Témoignage d'un triste gâchis


 

Témoignage d'un triste gâchis.


                                          Article paru en page 39 du n° 180 de février 2005 de Psychologues et Psychologies.

   
 
               
                    L’être humain qu’il soit élève, enseignant, personnel médico-social ou administratif ne laisse pas son psychisme et ce qui le détermine à la porte de l’école. La dimension psychologique inconsciente, conflictuelle et symptomatique des rapports inter et intra humains, des rapports au savoir et des situations éducatives joue aussi à l’école et gagnerait sûrement à y être donc aussi prise en compte,« travaillée » et dénouée sur ce plan avec des psychologues d’orientation clinique dont c’est légitimement le rôle et le métier.

 

                 La psychologie clinique est transversale. Elle ne se pratique pas qu'en clinique médicale auprès de malades par des psychologues hospitaliers, parce qu'elle concerne la subjectivité de l'Homme. Et peut-être pas besoin d'être à l’hôpital pour avoir une subjectivité, ni donc d'être psychologue hospitalier pour devoir la prendre en compte et la mettre au travail de parole... 

       
                   Mais, en assignant par normalisation unifiante ses psychologues à une place symbolique inadéquate d’enseignants et de « maîtres », spécialisés en une soi-disant psychologie « scolaire » dont ils ont pourtant à se démarquer pour rester dans un véritable rôle de psychologue tout court, vu que pédagogues et psychologues sont des professions différentes par leur dénomination, leur sens, leur démarche, leur méthode, leur visée et leur éthique, l’institution scolaire signe là hélas le gâchis d’une position de rejet de la dynamique subjective inconsciente de l’Homme. Celui-ci ne se réduit pas à un objet ou un "produit" à évaluer mais, dans sa dimension proprement humaine, il est un être, divisé et conflictualisé, de désirs inconscients à reconnaître et de paroles à entendre.

 

                 L’école manifeste son rejet de cette dimension psychique essentielle à travers la seule prise en compte administrative, pédagogique, psychopédagogique ou médico-sociale de l’humain et consécutivement par la mise en tutelle stérilisante et le rejet des professionnels qui en représentent l’existence et la prise en compte d’une part et qui sont censés d’autre part et de façon non médicalement réservée à des malades ou à des psychopathes en mobiliser la restructuration et l’aménagement par l’appel d’une écoute spécifique dans le cadre d’entretiens et de suivis psychologiques.

                Et selon cette logique de REJET, dans le même temps, elle fait appel à des personnels sociaux ou de santé qui n’ont pourtant ni formation ni titre de psychologue pour exercer dans les établissements scolaires des fonctions d’écoute et d’aide psychologique…. N’y aurait-il pas là détournement des uns à travers celui des autres tendant ainsi soit à « pédagogiser » soit à médicaliser voire para médicaliser le mal-être et le symptôme psychique?



               Il a été parfois dit avec humour qu’on a voulu que la psychologie scolaire soit à la psychologie ce que la musique militaire est à la musique. Qu’elle fasse donc aussi marcher au pas? Celui de l’administration pédagogique. Et c’est vrai qu’avec nombre de mes collègues, j’ai toujours ressenti comme un véritable gâchis l’inscription et la présentation soi-disant « officielle » d’un exercice scolaire de la psychologie qui, rejetant la division subjective conflictuelle et l’inconscient, propres à la dynamique humaine sur quoi et avec quoi travaillent les psychologues, ne correspondrait qu’à un psychisme plat, chosifié comme produit de simples expertises et de mesures d’évaluation. Il s’agit alors en effet d’un exercice administrable comme un médicament selon une logique techno scientiste ou marchande "chosifiante" qui ne correspond pas à la conception du psychisme qu’en donne la psychologie clinique psychanalytique et qui reste surtout et stérilement sans aucun effet sur l’organisation psychique profonde. Il s’agit là d’une conception pédagogico-administrative, voire psycho-pédagogique de la dimension psychologique qui ne correspond ni à ce qu’on m’a appris à l’université ni à ce que j’ai découvert dans ma formation clinique parce qu’illusoirement réduite au Moi conscient d’un être humain amputé de sa dimension proprement subjective.

