort de la mer, si Amélie n’est plus le phallus de sa mère qui en est castrée, il risque la dévoration par le loup, ce que la baleine redoute aussi, comme la mère d’Amélie qui, tout en s’en plaignant, est angoissée d’avoir à être castrée de sa fille  par un représentant paternel. Je sens bien, à chaque séance, qu’elle-même hésite anxieusement à me confier Amélie. En fait, mère et fille, sont angoissées de leur séparation par une loi symbolique du père pas encore vraiment advenue, qui les confronterait à leur manque phallique. Car le père en tant que porteur du pénis réel, dans son rôle de père symbolique représentant de la loi d’interdit, est l’agent d’une double castration symbolique portant sur le phallus imaginaire mère-enfant. Celle de l’enfant d’avec sa mère et celle de la mère d’avec son enfant. En tant que tel, dans un premier temps, il est conflictuellement aussi bien objet d’amour pour la fille qui aime en lui ce qui lui manque à elle, qu’objet d’hostilité qui la prive de sa mère et qui prive sa mère d’elle.

 

A la séance suivante elle dessine un loup à l’hôpital, alité et malade. Elle aussi est allée à l’hôpital, me dit-elle. On lui a « même fait une grosse piqure dans le bras » qui lui a « éclaté une veine » (En fait j’apprends par sa mère qu’on l’a sondée pour des problèmes de vessie...). A côté du loup, dans le lit, une autruche mange une banane.  Comme le loup de la dernière fois  me dit elle. Elle lui tourne le dos parce qu’elle a peur de lui . « Il veut lui faire des piqures dans la bouche et la manger ». En effet, pendant le premier entretien avec la mère, elle avait dessiné un loup debout portant un costume jaune soleil, rayé comme celui  des voleurs dans les dessins animés ou celui des joueurs de foot (son père est policier et footballeur). Il mangeait une banane pendant qu’un nuage lui lançait de la pluie sur la tête pour qu’il ait froid. Il en était devenu malade, obligé d’aller voir « un docteur pour la tête ». On voit bien que c’est le rapport à un phallus mobile, encore beaucoup imprégné de réciprocité imaginaire qui fait problème. L’autruche et le loup dans le même lit, l’un tendu vers l’autre qui lui tourne le dos,  pourraient signer selon le shéma Z de Lacan la prévalence de la ligne imaginaire a-a’ dans le rapport transférentiel du sujet à l’Autre, à l’orée œdipienne de l’ advenue à une issue symbolique appelée et en voie d’établissement.

 

Cette oscillation au carrefour de l’œdipe et de l’assomption de la subjectivité féminine se retrouve dans une autre séance où  un loup ramasse des fleurs à côté d’une grenouille qui a peur de se faire manger et qui veut se sauver. Si l’on retrouve toujours l’oralité et la peur de la dévoration dans la phobie, la castration par laquelle, à l’inverse du garçon, la petite fille entre dans l’œdipe, et la menace de la tentation sexuelle  (ici la défloration)  n’en sont pas pour autant absentes. Faute du nom du père pour trouver la réassurance d’une place propre avec la validation des perspectives offertes à son désir de substituts phalliques, il semble bien que la petite fille de cette position subjective soit à la croisée conflictuelle des chemins entre la peur imaginaire réciproque de se faire dévorer et  le désir d’introjection symbolique orale du phallus du père prenant la suite du sein d’une part, et celle, sur un autre mode, du fantasme angoissant d’un rapport sexuel intrusif sadique qui, tel le trauma passé d’ une piqure subie, peut faire éclater l’intérieur d’autre part. Mais une perspective s’entrouvre. A côté de la fleur cueillie par le loup, un bébé fleur est dessiné. « La maman serait partie se promener » dit Amélie en dessinant « le papa fleur » près d’un arbre qui, surmonté d’une étoile, ne manque pas d’évoquer l’arbre de Noël comme signifiant de l’attente d’un cadeau du père... D’ailleurs ce jour là,  Amélie est arrivée à sa séance avec le « poupon du papa Noël de la  police » à la place de son objet transitionnel du début.. Poupon qu’elle m’apporte en séance pour me signifier probablement son attente.

 

La ligne évolutive de ce passage structural de la mère au phallus du père et à l’enfant qui s’y substitue peut sembler s’engager, mais la partie n’est pas encore gagnée sur ce chemin laborieux qu’il lui reste à construire et parcourir. 

 

En effet, pour Lacan, le sujet  féminin ne peut entrer dans l’ordre symbolique que par le don du phallus à travers une dialectique d’échange qui va normaliser ses positions sur un mode œdipien. Mais le don n’existe comme échange qu’avec l’introduction d’une loi. Une loi qui, en réglant l’échange des femmes avec l’interdit de l’inceste et le renoncement à l’union avec le père pour un autre homme à qui elle sera donnée et de qui elle recevra un enfant à lui donner en retour pour qu’il porte son patronyme, superpose le règne culturel de l’échange symbolique du phallus à celui  de l’accouplement bestial avec le père. Dans le cérémonial rituel du mariage, le père conduit sa fille à la mairie et la donne pour femme à un autre homme aux bras de qui elle sort.

