L'autre écoute du psychologue : un envers de la pédagogie


 

L'autre écoute du psychologue : une éthique du sujet et un envers de la pédagogie


Résumé :

              L'école a mission de transmettre la valeur d'un patrimoine de savoirs qu'il reste aux enfants et aux jeunes à désirer personnellement s'approprier pour s'élever. Le savoir à s'approprier s'inscrit symboliquement dans le psychisme comme transmission paternelle ouverte par l'interdit de l'inceste. Mais, dans le cadre général de l'institution sociale et de l'administration de cet impératif, bien au-delà d'un rôle de simples moyens et objets de transmissions intergénérationnelles, la dimension psychique de la personne et le jeu des turbulences et inhibitions secrètes de la richesse de sa dynamique intérieure, sous-tendent aussi bien les difficultés de l'art du maître que celles de l'élan et de l’appétit de l'élève en interaction. Car transmettre d'un côté et s'approprier de l'autre supposent du désir inconscient et du sens symbolique des deux côtés. Ce n'est pas aussi direct que le gavage des oies.

 

                  En France, l'institution scolaire va-t-elle pouvoir lâcher une parcelle de maîtrise et d'omnipotence frileuses l'amenant à se servir de psychologues asservis, détournés et neutralisés comme instruments de pouvoir et de ratissage dont enfants et familles seraient considérés comme les objets passifs (de "signalements ", d'expertises, de savoir, de tris, de catégorisations administratives, de "besoins", de fichage) destinés à subir.

 

                 Va-t-elle pouvoir enfin s'ouvrir à reconnaître et accepter une place indépendante, différente et déscolarisée à cette "autre scène" privée, confidentielle et inconsciente où doit se mettre en jeu (en "je" aussi), se déployer, et se mettre en paroles adressées à qui se met à leur écoute d'une place de psychologue, selon une logique, un cadre et une éthique psychologiques propres et autres, le libre travail de la dimension psychique de chacun pour mieux se réaliser comme sujet? C'est le lieu "Autre" de cet espace de libre travail de la dimension psychique, hors de tout conseil, influence, exhortations morales ou jugements de valeur que représente la place d'accueil opérant qu'il reste à l'institution à reconnaître et donner à ses psychologues

               

 

                        Sujet d'un  désir d'apprendre et de s'élever, notamment et de surcroit ... même si cette évidence est si souvent ... oubliée. Mais sujet d'un désir auquel, par un envers de la démarche pédagogique d'accompagnement par l'alimentation culturelle de l'esprit, le psychologue, maintenant vif et actif l'écart, le " trou", ouvrant à la poursuite d'un processus de symbolisation à partir du manque originel, se doit de ne pas apporter d'objets et de "réponses" toutes faites, qui viendraient faire "bouchon" à cette évolution psychologique.

 

                          Reconnaître et accepter l'autre comme sujet désirant suppose se risquer soi-même comme sujet et avoir élaboré en soi la séparation entre "moi" et l'"autre" qui n'est plus considéré alors comme ma chose ou mon reflet. C'est renoncer au pouvoir sur lui pour le laisser être et advenir par lui-même sur fond de manque et de blessure à symboliser. C'est reconnaître et accepter alors que la psychologie ne puisse se pratiquer sur "ordonnances" ou injonctions pour le compte de tiers et que même en institution de service public, un psychologue devrait pouvoir être mis à la libre disposition consultative de ceux qui sont amenés à s'adresser à lui pour cette autre écoute de leur demande à laquelle il est requis et par laquelle se fonde du point de vue technique et déontologique sa pratique.

 

                             Car c'est ainsi que l'éthique psychologique apparait en fin de compte comme éthique du sujet et envers de la pédagogie.

 

 

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L'Autre écoute du psychologue : une éthique du Sujet et un envers  de la pédagogie[1].

 

(Communication orale au colloque  EUROETHIQUE : Premières rencontres Professionnelles des Psychologues de l’Europe du Sud »  en juin 95 )

 

Michel BERLIN  -  Psychologue Clinicien

 

Comment garantir et soutenir l'éthique du sujet dans l'administration de celle du maître?