 

               Or l’être humain sujet de pensées et de paroles a droit, qu’il soit enfant, parent ou enseignant à être ou non demandeur d'une part. Il a droit d'autre part à ne pas se laisser administrer en objet d’examens et d’évaluations à subir, selon le désir de tiers (l'administration, les maîtres) en position de pouvoir à son égard. Ce n'est pas de cette place et selon ce sens qu'intervient le psychologue.

 

             L'être humain en démocratie a droit à ne pas se laisser traiter comme s'il n'en était pas pleinement humain mais un administré amputé de toute une partie dynamique et active de ses forces psychologiques inconscientes les plus intimes. Celles qui l’animent, le dynamisent, le causent et le poussent, toujours plus ou moins à travers des blocages et des symptômes, à vivre, désirer, aimer, haïr, apprendre, travailler. Ce sont ces forces dont le psychologue est de nos jours pourtant censé et attendu, partout ailleurs que dans l’école et les régimes totalitaires, faciliter l’issue symbolique…


            Dès lors pourquoi et pour l’intérêt de qui devoir continuer d’exercer dans l’école une fonction psychologique détournée et administrée à tort comme la spécialisation d’une autre profession, en référence à une autre discipline, amputée de toute une part profonde essentielle, non objectivable mais pourtant fortement agissante et déterminante, du fonctionnement psychique? Sauf peut-être en société intégriste totalitaire, un gynécologue accepterait-il encore de pratiquer les accouchements sous voile pour satisfaire l’obscurantisme religieux d’une époque révolue? Un scientifique pourrait-il encore travailler à la recherche spatiale et un prof enseigner l’astronomie s’ils ne devaient prendre en compte qu’un espace à deux dimensions où une terre aplatie serait le centre de l’univers pour des raisons dogmatiques idéologiques et religieuses? Qu’en penseraient-ils s’ils étaient contemporains et laïques? Pourraient-ils consentir à un tel détournement stérile de leur savoir et de sa mise en œuvre ?



            Cette annexion des psychologues et de leur exercice ainsi censés être scolarisés et ramenés sur le terrain purifié d’une pensée pédagogique unique pour mieux satisfaire au contrôle de sa hiérarchie institutionnelle constitue bel et bien le coup de force stérilisant d’un véritable détournement professionnel. Un détournement qui … tourne le dos au bénéficie du soutien et de l’aide d’une véritable prise en compte de la dimension psychologique des problèmes, des souffrances et difficultés. Tout autant de l’école et des ses personnels dans l’exercice de leur mission difficile et éprouvante, que des usagers dans leur rapport actuel à l’école et à ce qu’elle transmet à l’heure néo-libérale où on tend à nous faire croire que tout objet de désir peut s’acheter sans effort et par une sorte de court-circuit magique.



              Comme on le sait de nos jours où, confronté à ce que Freud appelait déjà le « malaise dans la civilisation », on fait de plus en plus appel aux psychologues, c’est pourtant le rôle premier et singulier de ceux-ci que d’offrir, même dans le quotidien de la vie institutionnelle où ils travaillent (et donc pourquoi pas aussi dans l’école ?), un libre et confidentiel espace intime d’écoute et de paroles comme lieu d’adresse constituante et libératoire de la subjectivité enclose dans les diverses situations de mal-être professionnel et relationnel, de conflits, d’échecs, de violences et de souffrances que vivent aussi bien les équipes d’enseignants que les « élèves » et leurs familles, confrontés qu’ils sont aux effets symptomatiques du ratage intérieur, de structure, sur quoi se développe symboliquement l’humain et confrontés qu’ils sont à l’interaction dynamique des difficultés de vivre et de travailler qui en découlent.



             Mais si le titre de psychologue et son usage professionnel sont protégés par la loi depuis le 25 juillet 1985, on attend toujours qu’à l’instar du secret médical dont il a nécessairement à être distingué pourtant, le secret psychologique qui concerne le plus intime et le plus privé de la pensée, des fantasmes et des émotions de tout un chacun soit garanti explicitement par la loi avec la déontologie du professionnel à toute personne qui vient confier librement son mal-être, sa souffrance et ses conflits internes à un psychologue. Pour l’heure le législateur sur cette affaire de libertés individuelles et de liberté de conscience résiste toujours dans notre Etat pourtant démocratique. Pourquoi ? Pour ménager quels corporatismes en place ?



