Une place pour la psychanalyse et le sujet dans la « santé mentale » de demain?

                     

 

                    J'approuve et j'apprécie bien entendu le combat de Roland Gori (1), médiatisé par la notoriété que sa position et la qualité de ses travaux lui ont justement valu, pour désaliéner une société libérale mondialiste, qui a érigé le phallus dans une dimension monétaire et comptable, du "dommage collatéral" chosifiant de son idéologie DSM iste et évaluatrice. Celle-ci conduit, comme on le constate, à tenter de paramédicaliser les praticiens de la subjectivité en les détournant par subordination, et à diluer la médecine psychiatrique, dans la politique gestionnaire d'une "santé mentale" alibi dont la scientificité vorace tend à naturaliser et donc effacer le vif du sujet désirant de toute possibilité responsable de s'y reconnaitre dans ses symptômes, ses conflits et sa subjectivité.



                   Cependant, ce faisant il me semble qu'à la lecture de l'article cité de Cécile Prieur (2), la différenciation entre psychopathologie clinique psychanalytique et psychiatrie n'est peut-être pas suffisamment soulignée pour lever les confusions souvent hâtivement faites par la plupart des personnes et des médias. Car si la psychiatrie, en tant que branche de la médecine et donc de l'exercice médical réservé par monopole qu'elle a au fond toujours été, est en risque d'être résorbée pour ainsi dire "en famille" par la pensée et la démarche médicale ordinaire remboursée par la sécu, évaluée comme une épicerie et mise en protocoles par la HAS, rien ne fonde à ce qu'il en soit de même pour la psychopathologie clinique psychanalytique. Celle-ci s'est en effet toujours positionnée, avec ses praticiens laïques et indépendants, comme hétérogène à la médecine. Incluse dans la discipline psychologique versant clinique de la subjectivité pour la psychopathologie clinique et hétérogène à la médecine et à la psychologie même clinique pour la psychanalyse.



                         Car si d'évidence dans la souffrance psychique il y a bien "une part hétérogène au médical", reste à reconnaitre et revendiquer peut-être précisément pour les sauver du risque de naufrage dans la scientificité médicale hégémonique et sa politico-bureaucratie sanitaire, que la psychanalyse tout comme la psychopathologie clinique psychanalytique sont aussi non seulement hétérogènes au médical ordinaire mais donc bien aussi hétérogènes à la psychiatrie, branche spécialisée de la médecine utilisant la psychopathologie et la pharmacologie.



                         Donc, au croisement de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie clinique, la psychopathologie, comme la psychanalyse n'a surement pas à être amalgamée voire annexée à la médecine. Pourquoi? Parce que cette dernière se comporte comme un véritable "trou noir omniphage" dans lequel tout ce qui y serait capté n'en sortirait plus et serait dès lors annexé au monopole réservé de son exercice dans un champ potentiellement illimité.



                                 Pour cette raison de "médecine totalitaire", selon l'expression de Roland Gori, psychopathologie clinique et médecine (psychiatrique incluse) ont donc à être différenciées dans leur hétérogénéité, sauf si la loi venait fixer des limites et garantir la mutuelle indépendance des rapports de collaborations interdisciplinaires et professionnelles.



                                    Ce qui n'est pour l'heure pas le cas malgré que la loi controversée sur l'usage du titre de psychothérapeute place dans sa rédaction médecins, psychanalystes, psychologues et psychothérapeutes sur un plan d'égalité, et donc de mutuelle indépendance, au regard de leur exercice. Resterait à mieux préciser cette mutuelle indépendance et à en tirer toute conséquence de droit ... du travail.



                                  Pourquoi accentuer et expliciter cette différenciation? Parce que pour l'heure la médecine et l'ensemble de ses praticiens à ma connaissance, médecine psychiatrique et psychiatres compris, sous l'autorité de leur académie (rappelez-vous le rapport Cléry-Melin toujours pas aux oubliettes), conçoivent toujours les traitements psychanalytiques et ceux de psychopathologie clinique comme des activités médicales quand il s'agit de médecins et dès lors comme des activités paramédicales sous le pouvoir normalisant de leur contrôle, indication et prescription pour tous les autres praticiens non médecins. Il y a donc de fait soit l'instauration illogique et injuste de deux vitesses pour une même activité, soit la nécessité de devoir considérer de façon différenciée qu'il y a une psychanalyse et une psychopathologie clinique médicales et médicalisées d'exercice médical, et une psychanalyse et une psychopathologie clinique laïques et laïcisées d'exercice "profane" non médical, bien que "relatif à la santé" par la théorie juridique de l'accessoire. Mais ça fait un peu désordre!