 

             En France, dans l’Éducation Nationale, selon la question inaugurale et centrale des travaux de notre colloque, peut-on trouver auprès de psychologues la garantie d'un espace de libre expression pour la prise en compte et le développement de sa dimension intérieure privée?

Interpellé par les demandes aux logiques souvent contradictoires de l'enfant et de sa famille d'une part, de l'école de l'autre, le psychologue, du lieu de sa scolarisation sous-catégorisante, peut-il encore offrir et garantir un cadre et une éthique strictement psychologiques ouvrant à cette dimension et à son travail?

L‘École, et plus particulièrement le secteur de l'école maternelle et élémentaire, a beaucoup de mal à concevoir et accepter de donner une autre place que celle d'enseignant à la fonction de psychologue. Elle tend dès lors à la scolariser pour l'annexer, comme semblable, dans le cadre de l'administration obligatoire d'une même logique pédagogique voulue partager l'éthique du rapport de maître à élève. La question est alors de savoir si l'éthique du Sujet peut encore se garantir du lieu de son aliénation à l'éthique du maître ? Autrement dit, si la liberté du Sujet peut s'élaborer et émerger sans l'autonomie intérieure et professionnelle  du psychologue?

 

L'héritage des pères, il reste à se l'approprier par désir comme nous le rappelle Freud. L'échec scolaire a-t-il un sens?

 

              Car si l’École représente l'institutionnalisation de la pérennisation de la vie, par delà son terme individuel qu'est la mort, il n'en demeure pas moins que c'est de devoir ne pas tourner le dos à la prise en compte de cette mort que se soutient ou non le désir de transmission  du maître et celui de s'approprier et de s'élever de l'élève. On voit bien  tous les jours, dans le quotidien des échecs à vivre et apprendre, que ce qui est devenu comme une loi humaine ne va pas de soi. Dès lors qu'il s'agit profondément de désir, le jeu conflictualisé des turbulences et inhibitions secrètes des dynamiques intérieures  ne peut humainement manquer de sous-tendre ce qu'il est convenu d'appeler l'art du maître comme l'appétit de l'élève en interaction.

 

             Le désir propre de l'élève, soit sa fonction subjective, a rapport symbolique avec la mort du maître. Que dire d'un maître qui, pour le rester, ne symboliserait pas ses forces de mort dans un laisser son élève s'ouvrir au désir et voudrait l'étouffer ou en faire son semblable? Ne dirait-on pas qu'il est dans le mortifère et la stérilisation de la dynamique vitale et créatrice ? Qu'en est-il de l’École sur cette question?

 

La réalité du discours de l'appareil scolaire (Audience du SPEN  au ministère  le 17 nov. 93)

 

           Comme pour éclairer et illustrer la mise en forme de cette réflexion sur ce qu'il m'a été donné de vivre  à l'occasion de l'exercice dans l’école de ma fonction de psychologue, je vous livre, mieux que toute interprétation, le discours tout récent des représentants de l'appareil scolaire français.

Les responsables de la Direction des Écoles au ministère de l’Éducation Nationale sont des enseignants qui nous veulent et ne nous supportent qu'à leur image. C'est à dire surtout pas psychologues. Surtout pas différents, surtout pas Autre et représentants d'une Autre Scène, non maîtrisable et donc à évacuer comme une véritable hérésie : celle de la dynamique conflictualisée de l'inconscient. Une dynamique qui pousse pourtant l'élève, comme l'enseignant à réussir ou échouer sur l'échelle de sa propre vérité.

 

"Vous êtes des instituteurs, nous a dit le directeur des écoles. Vous réclamez un statut, j'y suis opposé... Vouloir un statut de psychologue, c'est vouloir quitter l'école... Elle n'a pas besoin de psychologues, mais de psychologues scolaires qui soient des collègues... Vous êtes des instituteurs et devez œuvrer à la pédagogie ..."

Éthique  et logique du sujet et du psychologue ou éthique et logique du maître et du collègue ? On voit bien dans ce contexte conflictuel quelle possibilité de garantie d'un cadre et d'une éthique  réellement psychologiques il reste.

