Main basse sur le marché de la parole?

 

Main basse techno-psychiatrique sur le marché de la parole?

 

(Argument)

 

                            Michel Berlin                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        

                  Sous prétexte de réglementation des psychothérapies les pouvoirs publics vont-ils, sous la pression d’une certaine corporation médicale qui rêve de traiter de façon médicamenteuse  le sujet parlant en simple organe, annexer l’exercice de la psychanalyse et de la psychologie clinique au champ réservé et préservé de la médecine et de la logique d’accréditation, d’évaluation et de normalisation bureaucratico- techno-scientiste dans laquelle elle s’est et a été enfermée?

 

                Le psychanalyste laïque et le psychologue clinicien ne pourront-t-ils désormais alors plus s’autoriser dans l’exercice de leur discipline autonome respective : la psychanalyse et la psychologie clinique, que d’une prescription psychiatrique qui en ferait de simples auxiliaires médicaux en les privant de leur responsabilité, de leur indépendance et de l'usage autonome différent de leurs compétences professionnelles?

 

             De plus, tous les analysants et les personnes qui s’adressaient jusque-là librement et directement à un psychanalyste et à un  psychologue clinicien pour leur difficulté et souffrance psychologiques devront-ils, désormais, être considérés par la loi (et la société) comme des malades mentaux sous tutelle pour relever de la psychiatrie, de ses méthodes diagnostiques tirées exclusivement et de façon de plus en plus contestée du DSM américain et de ... ses molécules?

 

 

                                                           Extraits de l'article ...

 

                

 

                       Si parler, peindre, écrire, par leur effet de soin servent parfois et de surcroît d'« outils thérapeutiques » utilisés en psychiatrie dans le traitement des troubles mentaux, ces activités encore libres en France aujourd’hui, sont-elles aussi en risque, comme la psychanalyse, l’exercice de la psychologie clinique, et les différents traitements par la parole de la subjectivité revisités à sa manière par le tout récent rapport Cléry-Melin, de se voir confisquées et dénaturées par médicalisation ?

 

                       Ces prises en compte et mises en travail de la subjectivité sont-elles aussi en risque de devenir médicalement réservées, standardisées, normalisées et réduites à l’ossature chiffrée de leur mise en protocoles comptables bureaucratiques par les autorités sanitaires du champ médico-psychiatrique? Un champ dans lequel de plus, par une sorte d’OPA marchande, elles seraient dès lors voulues législativement enfermées et vassalisées sous forme de « prescriptions » après diagnostic psychiatrique obligatoire? Pour qu’un éventuel « malade » potentiel relevant de l’assurance maladie et à ne considérer désormais socialement et juridiquement que comme tel selon cette dimension, n’aille surtout pas s’échapper pour peindre ou parler librement ailleurs? Ailleurs que sur « le marché » contrôlé, « encadré » et dès lors réservé de la  couverture sanitaire qu’on lui aurait prévue?  Pour un bien choisi et décidé à sa place?

 

                        N’y aurait-il pas là comme l’effet d’une sorte de volonté politique idéologique de mettre sous tutelle le sujet de l’inconscient par la normalisation bureaucratique de ses modes de prise en compte et de ses praticiens au lit de Procuste d’une pensée dominante aux commandes?

 

                          Dès lors adresser sa demande à un analyste,  aller parler de son mal-être à un psychologue clinicien seront-ils des libertés soumises à l’autorisation d’une  prescription médicale résultant d’une évaluation psychiatrique préalable, renforçant par là même l’identification objectivante et réductrice des sujets à des grilles symptomatiques et nosographiques techno-scientistes (le DSM par exemple) qui rejettent toute notre expérience clinique avec la division psychodynamique du sujet parlant ?

 

                   Or, la psychanalyse n'est pas et ne s’est jamais présentée comme une psychothérapie au sens de la logique médicale du mot. Le sujet comme effet de langage ne sera pas guéri de sa division, ni de cette part de réel qui le leste et que le symbolique ne recouvre pas totalement. Si c’était seulement le cas, elle ramènerait, à un état antérieur de plénitude mythique c'est à dire comme le dit Lacan « au pire », alors qu'elle conduit à un état nouveau de « réveil » et de meilleure réalisation subjective et qu’elle n’a un effet thérapeutique que « de surcroît » seulement. Et encore, le processus singulier qui permet cette réalisation subjective est lui même subordonné dans son opérativité à la condition que l’analyste renonce à sortir du  rien inconsistant de sa place de tenant lieu d’objet perdu, de déchet, là où il reste à l’analysant à reconnaître et à mettre en fonction et au travail  ce qui - appelons-le métaphoriquement « manque à être », « absence de rapport sexuel », « trou dans le savoir », « absence de signifiant du sujet », « objet petit a » - cause son désir.