                          Consécutivement pourtant les praticiens de ces activités non médicales sont mis non pas "à côté" (sens étymologique de "para" médical) en position de collaborateur mais "en-dessous" en position d'auxiliaires subordonnés, voire parfois par déplacement dans une certaine prise de distance institutionnelle, en position de subordonnés d'auxiliaires médicaux chefs, surveillants et autres cadres de santé quand ces derniers exercent en institution aux côtés de médecins, psychiatres ou pas. C'est tellement ancré dans les têtes médicales et administratives, voire chez le public et dans les médias, qu'il est nécessaire de rappeler et faire rappeler sans cesse dans les institutions l'indépendance du psychologique par rapport au médical.



                             Le rapport de possible collaboration dans le respect des différences et des mutuelles indépendances est dénaturé par son détournement médicalisant en rapport de subordination.

                                   Ainsi du point de vue de l'indépendance (laïque au regard de la religion médicale) des psychanalystes et des psychologues cliniciens qu'il reste toujours à mieux faire inscrire explicitement de droit dans les statuts, les contrats de travail et ... les échelles de rémunération, la "part hétérogène au médical" que ces derniers prennent en compte et "traitent" à leur manière propre et en référence à leur discipline non médicale ni scientifique, n'est toujours pas reconnue par une médecine, fut-elle psychiatrique ou à fortiori de « santé mentale », qui campe sur ses assises illusoires et sans partage d'un savoir "plein".



                                  Je n'en veux pour preuve, à côté des récents indicateurs de sens que constituent le rapport Cléry-Melin, l'évaluation des psychothérapies à la manière de l'INSERM, les modalités et les objectifs du dépistage précoce de la délinquance, la dernière plaquette reçue de la part de l'INPES intitulée "la dépression en savoir plus pour en sortir" par laquelle la dépression est présentée non pas comme un symptôme psychique de "mal à dire" relevant de traitements psychologiques ou psychanalytiques mais comme une "maladie" relevant du seul champ de la médecine et donc du nécessaire préalable diagnostique d'un médecin "prescripteur".



                                   Comment ne pas voir là une sorte d'impérialisme? En effet, je vous invite à établir sur Internet, en cherchant la profession des députés, sénateurs et membres du gouvernement, quel est le rapport de forces en jeu au regard du rapport entre le nombre de parlementaires médecins ou auxiliaires médicaux et le nombre de psychanalystes, psychologues cliniciens, psychothérapeutes laïques. Faites en le quotient et observez le pourcentage. En effet, le réel d'une évidence s'impose : la politique ça existe. Et même ça a des effets. Et ces effets s'ils visent l'électeur ou le consommateur avant tout, ne ménagent pas, loin s'en faut, une place pour le sujet, sa prise en compte et son possible travail de parole pour se désaliéner de ce dans quoi il s'est symptomatiquement et douloureusement pris.



                                  Je n'en veux pour preuve également que la nouvelle nomenclature INSEE de l'activité des psychologues cliniciens et des psychanalystes (86 90 F p), qui si elle marque désormais une séparation d'avec celle des stricts auxiliaires médicaux 851G tout en se trouvant pourtant établie dans les "activités relatives à la santé humaine" demeure néanmoins de façon encore quelque peu équivoque sur le même plan de la série "86 90" que celles de praticiens de la santé non indépendants du pouvoir du corps médical, comme par exemple les infirmiers, les rééducateurs, les sages-femmes et les ... pédicures-podologues, alors, je le rappelle, que la loi place ces praticiens de et par la psyché sur le même plan que les médecins.



                              C'est pourquoi, pour ma part, en cette période ultralibérale de mondialisation des capitaux, des pouvoirs économiques et de dérèglementation concertée du travail vers une plus grande malléabilité insécuritaire des travailleurs sous alibi de modernisation adaptatrice à la dure absence de loi d'un marché acéphale mis néanmoins "aux commandes", il m'apparait important comme base de future garantie juridique de l'indépendance de leurs conditions de travail et de leurs responsabilités professionnelles en institution où ils voisinent et collaborent, d'harmoniser au doctorat d'exercice la formation directe et par équivalence des praticiens exclusifs ou accessoires de la psychothérapie et d'inscrire explicitement dans la loi leur mutuelle indépendance avec leurs collègues médecins.

 



Michel Berlin

6 mai 2008

Publié sur le site Œdipe.org 

 http://www.oedipe.org/forum/read.php?6,16932,16993#msg-16948

 

(1) Roland GORI ; psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique, écrivain :

A lire notamment :

. Exilés de l'intime, la médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique, de Roland Gori et Marie-José Del Volgo. Ed. Denoël, 2008, 344 p.
• L'Empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social, de Roland Gori et Pierre Le Coz. Ed. Albin Michel, 2006, 200 p.

(2) Dans le Monde daté du 4 mai 2008,  Entretien avec Roland Gori: Norme psychiatrique propos recueillis par Cécile Prieur