 

Au cours des séances suivantes apparaitront successivement sur fond de très nette réciprocité imaginaire identificatoire le thème du meurtre et de la castration du loup à qui la petite fille, venue avec son fusil défendre les enfants menacés, coupe la tête avec son couteau. Et, comme pour bien se faire entendre, elle poursuit par un jeu consistant à  permuter (père-muter) les habits et couvre-chef des personnages "Playmobils". Par la suite encore, reprenant la ligne signifiante des habits comme objets symboliques d’échange, elle me parlera du  rêve « d’un beau loup à deux pattes avec des habits et des moustaches » qui venait la voir en cachette. Je lui demande si elle connait quelqu’un avec des moustaches. Elle répond par une association sur un «beau militaire sans enfant», voisin de ses parents habitant en caserne, qui porte des moustaches et dont le nom consonne avec le signifiant habit...qui peut s’entendre aussi comme homophonie d’un signifiant phallique. Mais  pour dire en quoi ça lui faisait peur, elle ira chercher l’évocation d’un film du commandant Cousteau sur les dauphins et les requins dans lequel un requin a dévoré un homme après avoir « sauté par dessus le filet ». Passé la protection donc. Laquelle? Celle de la mère? Celle de la loi d'interdit de l'inceste?

 

Le monsieur, dit-elle en le dessinant fendu de haut en bas et tout recousu,  a eu le ventre tout déchiré.  La peur de la visite (d’amoureux?) en cachette (comme en risque de débordement du filet protecteur d’une loi à mieux faire advenir), comme on le voit, a question liée, certes avec la dévoration mais aussi avec la blessure béante (castration, arrachement du phallus, trou),  l’ouverture et le déchirement du ventre, selon une ligne directrice, toujours saturée en projections et réciprocités imaginaires, de plus en plus œdipienne...

 

Car à l’inverse du garçon, c’est par sa privation réelle du pénis et sa relation manquante au phallus que la petite fille entre dans l’œdipe et dans l’attente. Et là, au fil des entretiens l'entrée dans l’œdipe se poursuit et s'affirme.

 

C’est en suppléance à la loi symbolique du père, agent de la castration symbolique, que prélude l’objet phobique au carrefour de l’assomption œdipienne normalisante de la subjectivité de la fille et du garçon. Car avant l’instauration opérante de la métaphore paternelle qui l’ouvre à son désir (selon la relation symbolique S-A) l’enfant est livré de façon traumatisante au risque d’une oscillation de réciprocité identificatoire aux deux pôles de la relation imaginaire préœdipienne (a-a’ du schéma Z) qui, comme on l’a vu, n’a pas d’autre issue que violente et destructrice. La frustration symbolique de parole et de loi à ce niveau, peut provoquer des régressions à l’oralité comme lors de la frustration primitive de l’enfant écrasée par le retour au sein.

 

Mais ce passage n’est pas linéaire car il s’agit d’un remaniement structural.

 

Il suppose la perlaboration de toute une réorganisation de transposition de l’imaginaire au symbolique par le caractère opératoire du jeu du signifiant, « qui s’empare du sujet » dit Lacan selon une combinatoire en plusieurs tours de permutations signifiantes. Comme on le constate chez Amélie, aucun de ces éléments fantasmatiques signifiants n’a de sens arrêté et univoque qui correspondrait à un signifié unique. Il s’agit bien plutôt de sortir de l’impasse imaginaire en tout ou rien, en opérant une symbolisation de l’imaginaire par le parcours d’un certains nombres de circuits selon ce jeu de « père-mutations » aboutissant à mettre en place et se servir de la métaphore paternelle comme moyen de passage et ... de sortie.

 

Pour Lacan la phobie (ou comme ici l’apparition d’éléments et de signifiants phobiques dans un contexte de début œdipien) est un moment de restructuration symbolique à la bascule de cette angoisse du vide, du néant ou du risque d’engloutissement, comme si l’objet phobique, véritable « signifiant à tout faire » recouvrait quelque chose de l’ordre d’un trou noir sous-jacent.

 

L’apparition d’une phase phobique signe le carrefour du cheminement subjectif vers son troisième temps. Jusque là l’enfant est encore subjectivement dans le giron de sa mère dont il peut avec angoisse s’en imaginer rejeté. L’objet phobique est le blason du nom du père  venu faire barrage au risque néantissant d’engloutissement du sujet dans la jouissance sans nom et sans repères d’une chute dans le trou du réel au bord duquel il se trouve dans ce passage métaphorique à accomplir.     

 

                                                                                                                                             Michel Berlin

 

 


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