L'identité en question dans le cartel

 

L’identité, en question dans le Cartel

(texte publié dans le n° 31 du mensuel de l'EPFCL)

 

Et voilà devant ma page blanche sous l’horizon estival de notre rencontre de rentrée le titre qui m’est venu. Ça s’est fait en une sorte d'anticipation de ma pensée. Anticipée, sinon évidemment aurait pu s’arrêter là le travail de ma question. En ce titre, je vois se profiler la perspective de faire d’une pierre pour ainsi dire deux coups.

 

Conjoindre la question de l’identité, c'est-à-dire de l’identité comme question au travail, c'est-à-dire encore comme question de cet en moins opérant qu’est le sujet parlant, au dispositif inventé par Lacan propre à faciliter structurellement l’exécution d’un travail.

 

Un petit rappel. Le 21 juin 1964 on sait que Lacan fait acte de fondation de L’École Française de Psychanalyse (EFP). Je rappelle les termes de l’énonciation de son intention à cette fondation : « Ce titre dans mon intention représente l’organisme où doit s’accomplir un travail –qui dans le champ que Freud a ouvert, restaure le soc tranchant de sa vérité – qui ramène la praxis originale qu’il a instituée sous le nom de psychanalyse dans le devoir qui lui revient en notre monde – qui, par une critique assidue, y dénonce les déviations et les compromissions qui amortissent son progrès en dégradant son emploi ».

 

« Ceux qui viendront dans cette école s’engageront à remplir une tâche soumise à un contrôle interne et externe. Ils seront assurés en échange que rien ne sera épargné pour que tout ce qu’ils feront de valable ait le retentissement qu’il mérite et à la place qui convient.

Pour l’exécution du travail, nous adopterons le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe. Chacun d’eux (nous avons un nom pour désigner ces groupes) se composera de trois personnes au moins, de cinq au plus, quatre est la juste mesure. Plus une chargée de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun.

Après un certain temps de fonctionnement, les éléments d’un groupe se verront proposer de permuter dans un autre

 

C’est donc notamment pour permettre et faciliter ces permutations que sont organisées, régulièrement comme aujourd’hui, des réunions de travail avec et autour des cartels.

 

Lacan fonde donc une école comme lieu où s’effectue un travail exécuté dans ce petit groupe désigné sous le nom de cartel. Et même, comme il le précise dans le paragraphe 5 (« De l’engagement dans l’école ») de l’acte de fondation dont nous parlons,  il fait du travail en cartel une des deux modalités d’engagement dans l’école. La deuxième étant le passage par un comité d’accueil et de sélection nommé Cardo (gond en latin). La cure psychanalytique, devenue didactique par ses effets, n’est précisée exigible que pour la première des trois sections que comprenait à cette époque l’EFP.

 

La formalisation du cartel en 4+1 introduit un réel et de l’hétérogène propres à en faire un groupe pas comme les autres, c'est-à-dire notamment propre à ne pas s’aliéner dans les effets de groupe, les idéalisations, les identifications et les chefferies aux dépends de l’effet discours attendu de l’expérience et du travail provoqué.

 

Et pourtant il y a ce qu’on appelle des « crises de cartels » mais la structure n+1 et les mises à ciel ouvert sont censées en faciliter l’analyse et l’effet sujet comme produit propre à chacun par décollage de l’imaginaire.

 

Les cartels, en tant que dispositifs de travail marquant un engagement, non pas celui du fonctionnaire ou du militant POUR une cause, mais bien celui d’un sujet PAR ce qui le cause, sont dans un lien de nouage singulier là aussi à l’école. Ils sont « de » l’école par leur déclaration mais non pas en tant que dispositif ou  instrument de l’école au sens où c’est l’école qui serait aux commandes et dirigerait, mais bien de l’école en tant que c’est par l’école en tant que lieu vide et adresse possible que s’effectue une mise au travail propre à chacun. Comme me le disait récemment l’un de nos collègues piqué par le risque de dérive de cette équivoque possessive du « de », il est bon de bien préciser que ce sont en fait les cartels qui font école par leur travail. Et non l’inverse.

 

C’est pourquoi même après la dissolution de 1980 le cartel comme structure opérante pour l’élaboration créative de la psychanalyse hors effet de colle et identification en position d’élève se nourrissant d’un savoir tout fait qui lui serait enseigné par le maître comme langue de bois à répéter est demeuré d’importance. Le cartel reste le moyen pour chacun de se laisser travailler par la psychanalyse et de remettre en jeu sa question de sujet. Car dans ce domaine peut-être encore plus que d’autres tout « apprentissage » ne suppose –t-il pas la nécessité d’avoir à y mettre du sien, par la mise en jeu opératoire d’un trou dans le savoir et ainsi d’être confronté à la béance d’avoir sans cesse à redécouvrir et réinventer la psychanalyse.

 

Ainsi par exemple, après la dissolution de 80, le cartel a-t-il été réaffirmé comme « organe de base » en 5 points :

- le travail de cartel donne un produit non collectif mais propre à chacun. Sans  produit du groupe donc mais avec des effets sur chacun comme sujet.

-    Le +1 a fonction de « veiller aux effets internes de l’entreprise ». Il est le provocateur de l’élaboration. Il ne peut être tiré au sort, il est choisi après le choix des 4. En tant que non homogène, effet de coupure créatrice, voire place vide ou « leader pauvre » il permet à l’ensemble de fonctionner. Si l’un s’en va tous sont libres, comme dans un nouage borroméen.

-    Permutation au bout d’un an, deux maximum pour éviter l’effet de colle et le ronronnement dans le « on est bien et on s’entend bien ensemble ». le cartel a une fin comme moment fécond. C’est ça, c'est-à-dire la coupure, la déliaison, la séparation pour échapper à l’effet de groupe et donc à l’effet de colle garanti.