 

L'administration scolaire ne veut pas de psychologues dans une école qui n'en aurait pas besoin.

 

           Qu'importe que les usagers en difficulté d'être et de réussir soient ainsi privés d'y rencontrer librement les psychologues qu'ils demandent et auxquels ils ont droit depuis qu'une loi  les protège en réservant l'usage de ce titre professionnel en France.

              Le qualificatif du champ d'exercice est ici utilisé comme,  signifiant  d'uniformité, étouffoir neutralisant de toute dynamique opérante et garde fou d'une altérité qu'il convient d'exclure ou de faire entrer dans un rang qu'il importe de faire marcher d'un même pas, pour ainsi garder le sentiment réconfortant, mais sclérosant, de ne faire qu'UN et d'être entier. Quitte à se couper du reste, et tant pis si précisément c'est cette part de reste qui est la vraie  richesse de la vie et qui cause le désir.

 

L'esprit de corps a pris la place du Moi Idéal de chaque "un".

 

       L'annulation et le rejet haineux de toute différence est la clôture idéologique mortifère qui menace asymptotiquement de sa séduction totalisante les "Mois" individuels comme les "Mois Idéaux"  d'un "collectif" institutionnel auxquels ils s'identifient et que représente le chef. C'est ce qu'on sait depuis Freud et son article "psychologie collective et analyse du moi"(1921). Dans ce contexte d'identification unifiante, tout désir individuel, né d'une différenciation suppose l'éprouvé d'un manque et représente l'empêcheur (perturbation des forces sexuelles de vie) de tourner en rond (principe d’homéostasie des forces de mort). D'où le tropisme sclérosant et subjectivement étouffant de bien des rigidités institutionnelles.

 

            Or le désir d'apprendre est individuel. Il n'est  que la sublimation de sa douloureuse racine de manque et de sa source sexuelle qu'il n'y a pas lieu d'étouffer et de neutraliser ...dans quelque illusion narcissiquement totalisante que ce soit.

 

            Le psychologue scolaire est nié et rejeté comme psychologue, comme l'est en fin de compte le sujet (le désir)  dans l'enfant, le parent et l'enseignant, dont il représente l'existence intérieure et la réalisation autonome et singulière. Nous y reviendrons.

Pourtant les missions et le titre des psychologues dits "scolaires" ressortissent bien à la profession de psychologue selon la loi française. Mais l'institution tend à faire de sa particularité le justificatif imaginaire de sa mise à part. Elle est actuellement en France et probablement en Europe,( mes collègues rectifieront), la seule institution à ne pas vouloir reconnaître, accepter et réglementairement garantir vraiment ses psychologues et l'éthique de leurs pratiques .

 

Ces résistances à l'éthique psychologique ont une histoire  et une logique institutionnelles

 

             Elles ont une histoire même si elles n'en demeurent pas moins pour autant des résistances à la prise en compte d'une autre logique et d'une autre éthique : celle de la dynamique du désir personnel de chacun et de cette part d'inconscient et d'intériorité en souffrance d'advenir à prendre sens, dont le psychologue représente l'existence en chacun de nous et le travail d'accouchement.

Cette histoire tend à considérer la psychologie "scolaire"" comme une forme de psychologie qui aurait unenature scolaire, justifiant une logique et une éthique à part, incluses ou susceptibles d'être détournées dans le champ de la pédagogie. Et surtout dans celui du pouvoir de son administration. Ainsi la confusion du statut professionnel de psychologue avec celui d'enseignant (les psychologues scolaires français ont un statut d'enseignant malgré que leurs fonctions soient définies comme des fonctions de psychologue découlant de l'usage professionnel de ce titre protégé par la loi du 25 juillet 85) entraîne la confusion et le détournement de l'éthique et de la logique professionnelle du psychologue. D'où les propos de la hiérarchie scolaire selon lesquels, pour  son intérêt personnel, l'Ecole n'aurait pas besoin de psychologues, mais de "collègues"...

Mais pourquoi cette logique si particulière à cette institution, au-delà des fondements psychologiques généraux dont je viens de parler?