              Pendant près d’une vingtaine d’années, psychologue (« scolaire ») clinicien, DESS de psychologie clinique et pathologique de l’université, ancien instituteur spécialisé (auxiliaire) de classe de perfectionnement et d’adaptation, parallèlement à une longue formation clinique et psychanalytique supplémentaire d’une quinzaine d’années, je me suis risqué à une pratique de la psychologie selon une démarche découlant de mes références disciplinaires dans les établissements d’un secteur de psychologie scolaire du Sud de la France. Puis, lassé que l’utilité et le bien-fondé de cette pratique, en effet en grand écart symbolique différentiel avec la spécialisation enseignante inappropriée dans laquelle on a voulu la profiler et la brider sous alibi « scolaire », soit sans cesse administrativement détournée, réprouvée, étouffée, refoulée, déniée dans sa légitimité et dans son utilité, je suis allé travailler en CMPP. Mais hélas là aussi j’ai été détourné dans l’indépendance de l’exercice de ma discipline non médicale ni à fortiori paramédicale parce qu’illégitimement paramédicalisé sous « autorité » et « prescription » psychiatrique et sous remboursement de l’assurance maladie… Puis, désormais à la retraite et enfin libre de toute tutelle dénaturante, j’exerce en cabinet de psychanalyste, en tant que membre d’une école et d’une association psychanalytique internationale du champ lacanien.



            Mais ce passé d’échec et de gâchis … passe mal, même si j’exerce désormais en CMPP et en cabinet privé, mon désir demeure intact et je dois encore témoigner. Pour mes anciens collègues psychologues, toujours scolairement niés et bridés, pour mes anciens collègues enseignants dont je n’ai pas oublié les souffrances et leur non prise en compte, pour les enfants et les jeunes dont les dimensions personnelles sous-tendent leur qualité d’élève puisque je suis père et grand-père.



           J’éprouve dans un mélange de tristesse amère et de colère stimulante le douloureux sentiment d’avoir été, avec nombre de mes collègues dans le même cas que moi, injustement bridé et victime d’un stupide gâchis. Ce gâchis n’a profité et ne profite encore et encore qu’aux petites affaires de certains pouvoirs en place qui, faut-il croire, faute de concéder une place différente aux psychologues, à leur exercice professionnel et à une hiérarchie ministérielle et académique correspondante, avaient intérêt personnel, donc égoïste et privé, à profiler et mettre en tutelle scolaire la psychologie et le psychologue, pourtant bel et bien contre l’intérêt public de l’inverse.



            Car, comme nombre de mes collègues, j’aurais voulu pouvoir, en toute légitimité et au grand jour, faire profiter mon institution, mes collègues enseignants, les enfants, les jeunes et leur famille des compétences acquises que je pouvais leur offrir dans un exercice plus authentique et responsable de mon titre et de ma fonction clinique de psychologue.



           En effet à quoi bon protéger par une loi l’usage du titre de psychologue soi-disant pour garantir le public des éventuels charlatans, si cet usage non garanti dans le respect de sa nature doit se transférer en douce vers d’autres professionnels non psychologues ou se laminer au gabarit des symptômes, du fonctionnement et de la connaissance psychique des tutelles qui ne connaissent parfois de la psychologie que le formatage pédagogique qu’en disent les instructions officielles et les manuels de philosophie? Pourquoi dans l’école de notre République la formation du psychologue devrait-elle être et rester profilée et bridée sous forme d’un diplôme « maison » de psychologie scolaire inférieurs aux diplômes universitaires de 3ème cycle en psychologie de tous les autres psychologues qui sont pourtant requis par la loi et par toutes les autres institutions, et qu’on devrait, je l’espère vivement pour rétablir la formation au "haut niveau
professionnalisé" de 3ème cycle visée par la loi de 85 sur le titre de psychologue et pour maintenir et assurer la plus que nécessaire indépendance de cette profession tant par rapport aux professions médicales que pédagogiques et sociales, élever bientôt jusqu’au doctorat d'exercice, dans le cadre de la réforme universitaire Licence, Mastère, Doctorat.



           Pour satisfaire la frilosité névrotique ou l’intérêt privé de certains pouvoirs fermés à ce dont il s’agit qui se placent ainsi au-dessus de l’intérêt public? Devinez lesquels?

 


                                                                                                                         Avignon, novembre 2004


                                                                                                                                      Michel Berlin

 

 


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