-    Mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises de travail en tant qu’effet de la structure. Le groupe n’a pas à l’emporter sur le discours au risque de devenir église ou armée.

 

Alors et dans tout ça, me direz vous, qu’en est-il de l’identité comme question du sujet au travail ?

 

Eh bien comme le dit Patricia Zarowsky, actuelle responsable des cartels à l‘EPFCL, en introduction au catalogue 2007, « le savoir théorique qui s’élabore dans le cartel n’est pas un savoir universitaire. C’est un savoir intimement imbriqué à la question en œuvre pour chacun dans ce qui a été à l’origine de sa demande d’analyse et donc avec la question du réel en jeu dans chaque cure ».

 

Ce savoir, comme son produit, comme nous l’avons dit plus haut est en fait propre à chacun comme sujet. Il est donc propre à la question ouverte de son identité de ce sujet et en fin de compte de sa subjectivation de la castration, comme je vais le développer un peu.

 

En effet, il me semble que le discours analytique et le cartel ont au moins un point commun. C’est de miser tous les deux sur l’efficience créatrice d’un trou dans le savoir, d’un savoir y faire avec la question du manque dans le savoir. Et non pas de boucher ce trou par un savoir tout fait à ingurgiter, à plaquer et à instrumentaliser en une langue certes peut-être d’apparence lacanienne mais néanmoins dès lors inopérante car langue de bois et langue morte.

 

Ceci nous renvoie à l’identité comme question. Mais comme question au travail de la subjectivation.

 

Celle que pose le sujet divisé, lui qui, comme on le sait par ce qu’en dit Lacan, seulement représenté par un signifiant pour un autre signifiant, sans signifiant qui le signifierait et le totaliserait, n’est pas unifié ni réduit à son moi. Lui qui, dès le refoulement originaire et de par ce manque qui lui fait castration mais qui le cause est donc voué à poser à l’Autre la question de son essence et de ce qui lui manque.

 

Et c’est à l’Autre, trésor des signifiants qu’il adresse sous transfert sa question. La question sur ce qu’il est et que dans l’articulation signifiante S1 – S2 le signifiant S2, de qui elle est attendue, rate à suturer et à faire clôture. L’Autre, trésor des signifiants, est supposé en savoir quelque chose sur ce qui manque au sujet pour se saisir. Il est ainsi mis cet Autre en place transférentielle de sujet supposé savoir.

 

Mais un reste demeure, irréductible à du savoir. Et ce reste, en tant que cause, relance le mouvement. L’écriture du sujet S barré écrit cette impossibilité du sujet dans le signifiant, son ex-sistence au signifiant. Or, on le sait, selon Lacan, l’impossible : c’est le réel. Et donc S barré, c’est le sujet comme réel, absent du signifiant, c'est-à-dire faisant trou dans le symbolique, mais qui peut néanmoins avoir une écriture et bien sur une opérativité dans laquelle et par la mise en jeu de laquelle il s’y trouve cette forme je dirai opératoire d’identité.

 

Ce trou créatif voire re-créatif, que le travail en cartel va mettre en jeu par un autre transfert que celui de la cure mais par un transfert dit de travail, c’est en fait ce qui est désigné du nom d’objet a, irréductible à toute assignation signifiante par laquelle le sujet, comme réel absent du signifiant sans pour autant n’être pas sans y être représenté, est fait manque à être.  

 

Si l’identité subjective diffère de l’identification en ce qu’elle n’atteint pas à l’unité ni à l’unification sur l’axe d’un moi idéal imaginaire prolongeant l’anticipation unitaire qui s’est initialement opérée dans le miroir, elle a néanmoins me semble-t-il à la fois à voir avec l’idéal du moi et le nom propre à partir du trait unaire comme marque première et originaire du sujet. Elle a aussi à voir avec l’assomption opératoire de l’incomplétude, du ratage du même, de la différence et de la perte, bref du -1 comme effet du symbolique et comme fonction de subjectivation. 

 

On retrouve là la nécessité pour le sujet de s’identifier à son symptôme, soit de se trouver une identité par lui ou encore comme nous l’avons déjà repris d’une trouvaille de Lacan de ""faire de sa castration sujet" et de s’y retrouver ainsi dans la fonction opératoire et donc comme positivée de ce moins. Le sujet ne retrouverait-il pas par là un effet d’identité par la mise en jeu fonctionnel de sa cause de l’ordre du  S = f(a) ?

 

Ce sujet va donc devoir subjectiver ce manque. Autrement dit encore il va devoir faire de ce manque, de ce moins qui le cause une identité opératoire. D’imaginaire et de faisant de façon inhibitrice défaut, comme chez le névrosé depuis son identification imaginaire au phallus, le phallus va devenir fonction symbolique. (F de moins quelque chose)

 

Il me parait donc que le travail en cartel, pas seulement mais notamment par le fait même que le cartellisant se met en position de subjectiver sa castration en se laissant travailler par le rebond suscité par sa confrontation avec les textes et la clinique, est l’occasion de faire « recracher les noms » par le trou du savoir comme le dit Lacan.

 

D’où le cartel comme dispositif d’école qui peut s’écrire en effet même « décolle » donnant l’occasion de productions propres à la mise en chantier de la question de chacun  à titre d’effet école. Dans le cartel et sans le savoir chacun, quel que soit là où il en est de son savoir théorique, met en question et donc au travail de production ce qui l’interroge et donc comme le dit encore Patricia Zarowsky, « ce qu’il y a de plus réel en lui-même ».

 

 

                                                                                                                        Michel Berlin

                                                                                                                        29 Septembre 2007

 


Écrire commentaire

Commentaires: 0