 

Une formation et une administration à part

 

                Depuis leur création avant même l'existence en France de la licence de psychologie, les psychologues scolaires ont toujours eu une formation, un recrutement, une position, une gestion administrative de leurs pratiques à part et en dessous de tous les autres psychologues intervenant auprès de personnes librement consultantes.

Issus exclusivement du corps enseignant, depuis 1945, ils n'ont jamais réussi à en sortir et à s'en démarquer. Malgré leur récent titre, l'évolution des pratiques et du niveau de formation, ils sont toujours administrativement traités en  enseignants-sous-psychologues subalternes. Récupérés par le sous-secteur de l'enseignement spécialisé aux enfants handicapés, aujourd'hui rebaptisé Intégration et Adaptation Scolaires, ils demeurent considérés comme des sous-psychologues exerçant une des spécialités enseignantes, dans le cadre de l'administration obligatoire d'une fonction de dépistage et repérage des inadaptations mentales.

 

Une assimilation au modèle enseignant  une réduction de tout ce qui différencierait.

 

- Recrutement interne au corps des enseignants du premier degré (refus obstiné de toute "ouverture externe" aux conditions générales et non dérogatoires de la loi française) sur le modèle de celui de ce corps.

-Diplôme spécifique au seul champ éducatif (DEPS) en un an seulement après la licence de psychologie,  préparé comme une spécialité enseignante dans le cadre des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres. Ce diplôme, considéré comme dérogatoire et sous titrant par toute la profession de psychologue en France qu'il divise, est bien inférieur aux diplômes de 3èmes cycles requis partout ailleurs. Les universités, seules compétentes en la matière, ne lui accordent même pas l'équivalence d'une maîtrise en psychologie à bac + 4 .

-inclusion et  assimilation au dispositif de mise en réseaux des aides pédagogiques et rééducatives excluant la mise en oeuvre d’un cadre psychologique

 

Missions des Psychologues Scolaires : Responsabilité et autonomie professionnelles, références internes propres entrevues  mais pas vraiment garanties par l’imposition d’un modèle prescriptif et objectivant.

 

            Bien qu’il soit affirmé que :"La diversité des cas et des situations, celle des approches et des méthodologies impliquent pour le psychologue le choix de ses outils et de ses démarches, compte tenu des règles en usage dans l'exercice de sa profession", la liberté du psychologue en matière de choix de démarches et de modèles de référence n’est pas vraiment garantie, puisque par ailleurs "Les examens cliniques et psychométriques sont effectués à l'école par le psychologue scolaire à la demande des maîtres, des intervenants spécialisés OU des familles". Ce " à la demande des maîtres ou des familles" que nous n'avons pu faire changer en " à la demande des maîtres et des familles" signe bien, à la fois la volonté que les uns puissent se substituer aux autres, et donc la résistance à accepter de permettre et garantir une éthique du sujet en lieu et place d'une  rapport de maîtrise chosifiante et de gestion forcée de la vie privée des enfants et de leurs familles non perçus ni mis en position de sujets de paroles et de demandes.

 

                Bien plus, ces ordonnances de mises en examen s'inscrivent dans des demandes instituées de savoir, refoulant l'inconscient et l'approche psychodynamique. Le psychologue serait l'instrument de recueil d'un savoir sur des sujets qui seraient traités en objets. En effet, la même circulaire impose examens et observations psychologiques, non pas directement au service des enfants en difficulté ainsi qu'elle l'annonce pourtant, mais comme devant viser "à fournir des éléments d'information résultant de l'analyse des difficultés de l'enfant". Pour en faire quoi? Selon l'illusion de quel possible court-circuit? 

 

              Selon une approche clinique de référence et d'orientation psychanalytiques résultant du droit à libre choix du psychologue pour ce qui concerne son indépendance technique, le "travail" psychologique permet d'accéder à un savoir refoulé, par une douloureuse et lente élaboration, qu'aucune information plaquée et donnée de l'extérieur ne peut contourner et court-circuiter.