 

                          

                         Le processus analytique suppose que l’analyste renonce à influencer, suggérer, agir d’une manière médicale et d’une place consistante de savoir et de maître en visant directement la « guérison » du symptôme. Dans la psychanalyse, on sait bien que ce n’est pas l’analyste qui est au travail, mais l’analysant par le truchement du transfert qui lui fait supposer l’analyste en position du savoir qui lui manque et de support de l’objet manquant qui le cause. La psychanalyse a certes un effet psychothérapique essentiel, mais le symptôme n’y a ni la même place, ni le même traitement ni le même sens qu’en médecine. En psychanalyse, c’est le symptôme analytique seul qui est à analyser et qui est entendu comme l’expression transférentielle potentiellement la plus vraie de cette part intime et inconsciente du sujet encore en souffrance d’advenir à se résoudre dans la verbalisation. C’est pourquoi ce n’est pas la  guérison au plus vite d’un symptôme objectivable de l’extérieur qui est visée et qui serait probatoire à des pseudo-expertises.

 

                         La psychologie clinique, si elle n’est certes pas la psychanalyse, entretient néanmoins avec cette dernière dans une mutuelle autonomie un rapport de  familière étrangeté.

 

                    Il me semble qu'il serait abusif et néfaste que la loi consacre aussi sa dénaturation médicalisée et techno-scientiste par une mise en tutelle psychiatrique qui l’empêcherait de prendre en compte et médiatiser à sa manière propre, les effets évolutifs et constituants - donc indirectement thérapeutiques -  de subjectivation de la parole adressée au clinicien qui l’invite à se tenir et se faire entendre.

 

                     On sait que c’est dans ce sens que s’exerce, en collusion avec une certaine logique politique et son pouvoir administratif, la pression d’une certaine corporation médicale techno-scientiste à prétention hégémonique.

 

                      Cela serait par exemple le cas si, comme pourrait le laisser faire la loi en ne le précisant pas, la psychologie clinique était ramenée avec la psychanalyse dans l’arsenal des « outils thérapeutiques » du médecin et dès lors seulement exercée comme une simple technique d’auxiliaire médical sous son contrôle, sur son ordonnance et selon des « bonnes pratiques » définies par l’ANAES et expertisées par l’INSERM selon une logique et une pensée médicale techno-scientiste inappropriées car d’une autre nature que celle du sujet parlant comme simple effet de langage....

 

                         

 

                           De quelles places  radicalement différentes pourrait alors se tenir l’écoute d’une parole?

 

                    Celle qui (s’)ordonne et (se) contrôle, comme le croit l’académie de médecine, par un docte savoir objectivant et dominateur dans une kyrielle de classements symptomatiques, ou celle, plus humble et difficile, de simple ouverture subjective constituante pour le demandeur? Voudrait-on réduire et museler le demandeur par un encadrement sanitaire technocratique qui en ferait un objet de mesures de soins tel que le propose le récent « plan d’actions pour le développement de la psychiatrie » du docteur Cléry-Merlin qu’on cherche par bureaucratie à le déposséder de sa démarche vers le praticien de son choix et à court-circuiter l’ouverture du travail clinique de sa demande, comme on l’a déjà imposé dans l’éducation nationale?

 

                         Une psychanalyse, un travail de psychologie clinique psychanalytique en ce qu'ils sont des engagements de libre parole, personnels, singuliers et on ne peut plus "intimes", ne sauraient se tenir, contrairement à ce que voudrait ce rapport, sous tierce prescription, pas plus médicale que pédagogique, juridique ou administrative.

 

 

                                                                                                                                                            Michel Berlin

 

 

         (Argument d'un long article publié sur Internet - site Œdipe.org - à la suite du rapport Cléry-Merlin sur la santé mentale)

 

 

                                                                                      


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