Notes sur la relation d'objet en psychanlyse

Le tourbillon de la vie - Jean-Claude Brun dit JABrun
Le tourbillon de la vie - Jean-Claude Brun dit JABrun

 

LA RELATION D'OBJET - d'après le séminaire Livre IV 1956-1957

 

 La Théorie du manque d'objet

 

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 La béance d'un supposé objet perdu comme cause du sujet

 

 

Pour l'homme, trouver l'objet n'est jamais que la suite incessante d'une tendance où il s'agit de tenter de retrouver un objet perdu. Cette répétition rate à retrouver le même objet. Elle instaure dès lors une discordance entre l'objet perdu-cherché et l'objet trouvé. C'est à travers la recherche d'une satisfaction passée et dépassée que l'objet est cherché et qu'il est trouvé et saisi, comme nouvel objet, ailleurs qu'au point où il est cherché. Il y a ratage du Principe de Plaisir à atteindre la jouissance. Tout comme Lacan qualifie la jouissance et le réel d'impossibles, Répétition, Principe de Plaisir sont "impossibles" à assouvir et à se boucler sur eux-mêmes, par ce qu'il appelle l'opération-même du Saint-Esprit, soit par l'advenue d'un Sujet divisé-déchiré d'une part de lui même, dans le monde préexistant du signifiant où il n'est dès lors plus que (pauvrement? aporie?) "représenté" (cfrs "un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant").

 

 

 

Du ratage de la retrouvaille de la satisfaction passée à jamais perdue, soit de la répétition en tant que tendance au retour du même (que Freud conceptualisera comme Thanatos), le rapport du sujet avec son monde se trouve donc posé comme profondément conflictuel. Principe de Plaisir et Principe de Réalité s'opposent en ce qu'ils ont entre eux une irréductible béance.

 

 

 

La réalité est dans une opposition, dans une discordance foncière avec le retour du même toujours recherché. Et cette discordance, ce ratage, ce reste, c'est ce qui constitue et "cause" précisément la dynamique, le ressort mais aussi la quête nostalgique (en latin desirare signifie regretter l’absence de) du rapport du sujet au monde. Ce rapport du sujet à son objet, nous dit Lacan  ne va pas de soi. Ceci, non pas par suite de désordres secondaires à rectifier qui adviendraient dans ce qui serait une harmonie préétablie. Mais bien au contraire du fait même qu’il n’y a pas plus d’harmonie préétablie dans les rapports de sexe (il n’y a pas de rapport sexuel) entre le sujet et son objet (cette part perdue de lui-même) et donc de rectification orthopédique ou ré-éducative à opérer, qu’il n’y a de père Noël. Soit l’harmonie préétablie est un fantasme imaginaire de complétude.

 

 

 

«Le rapport du sujet à l’objet est un rapport dialectique, conflictuel et divisant, du fait même de l’absence d’harmonie préétablie sujet-objet et de la discordance entre objet recherché et objet retrouvé ».

 

 

 

Si l'on reprend les choses au niveau des 2 systèmes de l'appareil psychique Primaire et Secondaire  trouvés par Freud, on peut dire que ce qui se passe au niveau du système primaire est gouverné par le Principe de Plaisir, c'est à dire par la tendance à revenir au repos (thanatos, automaton), tandis que ce qui se passe au niveau du système secondaire (gouverné par le Principe de Réalité) est défini par ce qui FORCE (Pulsion, libido) le sujet à la conduite de détour dans la réalité, comme on dit, extérieure. Ces deux principes sont dans un rapport d'opposition dialectique mais liés par la libido.

 

 

Car en Allemand LUST signifie aussi bien plaisir que l'envie, si bien que la libido intoduite par Freud LIE (Eros) aussi bien la recherche du retour au repos comme plaisir que l'envie comme érection du désir. En fait, vivre c'est emprunter toutes sortes de détours forcés, qui apparaissent comme autant de perturbations dans la tendance à revenir au point d'origine, à l'état inanimé, ... à la jouissance.

 

Evoquer ce qui force à la dialectique du détour nous ramène à la notion d'économie et donc d'énergie pulsionnelle. C'est par là que Lacan va introduire les deux termes qui, corrélativement à la libido, lient ces deux principes.

 

 

Ils représentent les deux niveaux de la parole : le signifiant et le signifié.