 

             En effet si dans un premier temps, avant 1910, Freud espérait que la délivrance de savoirs psychanalytiques pourrait faire changer la souffrance humaine. Plus tard, il nous dit qu'il a depuis longtemps cessé de croire que les malades souffraient d'une sorte d'ignorance et que les personnes à qui on injecte de l'extérieur quelque chose sur elles ou sur d'autres qu'elles n'ont pas élaboré, et reconnu en elles à partir du  transfert de leur propre savoir inconscient, ne peuvent faire aucun usage de ce savoir, car elles « se comportent comme les primitifs auxquels on a imposé le christianisme et qui continuent en secret à adorer leurs anciennes idoles ». «  Mais pareilles mesures ont sur les symptômes névrotiques autant d'action qu'en auraient, par exemple, en période de famine, une distribution de menus aux affamés. En révélant aux malades leur inconscient, on provoque toujours chez eux une recrudescence de leurs conflits et une aggravation de leurs symptômes » (Freud, La technique psychanalytique 1910). Il n'y a eu aucun réaménagement psychique.

 

             Des lors à quelle illusion sert le "bilan", instrumental ou pas, le "conseil", l'apport informatif plaqué? Qu'est-il censé éviter? A quelle conception d'un psychisme sans inconscient dynamique obéit-il?  Quelle est son opérativité lorsqu'on sait que Freud dit encore plus haut que "nous nous faisons un ennemi de l'individu auquel nous révélons ce qui est refoulé en lui" et que " la société ne peut voir d'un bon œil que nous mettions à nu, sans nul égard, ses défectuosités et les dommages qu'elle cause? Parce que nous détruisons les illusions, on nous accuse de mettre en péril les idéaux". 

 

             Qu'est "voulu" satisfaire et restaurer un tel "mésusage" institutionnel des psychologues...mis là en position de sous-psychologues neutralisés et détournés de leur vrai rôle? Quelle méconnaissance du psychisme le fonde? Comment s'en démarquer pour ménager une dynamique d'évolution?

 

              Dans quel esprit, dans quelle logique, dans quelles conceptions et dans quel type de rapport humain obligatoire de maîtrise de l'Autre traduit et révélé par ces dispositions, voudrait on enfermer et dévoyer notre exercice professionnel? Un exercice qui est précisément l'envers de ce rapport où l'Autre est évacué en tant qu'OBJET? L'envers d'une démarche pédagogique obligatoire. Voudrait-on ainsi institutionnellement utiliser le psychologue pour le maintien des symptômes, faute d'admettre, de prendre en compte et de marquer cette part de" castration" différenciatrice que représente et fait revivre son Autre place pour une Autre logique du psychisme et des rapports humains intersubjectifs?

Après avoir fait la "chasse" aux débiles du temps révolu et abrogé de l'obligation de dépistage systématique, va-t-on organiser  celle, normalisatrice, à tous les symptômes de mal-être repérés et devant faire l'objet de signalements administratifs sur instruction des administrations centrale et départementales ?

 

                 Car sans  réelle conjonction de sa demande avec les familles, l'institution les traite alors en simples OBJETS, en toute illégalité et au mépris le plus total des droits psychologiques fondamentaux des individus que l'adoption de notre Charte éthique vise précisément à garantir.

 

               L'offre d'un lieu d'accueil et d'écoute de nature à permettre l'émergence et le "traitement" psychologique des demandes familiales et infantiles est fustigée comme modèle libéral extérieur par une administration  qui détourne ainsi inutilement  le psychologue de sa place, du sens profond de son rôle et de son autonomie, pour le considérer comme l’auxiliaire et le collaborateur de l'administration d'un pouvoir pédagogique. De fait, les psychologues sont subordonnés administrativement aux réseaux d'aides pédagogiques et ré-éducatives du fait de leur grade, alors que l'aide psychologique, par sa nature non pédagogique et facultative, y est extérieure. Mais du point de vue de la cohérence administrative c'est le grade d'enseignant qui l'emporte, et l'exercice de la psychologie se trouvant sous tutelle d'inspecteurs non psychologues se trouve profilé à leur champ de compétence et de pensée et ainsi mis au pas d’un même rang..

