A Ségolène Royal


 

Michel Berlin

Psychologue

 

                                                                                                                                                       Le 14 février 1998


 

Madame Ségolène ROYAL

Ministre Chargée de l’Enseignement Scolaire

                                                                    S/C Mlle HELLE et de M. BOREL

députés de Vaucluse

 

 

Madame la ministre,

 

 

A l’heure où il semble être beaucoup question d’écoute dans une École confrontée au malaise, à la violence, à la pédophilie et à la souffrance psychique parfois désespérée des jeunes, il est révélateur qu’il ne vienne toujours pas à l’esprit des responsables scolaires que l’écoute, quand elle est, se veut et se dit psychologique c’est un travail spécifique qui suppose une longue formation psychologique et personnelle. Si elle se veut profonde et conséquente, elle constitue un véritable travail de nature et de dimension psychologique dont il serait pour le moins paradoxal que seuls les psychologues, pourtant en exercice dans l’école, soient encore officiellement écartés car non reconnus comme tels.

 

 

 Si, dans l’école, le "scolaire" se révèle servir d’écran facile au psychologue, c’est seulement à titre d’idéologie maison. C’est qu’il sert d’alibi à la hiérarchie enseignante pour domestiquer, refouler et détourner ce dernier dans le champ du statut d’enseignant par le dogme protectionniste frileux de la soi-disant nécessité préalable d’avoir selon vous une  « compétence pédagogique ». C’est la ritournelle que répétait déjà, à la suite de Lionel JOSPIN et avant vous, François Bayrou, pour qui « la diversité des statuts ne manquerait pas de remettre en cause la cohérence et l’efficacité des RASED coordonnés par l’IEN ». Avec la relativisation du « TOUT » pédagogique, c’est bien la remise en cause de l’annexion pédagogique de la profession de psychologue qu’il s’agit en fait ainsi d’éviter.

 

Il est facile de repérer que c’est le défaut d’inscription symbolique d’une différence statutaire, qui maintient la dérive d’une jalousie corporatiste tendant à ne tolérer qu’un psychologue semblable à l’enseignant, dès lors au mépris de son titre, de sa fonction, de son éthique et de son utilité propres



Pendant qu’on voudrait alors dériver sur les médecins, les assistantes sociales, les infirmières, et même sur les militaires, les policiers et les récents "emplois-jeunes" les fonctions professionnelles d’écoute et d’aide psychologiques du ressort et de la compétence du psychologue, il est bêtement « rappelé » à ce dernier quand il les exerce, qu’il  « ne doit pas oublier qu’il est scolaire », et « d’abord enseignant » ! Serait-il nécessaire d’être aussi gardien de prison, pour pouvoir y être toléré psychologue?

 

 

Selon votre ancien Directeur des écoles : «Vouloir un statut de psychologue, c’est vouloir quitter une école qui n’a pas besoin de psychologues mais de psychologues scolaires qui soient des collègues œuvrant à la pédagogie ». Selon l’inspection générale, délaissant une fonction clinique d’écoute à refouler hors champ pédagogique, il doit se centrer sur les théories de l’apprentissage sous prétexte que « les problèmes des champs scolaires ne doivent pas être transférés vers d’autres champs, affectifs ou sociaux, puisqu’ils tombent dans la thérapie ». Enfin selon le paradigme d’un esprit maison en dérive totalitaire,  « il paraît très important que les psychologues scolaires soient des enseignants, se perçoivent comme tels et agissent en conséquence » parce que  « s’il devait en être autrement on ne  verrait pas l’intérêt de maintenir au sein de l’éducation nationale des techniciens qui existent par ailleurs ». Ainsi, on voit bien d’où vient « l’oubli » et le mésusage quasi systématiques de psychologues neutralisés et instrumentalisés dans le statut-otage d’une autre profession par un sous-diplôme et un sous-recrutement « maison » ainsi voulus domestiquants et réducteurs.

 

 

Vous avez dû comprendre j’en suis sûr, Madame la ministre, la profonde tristesse et la grande indignation qu’entraîne ce gâchis illogique et  stérilisant digne de Courteline.

 

 

Psychologue clinicien en CMPP, psychanalyste, ancien secrétaire départemental de Vaucluse puis secrétaire général adjoint du Syndicat des Psychologues de l’EN chargé des questions de statut et missions, je me consacre désormais à la psychanalyse. L’occasion d’un travail clinique pour un colloque a réveillé cette question sur l’utilité d’une véritable mission de psychologue dans l’éducation nationale.

 

 

Cette mission selon une éthique psychologique qui n’évacuerait plus l’inconscient de l’école, devrait tendre à considérer enfin l’enfant, sa famille et l’enseignant dans leur dimension de sujets et non plus en simples objets maltraités d’examens, d’enquêtes, d’évaluations psychologiques à subir sur « signalements » et « prescriptions » administratives, comme si le droit de préserver l’intimité de son corps (auquel vous vous êtes montrée à juste titre particulièrement sensible me semble-t-il) ne valait pas pour l’esprit dans une École où ni l’éthique, ni le secret psychologique, ni l’indépendance professionnelle du psychologue, ne devraient être reconnus, acceptés et garantis.

 

 

                    Veuillez agréer, Madame la ministre, l’expression de ma haute considération.

 

 

                                                                                                                                                Michel Berlin

 

 

 


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