 

 

 

Au mythe d'Aristophane de la recherche de la moitié sexuelle dans l'amour, évoqué par Freud, Lacan substitue le mythe de la "lamelle" fait pour incarner la part manquante du sujet résultant de sa prise dans le signifiant qui lui préexiste. Le sujet recherche non son complément sexuel, mais la part à jamais perdue de lui-même, qui est constituée du fait qu'il n'est qu'un vivant sexué et qu'il n'est plus immortel. "A être sujet au sexe (dira-t-il dans les 4 concepts en 1964), le vivant est entré dans la mort individuelle". Aussi, puisque "le symbole représente le meurtre de la chose", le signifiant apparait-il comme fonctionnant "sur le fond d'une certaine expérience de la mort". C'est de n'être plus, que la chose, le signifié, l'être du sujet, l'unité, n'est plus que sous la forme partielle et substitutive d'une re-présentation qui n'est qu'un "tenant-lieu de retrouvaille, le signifiant apparaît-il comme fonctionnant sur le fond d’une certaine expérience de la mort ».

 

 

 

Pour Lacan, « la mort apparaît comme la condition absolue et indépassable de la vie » et « c’est par la mort en tant qu’opération du St-Esprit que le signifiant existe ». Le signifiant est donc lié (chaîne symbolique) à partir d’un signifiant premier du trauma de la perte originaire, à la répétition (automaton, pulsion de mort) fonctionnant dans un au-delà du Principe de Plaisir pour tenter de lier ce qui fait trou et trauma d’une rencontre insupportable avec le réel.

 

Une rencontre impossible à symboliser, une blessure impossible à panser-suturer complètement et qui nécessite pourtant ENCORE le parcours de la ronde des signifiants à produire ... des métaphores à créer ... On retrouve là que ce qui est dynamogène, c’est la discordance, le reste, la béance du réel impossible à panser, la « mauvaise rencontre », le non rapport unitaire entre l’objet retrouvé et l’objet recherché.

 

 

 

Par une métaphore énergétique de l’usine hydroélectrique pour rendre compte de ce qui se passe dans la vie mentale, Lacan remarque qu'il n'est nul besoin de prendre en compte le substrat organique dans l'analyse car " la réalité de la prise en compte de cette énergie suppose déja sa prise en compte dans un système pris comme signifiant" un système qui donc PREEXISTE. "Ce qui compte c'est CE que permet d'articuler le signifiant". Et si on compare le "CA" à l'usine, "le ça est ce qui dans le sujet est susceptible, par l'intermédiaire du message de l'Autre (lieu des signifiants) de devenir Je". Ou encore, le langage préexiste et le signifiant est déjà là dans le ça, le réel, mais sous forme de signifiant incompris.

 

"Wo es war, soll ich werden"(Là où C'était, Je dois advenir).

 

 

 

Ceci nous introduit à l'étude du rapport analytique analysant /analyste et de celui du Sujet à l'Autre qu'il convient de permettre d'établir dans l'analyse.

 

 

 

 

 

Le Schéma Z comme rapport du Sujet à l'Autre: le Symbolique

 

 

 

Lacan rappelle ce schéma dans une critique de la réduction de la relation d'objet et de l'analyse à une relation duelle qui serait dite ou crue réelle. Conçue ainsi, la relation d'objet se réduit à la conception d'une relation purement imaginaire qui n'empêche pas que les choses se passent autrement, selon le schéma Z en l'occurrence, du fait-même du rapport de parole existant. Et l'analyse dès lors conçue en tant que relation réelle comme "bundling" (coucher sans consommer) ne peut qu'aller de travers, voire déboucher sur des passages à l'acte pervers.

 

Qu'en est-il de ce schéma Z?

 

 

"La relation symbolique se croise de la relation imaginaire qui lui sert de filtre".

 

Constitué au départ de l'analyse, le rapport du Sujet (S) à l'Autre (A) "est le rapport de parole virtuel par quoi le sujet reçoit de l'Autre son propre message, sous la forme (inversée) d'une parole inconsciente". Ce message lui est interdit, profondément méconnu, déformé, arrêté, capté, du fait de l'interposition de la relation imaginaire a - a', entre le moi et l'autre qui est son reflet et son objet typique. C'est une relation essentiellement aliénée qui inhibe et inverse le rapport entre le Sujet et l'Autre. L'Autre qui n'est pas simplement l'Autre qui est là, mais le lieu de la parole.

 

 

 

La ligne imaginaire a-a' rapporte le Sujet qui est discordant, décomposé, ouvert au morcellement, (DIVISE par la spaltung inaugurale de sa prise dans le signifiant) à l'image UNIFIANTE, NARCISSIQUE, (Idéale) qui est celle du petit autre (miroir). Elle l'aliène à une image, à une illusion, dans une relation de réciprocité en miroir qui peut paraître directe et sans béance mais qui est vouée à la méconnaissance et à l'agressivité. Elle implique sur un mode de prégénitalité (voir/être vu, attaquer/être attaqué, dominer/être dominé, actif/passif, être/ne pas être) l'identification au partenaire.