 

              L'organisation administrative de réseaux d'aides spécialisées n'est manifestement pas du tout adaptée au cadre, aux démarches et à la logique d'une fonction d'aide et de suivis psychologiques aux conceptions desquelles elle ne correspond pas. Il y a là, je le répète, résistance à la déscolarisation du psychologue et du sujet qui ne saurait psychologiquement être « traité » en élève. Il y a difficulté de décentration et de prise en compte des différences et divisions qui nous fondent en  tant qu' humains vivants sexués, selon l'éthique du sujet qui n'est que la loi de symbolisation du désir.

 

              L'approche psychologique n'est, une fois encore, ni perçue, ni présentée comme non imposable parce que soumise au conditionnel facultatif de la libre et incontournable demande des intéressés, Sujets, acteurs de leur expression psychique et de son analyse...Une demande dont la lente émergence  au-delà et à partir du "trouble", puis de la "plainte" suppose que les sujets s'éprouvent en difficulté et posent celui auquel ils s'adressent alors, comme pouvant les aider à s'en sortir, comme nous le dit Odette LESCARRET, ancienne présidente de l'ANOP et  directrice de DESS de Psychologie à l'Université de Toulouse le Mirail,  dans un article à paraître suite à une communication intitulée "Le suivi psychologique" faite dans un colloque à ARRAS.

 

               " Pour que la plainte émerge, il faut un ébranlement de l'organisation subjective, il faut une urgence subjective : il faut que le trouble n'apporte plus la même complétude, la même jouissance, mais qu'au contraire il apporte un certain malaise, une certaine souffrance et que cette souffrance n'apporte plus assez de bénéfices secondaires afin que chez le sujet naisse l'idée qu'il y est pour quelque chose dans ce qui lui arrive, et que le clinicien peut lui permettre de trouver la solution" nous dit-elle.

 

                  La formulation  de la circulaire de 1990 sur les réseaux d’aides, manifestement rédigée et fondée sur d'autres conceptions du psychisme et de la psychologie laisse entendre que la "prescription" sur "signalement" des équipes pédagogiques serait réglementairement obligatoire comme l'éducation et pourrait se systématiser avant toute "mise en examen" de la situation de l'enfant et avant toute mise en œuvre des deux formes d'aides pédagogiques et ré-éducatives prévues.

 

            Nos collègues se heurtent quotidiennement sur le terrain à cette pesanteur qui tend à mouler l'organisation de leur fonction selon leur statut d'enseignant et non pas selon leur titre et leur profession de psychologue, sous la pression des inspecteurs départementaux de l'éducation nationale, à qui, malgré leur incompétence en psychologie (ils ne sont pas juridiquement habilités à faire usage d'un titre qu'ils n'ont pas) il est nouvellement donné pouvoir "d'organiser les tâches et les actions des intervenants spécialisés en liaison avec les écoles et les différents partenaires". Au lieu d'administrer la psychologie selon ses règles, ses fondements,  ses démarches et ses objectifs, il y a dérive permanente vers l'inverse, savoir que c'est la psychologie qui se dénature selon les rapports, la pensée, les démarches et les objectifs administratifs.  Psychologues et psychologie sont ainsi, de fait et par effet pervers considérés au service de l'administration et non plus directement du public demandeur traité en objet de mesures.

 

              Il s'agit bien d'un détournement.

 

             L'exercice professionnel des psychologues de l'enseignement du premier degré se trouve donc structurellement conflictualisé, et de fait institutionnellement neutralisé et noyauté, par sa mise en dépendance de deux réglementations aux logiques différentes voire contradictoires.  D'un côté la logique d'un texte sur les missions qui ouvre des perspectives de prise en compte et de garantie partielles de l'indépendance professionnelle selon des références et une éthique psychologiques.

 

            D'un autre côté l'inclusion statutaire administrative et fonctionnelle partielle des psychologues au champ de la logique pédagogique et du dispositif administratif  subordonnant de sa mise en "réseaux".

Les limites des compétences et responsabilités professionnelles d'intervenants mal différenciés dans la nature de leur champ et dans celle de leurs démarches et références, sont par ailleurs posées comme devant être respectées, sans que soient garantis les moyens et définies les modalités de ce respect

On voit bien que cette organisation illogique reflète le rapport symptomatique aux psychologues d'une institution en position de fermeture narcissico-idéologique à la prise en compte de la différence de cet Autre logique, non TOUTE, qui est celle du Sujet.

 

Une éthique du Sujet, selon la loi symbolique du désir, sera-t-elle enfin tolérée par l’École?

 

              La fonction d'aide psychologique et d'ouverture à expression constituante et réorganisatrice du fond de "l'âme" humaine est individuelle, confidentielle et anti-prescriptive. Elle concerne et mobilise la parole du sujet, soit la vie privée la plus intime, secrète et personnelle de chacun de nous, ce qui ne peut se faire ni sur injonctions, ni par procuration. Ne pas l'admettre et le respecter serait pervers.

 

              Elle ne peut s'inscrire que dans le cadre d'un "contrat" sous-tendu par la "demande" des intéressés eux-mêmes pour ce qui concerne sa mise en œuvre, son déroulement et son terme. Le psychologue ne peut pas être utilisé autoritairement dans une logique perverse où il aurait à se servir des uns pour servir les autres.

Aucun "collectif" ne peut être psychologiquement fondé à décider, dire, désirer, penser, POUR ceux au seul service duquel se place le psychologue. Il appartient aux psychologues de s'approprier, de délimiter et de faire respecter le sens, le cadre et l'éthique de leurs démarches et de leurs références.

 

           A l'école, pas moins qu'ailleurs, les psychologues ne doivent plus être écrasés et empêchés, par un détournement bureaucratique visant à administrer et maîtriser la vie mentale privée, de faire le choix responsable d'organiser le cadre de leur travail sous forme de mise directe à la disposition consultative des enfants et des familles pour une écoute clinique, y compris de référence et d'approche psychanalytiques, qui viserait à favoriser l'expression, l'analyse et le dépassement évolutif des souffrances, difficultés et échecs inhérents à la condition humaine.

 

          Être élève ne fait pas sortir de cette condition humaine qui reste sous-jacente.

 

         L'éthique du sujet suppose une logique d'indépendance, de liberté, de confidentialité et d'organisation administrative adaptée à sa conceptualisation, ce qui n'est pour l'heure pas le cas dans notre institution éducative française du fait que les psychologues y sont domestiqués sous le statut d'une autre profession que la leur.

 

         Car qu'est-ce que l'éthique du sujet, sinon que le seul DEVOIR qui incombe à cette fonction symbolique qu'est le sujet c'est d'en passer par sa division et le manque fondamental sur quoi elle s'origine et par quoi elle se CAUSE, pour se dire.

 

          L'éthique du Sujet nous la devons à la formule de Freud :"Who es War, soll ich werden" que nous traduirons avec Lacan :"Là où c'était, (le ça, le désordre, la souffrance/jouissance du symptôme, la plénitude du non désir, du silence, et de la mort comme état d'homéostasie) Je, le sujet du désir (celui qui se dit entre les lignes et les mots) doit advenir.

 

          Ainsi pour l'Homme, il n'est d'éthique que de s'ouvrir à faire parler le manque à être de notre blessure originaire et de s'engager dans le désir comme voué à la recréation permanence et à jamais insatisfaisante de ce qui est perdu, sans y céder, sans y renoncer pour la paisible mais mortifère jouissance de biens.

Car le désir c'est la vie, y renoncer et céder sur son désir, c'est s'étioler dans une répétition jouissive mais mortifère pour la création subjective.

 

         A la fin de son célèbre article "Au-delà du principe de plaisir", Freud citant le poète Rûckert nous dit que : "Ce à quoi on ne peut atteindre en volant, il y faut atteindre en boitant ... Il est dit dans l'écriture que boiter n'est pas un pêché".

Ce qui serait pécher au regard de l'éthique serait de céder sur le désir, qui revient à boiter comme loi inhérente à la fonction symbolique du langage, et demeurer dans l'immobilité et le silence pour ne pas renoncer à voler. Renoncer à voler est la dette à payer pour marcher, en boitant.