 

 

 

L'imaginaire en position transverse sert de filtre et d'obstacle à l'avènement du Sujet à sa parole ( "Je" dois advenir) et à son désir inconscient qui lui proviennent de ce lieu Autre (D'un autre à l'Autre, ex-istence du Sujet) au-delà de cette ligne. Pour Lacan "il y a déjà structuré dans la relation parlante, au-delà de l'autre imaginaire appréhendé, cet Autre supposé qui est le Sujet comme tel, le sujet dans lequel votre parole se constitue parce qu'il peut l'accueillir et y répondre".

 

 

 

Enfin, c'est l'impossibilité de l'avènement à l'Autre symbolique (au désir inconscient) qui constitue la névrose. Cela va être repris et va éclairer les différentes formes du rapport au manque d'objet et donc les relations de l'enfant au phallus et à sa mère, dégagées de l'imaginaire par le pivot "transcendant" de la fonction paternelle, à travers la castration symbolique et l'intériorisation du phallus symbolique. Ceci comme pacte et droit à recevoir symboliquement une puissance limitée, autorisée et validée par la loi de normalisation oedipienne.

 

 

 

 Les trois formes du manque d'objet: PrivationFrustrationCastration.

 

                                                                                                                          

 

L'idée d'un rapport harmonique, achevant de par sa nature la relation Sujet-Objet, est contredite par l'expérience tant analytique que commune relative aux rapports des sexes ("Il n'y a pas de rapport sexuel"). Il y a donc quelque chose qui ne va pas de soi et qui introduit une béance dans le rapport du Sujet à son objet comme nous l'avons vu. Mais sans béance, on est dans la réciprocité imaginaire unifiante sur la prototype aliénant de l’illusion du miroir fondement de la saisie illusoire du sujet par lui-même en tant que Moi. Là, contrairement à l’apparence de relation prétendue réelle, l’objet c’est moi, mon reflet, ma projection. Dans l’autre cas, celui de la cause béante d’une recherche de l’objet perdu selon le Principe de Plaisir, l’objet, nous dit Lacan, est toujours plus ou moins halluciné et ... autre que celui cherché.

 

-l'objet perdu/retrouvé avec reste.

 

 L'objet se présentant toujours dans une quête de l'objet perdu. Il est donc toujours l'objet retrouvé mais avec un reste, une béance qui n'en fait pas un objet suturant, achevant, unifiant.

 

-l'objet réduit au réel.

 

Tout opposé à l'objet halluciné sur un fond de réalité angoissante (Panser ou tamponner par l'objet du fantasme le vide de la Chose) selon le système primaire du plaisir me le vide de la Chose)

 

-Objet de réciprocité et d'identification

 

L'identification à l'objet est au fond imaginaire de toute relation à celui-ci. Lacan développe alors l'exemple de la complexité de l'objet dans la névrose obsessionnelle où le mode prévalent de relation se situe dans le registre imaginaire. L'obsédé est "en somme un acteur qui joue son rôle pour montrer à un Autre qui assiste au spectacle (le sujet spectateur qu'il est inconsciemment) qu'il est invulnérable", se mettant ainsi hors de la castration et de la portée des coups, du fait qu'il a "mortifié" son désir". Il s'exerce à un "domptage" qui conditionne toutes ses approches au petit autre, son alter-égo imaginaire, auquel est pour lui réduit autrui, dans une exhibition où il s'agit (dans ce domptage et ce défi de rivalité mortelle) de montrer jusqu'où il peut aller et jusqu'où peut aller ... son autre lui-même. Lacan compare là dans ce semblant de jeu de cirque, l'intervention de l'analyste à l'arrivée d'un Monsieur Loyal qui inviterait les protagonistes de ce jeu de claques à "se bouffer mutuellement leur bâton", faisant apparaître là, le caractère profondément ORAL de la relation d'objet imaginaire dont l'aboutissement est le fantasme d'incorporation phallique ( soit réciprocité d'une incorporation imaginaire au lieu d'introjection symbolique qu'elle préfigure).

 

 

 

Car la notion de relation d'objet ne peut être comprise sans l'interposition du phallus comme élément tiers. Le prototype de la relation imaginaire duelle étant le rapport mère-enfant-phallus.

 

De ces trois formes de la notion d'objet, Lacan en vient à distinguer les trois formes non équivalentes sous lesquelles se présente le manque d'objet et les expériences de recherche critiques correspondantes.

 

 

PRIVATION: Le  manque est REEL (trou) et hors du sujet (ce qui implique qu'il faut que le sujet symbolise déjà le réel dans lequel, sans loi de mise en ordre signifiante, rien ne saurait manquer (ce qui implique la préexistence du symbolique), l'objet est SYMBOLIQUE (le phallus symbolique) et l'agent est le père IMAGINAIRE qui peut donner ou priver.

 

 

 

Il s'agit de l'absence réelle d'un objet que le sujet peut concevoir comme devant lui appartenir, ou comme devant appartenir à celui (celle) qu'il perçoit comme en étant indûment dépouillé. La rencontre de la différence des sexes pour l'enfant passe par la reconnaissance du fait que la mère n'a pas de pénis et qu'elle en est réellement privée. Elle peut être conçue comme un temps de l'œdipe où le père imaginaire apparait comme le double privateur de la mère pour l'enfant et de l'enfant (phallus) pour la mère. Mais nous dit Lacan comment le sujet est-il amené à symboliser le réel pour "accéder" à la privation? "Quand il perçoit que sa mère désire en lui son image phallique à elle et qu'il y a là discordance imaginaire". Soit quand il perçoit que sa mère est privée de phallus et qu'elle désire l'avoir.

 

 

 

FRUSTRATION : Le manque est dans l'IMAGINAIRE du sujet en tant que (Dam), l'objet est le sein REEL (a) et l'agent la mère SYMBOLIQUE (dont il se vit ayant droit). Elle est par essence le domaine de la revendication effrénée et sans loi.

 

Elle concerne ce qui est désiré dans une relation primitive mère-enfant sans nulle référence à aucune possibilité de satisfaction ou d'acquisition. Elle est un dommage imaginaire. Elle accompagne la tentative toujours vaine de restauration d'une complétude. Elle découle d'un mode de relation où peuvent apparaître des trous, des carences selon une périodicité dans un continuum sans qu'il y ait pour autant distinction entre moi/ non-moi. Mais dans le monde humain où l'enfant constitue son appel (fort/da), la réponse sous forme de don ou de refus de présence est scandée par un Autre maternel qui, par l'alternance de son absence ou présence, prend la dimension d'agent symbolique. C'est là une amorce de relation symbolique.

 

 

 

CASTRATION : Le manque est dans la chaîne SYMBOLIQUE en tant que Dette Symbolique liée par le complexe d'Oedipe à la notion de la loi (donc aussi dans le sujet), l'objet est le phallus IMAGINAIRE et l'agent est le père REEL. Son manque est ce que sanctionne la loi qui lui donne son support et son INVERSE : la PUNITION.

 

 

 

Les rapports mère-enfant-phallus-père : phobie et perversion

 

 

Pour concevoir les rapports mère-enfant, prototype de la relation d'objet chez l'homme, et leur remaniement, il est nécessaire d'introduire le phallus comme élément tiers.

 

 

C'est la triade imaginaire mère-phallus-enfant qui prélude à la mise en jeu de la relation symbolique qui ne se fera que dans la dimension de l'Oedipe avec l'introduction d'un 4ème élément : le père. L'entrée en jeu de la fonction paternelle se fait à partir de la double déception fondamentale de l'enfant qui s'aperçoit et s'éprouve ne pas être le phallus, l'objet unique de sa mère qui désire un phallus qu'elle n'a pas et qui donc en est privée.

 

 

 

L'enfant repère le phallus comme élément tiers ENTRE lui et sa mère qu'il découvre désirante du phallus qu'elle n'a donc pas en lui. Il s'introduit là une béance, une discordance entre ce que la mère désire et ce qu'il peut s'éprouver saturer, combler de ce désir. Il réalise que l'Autre primordial n'est pas TOUTE, qu'elle est désirante et castrée.

 

 

 

Dès lors, pour l'enfant cette relation devient insoutenable.

 

 

 

C'est là, à la limite de la situation oedipienne, qu'éclate la phobie infantile. Quand l'enfant doit faire appel à un terme qui rende symboliquement vivable et pensable, au moins pour un temps, cet insoutenable angoissant. Ce terme, l'objet phobique, « signifiant à tout faire «  selon Lacan,, pare au pire de la béance introduite et est promu agent responsable de toute la situation. Il est substitut de père. Pour Lacan, la phobie est donc un appel à la rescousse.

 

 

 

Dans la situation Oedipienne normale, par une rivalité identificatoire avec un 4ème terme, le père porteur du phallus, le sujet se verra conférer la puissance phallique, dans certaines limites (loi) qui précisément l'introduisent à la relation symbolique. L'issue est que l'enfant reçoive symboliquement le phallus dont il a besoin. C'est par une sorte de PACTE symbolique, soit de droit au phallus, que s'établit cette identification virile, fondement d'une normativité oedipienne.

 

 

 

En fait dit Lacan, le père en tant que 4ème élément embrasse et LIE les 3 premiers en une relation symbolique qui donne la possibilité de TRANSCENDER dans la relation de castration, la relation imaginaire de frustration ou le manque d'objet de la privation. Car elle introduit ce manque d'objet dans une dialectique qui lui confère la dimension du pacte, d'une loi d'interdit : celle de l'inceste.