 

         L'école va-t-elle pouvoir enfin s'ouvrir aux différences et à la loi du désir? Va-t-elle s'ouvrir à reconnaître et accepter, dans ses murs, une place indépendante et déscolarisée à cette "autre scène" privée, confidentielle et inconsciente où doit se mettre en jeu (JE) et se déployer, selon une logique, un cadre et une éthique psychologiques propres et autres, inverses et supplémentairement facultatifs, le libre "travail" de la dimension psychique que chacun a à accomplir pour mieux se réaliser et advenir comme sujet? Sujet d'un désir d'apprendre et de s'élever, notamment et de surcroît... même s'il est souvent oublié que c'est par désir que l'on apprend.

 

          Mais, sujet d'un désir auquel, par l'éthique d'un ENVERS de la démarche éducative d'alimentation culturelle obligatoire de l'esprit en objets et en modèles d'identification, le psychologue, maintenant vif l'écart et l'appel douloureux d'ouverture au procès de la symbolisation du manque à titre d'évolution créatrice, se doit de ne pas fournir d'objets, ni de "conseils" qui viendraient clôturer et renforcer hâtivement le symptôme en le "nourrissant".

 

            Reconnaître et accepter l'autre comme sujet désirant suppose se risquer soi-même comme sujet et avoir élaboré la séparation entre "Moi" et l’autre" qui n'est ni ma chose, ni mon reflet. C'est renoncer au pouvoir sur l'autre  pour lui permettre d'être et d'advenir par lui-même sur fond de manque, de ratage d'un rapport absolu, de blessure à symboliser.

 

             C'est reconnaître et accepter que l'exercice de la psychologie ne peut prendre effet que de s'inscrire dans une démarche personnelle et qu'elle ne se pratique ni sur prescriptions, ni sur ordonnances, pas plus médicales que pédagogiques, pour le compte de tiers. C'est reconnaître et accepter que, même en institution publique, fût-elle scolaire, un psychologue déscolarisé, désinfantilisé et responsabilisé, à l'indépendance et à l'éthique professionnelles reconnues, respectées et garanties par les pouvoirs publics, devrait pouvoir être mis à la libre disposition consultative de tous ceux qui, socialement considérés comme sujets, sont amenés à s'adresser à lui pour cette Autre écoute de leur demande à laquelle il est requis et par laquelle se fonde techniquement et déontologiquement sa pratique.

 

             Au-delà du principe de plaisir qui, nous dit Freud, tend, par la répétition, à lier l'énergie troublante  et douloureuse vers lhoméostasie et la mort subjective, il y a le désir humain, cet aiguillon né du ratage de la répétition à se boucler, qui nous pousse vers et par ce qui nous laisse toujours  un peu en reste de nous-mêmes,  à chercher toujours au-delà.  A chercher par delà le risque accepté et arraché à la séduction du  mortifère et du repos, et à travers (dia-logos) l' éprouvé douloureux d'un incessant manque de "biens" qui nous satisferaient.

 

          C'est à ce prix,  et par le risque résolu de la traversée à chaque fois renouvelée de cette souffrance de séparation,  que se déploie notre vie subjective, celle qu'à l'inverse de toute pédagogie dont la fonction obligatoire institutionnalisée est de transmettre des savoirs" et des modèles culturels, et qu'à l'encontre de toute bureaucratie institutionnelle appelant à la "séduction totalitaire" de se laisser "instrumentaliser" (C. CALLIGARIS in Cliniques Méditerranéennes N°31-32  ) et à l'illusion identificatoire de tous de  pouvoir enfin se retrouver UN dans laquelle sont encore pris certains psychologues qui ne se revendiquent que scolaires, le psychologue, de ce lieu secret du manque et du ratage maintenu, appelle  l'advenue.

 

           C'est vrai qu'il a là, dans la loi du désir, comme un empêcheur de tourner en rond. L'éthique c'est d'avoir à rater la ronde et, déséquilibré, d'avancer en boitant.

 

           C'est aussi d’une place qui le permet de s'autoriser à entendre et mettre au travail de parole le discours du sujet de l'inconscient...

                                                                                                                                             

                                                                                                                                                                                                                                                                   Michel BERLIN



[1] - Publié in « EUROETHIQUE : Actes des Premières rencontres Professionnelles des Psychologues de l’Europe du Sud »  juin 95

                             

 


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