Arrêt Dornier de la CJCE du 6 nov. 2003

Le Moïse de Michel-Ange rattrappant les tables de la loi dont parle Freud . Celui de l'église Saint-Pierre aux liens à Rome - Photo MB
Le Moïse de Michel-Ange rattrappant les tables de la loi dont parle Freud . Celui de l'église Saint-Pierre aux liens à Rome - Photo MB

 

Arrêt Dornier de la CJCE 45/01, du 6 novembre 2003

 

                   Je vais essayer de vous donner l’information et l'analyse avec mes mots de non spécialiste du droit, à partir de ce que j’ai pu en retenir et comprendre de la lecture même de cet arrêt et des analyses de FR Dupond Muzart. Ce n’est pas facile à un non juriste, vues toutes les subtilités sémantiques et juridiques qu'il comporte, sur lesquelles il est facile de faire des faux-sens voire des contre-sens. La cour a dû essayer de trancher au plus fin pour associer dans un même but les activités de professions différentes au regard du monopôle médical. (http://lta.frdm.fr//20031106-Notion-de-paramedical-Arret-CJCE-Christoph-Dornier-Stiftung-fur-173.)

 

                    Cet arrêt de la cour de justice de la  communauté européenne s'impose juridiquement à la France, car il est supérieur aux lois françaises et au Code de la santé publique, et a fortiori à quelconques décrets. Il tranche dans l’imaginaire franco-français pour faire une place de même niveau à côté du médecin (sens étymologique qu’il entend donner au préfixe « para » dans sa décision) aux psychologues diplômés exerçant des soins psychothérapiques assimilés  par la cour à des «  de soins médicaux » (et non pas qualifiés d'exercice médical), qui, sans donc en être véritablement dans leur nature au sens d'exercice de la médecine, sont toutefois qualifiés par la cour de « prestations de soins à la personne effectués », avec un « but thérapeutique »,  par des personnels ni médecins ni auxiliaires médicaux. Ces non médecins ni auxiliaires médicaux sont mis néanmoins en l'espèce à leur côté (para), de par le sens donné par "prestations de soins à la personne"  dans un même cadre juridique au regard de la contribution à la santé et donc à l'exonération de TVA.

 

                     La cour considère ainsi que la notion au sens large de "soins médicaux" dépasse le cadre particulier restreint de l’exercice (en France réservé par monopole) de la médecine et de celui des "personnels de santé" listés comme tels.

                    (D'ailleurs en France, la profession de psychologue clinicien n'est pas classée comme profession de santé, mais comme profession "relative à la santé").

 

                    En effet, le cour déclare en préambule : "En revanche, les termes « soins médicaux » figurant dans cette disposition doivent être interprétés en ce sens qu’ils recouvrent l’ensemble des prestations de soins à la personne visées au même paragraphe,  notamment les prestations effectuées par des personnes n’ayant pas la qualité de médecin, mais fournissant des prestations paramédicales telles que les traitements psycho-thérapeutiques dispensés par des psychologues diplômés. Ces traitements remplissent en effet la condition d’avoir un but thérapeutique, à savoir diagnostiquer, soigner et, dans la mesure du possible, guérir des maladies ou anomalies de santé."

 

                     Étant précisé que par para-médical la cour entend le préfixe para dans son sens étymologique premier signifiant "à côté de" et non pas comme on l'entend en France pour les personnels auxiliaires paramédicaux, "soumis à", "subordonnés au contrôle et à la prescription de", puisque les psychothérapies ne s'exercent pas sous prescription ou contrôle médical, même en France, mais néanmoins, en tant que "prestations à la personne à effet de soins " dans le même cadre d'exonération à TVA que tous les "soins médicaux" tels que définis juridiquement plus haut.

 

                     Dans cette affaire Dornier, la Cour a expressément écarté le critère de la prise en charge par l’assurance maladie pour décider qu’il y avait lieu à exonération de TVA sur des traitements psycho-thérapeutiques dispensés par des psychologues diplômés qui n’ont pas la qualité de médecins, au motif que ces traitements, bien que dispensés de façon indépendante sans subordination à une prescription médicale qui n’avait pas lieu d’être, pouvaient toutefois être juridiquement considérés comme "prestations de soins" et situés « dans le cadre de l’exercice de professions médicales ou paramédicales » et non pas en qualité de soins médicaux ou paramédicaux réservés aux profession médicale ou paramédicale, puisque ce n’est pas ce qu’elle a dit.

 

                   La cour introduit donc ainsi sous la notion de "prestation de soins"  (dans le sens encore plus précis au niveau de l'assimilation "à côté" de choses néanmoins différentes on pourrait dire "prestations à la personne à effet de soins) l'assimilation des soins psychologiques dans un même cadre de soins à la personne que celui des personnels médicaux pour un but thérapeutique et que c'est ensemble ce cadre et ce but qui  exonèrent du paiement de la TVA.

 

                    Bon, c'est un peu compliqué et subtilement tiré par les cheveux de la logique juridique, pour pouvoir se positionner, je suppose "aux côtés" et non pas "sous" le monopole médical des soins,   je vous l'accorde.

 

                  Alors selon l’analyse de F.R. Dupond-Muzart (extraits ci-dessous) cet arrêt pose le principe, comme en France la récente loi réservant l'usage du titre de psychothérapeute, d’une équivalence de qualité des "soins" (et non pas d'égalité d'identité des soins) psychothérapiques entre ceux effectués par des psychologues diplômés et ceux effectués par des médecins. Cette directive de la CJCE dispose que les psychothérapies effectuées par les psychologues sont, non pas des soins médicaux, mais des "prestations de soins  médicaux »,  indépendantes certes mais à côté (para) les unes des autres par leur assimilation dans un même cadre d'exercice que celui de la profession médicale. 

 

                   Bref, même si ces activités sont effectuées par des psychologues non médecins ni auxiliaires médicaux et par conséquent non membres des professions de santé, leurs prestations professionnelles tirées d'une qualification par laquelle la loi les y autorise, constituent juridiquement  des "prestations à effet de soins" (et non pas directement des soins médicaux) à côte (para) de ceux des médecins. Les psychologues cliniciens, les psychanalystes, ne soignent pas le psychisme, mais ils "prêtent soin " par le psychisme à la personne et à son psychisme.  Et en cela, ce "prêter soin" au sens de "prêter attention à", est à effet thérapeutique.                  

 

                   C’est aussi ce que dit la loi en France qui place le psychologue clinicien à parité avec le médecin psychiatre, en réservant l’usage professionnel du titre de psychothérapeute.

 

                   C'est d'ailleurs ce que reconnaissait déjà notre législation française qui ajoutait de façon distincte l'activité des psychologues cliniciens et des psychanalystes aux soins médicaux délivrés par les personnels de santé pour l'exonération de TVA.

 

                   (Ainsi donc pour 1993 par exemple la loi ajoutait déjà au nombre des cas d’exonération de Τ.V.A. 21 les activités des psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes, pour une rédaction de l’article 261-4-1º du code général des impôts qui s’établit selon cette formulation : « soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées et par les psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes titulaires d’un des diplômes requis, à la date de sa délivrance, pour être recruté comme psychologue dans la fonction publique hospitalière ainsi que les travaux d’analyse de biologie médicale et les fournitures de prothèses dentaires par les dentistes et les prothésistes. ».)

 

                  On voit bien que sans être membre des professions de santé selon le code de la santé, les psychologues et psychanalystes y sont assimilés dans un même cadre pour y "faire fonction de" ... .de par "l'effet de soin" de leur activité.

 

                  Et cette assimilation de même qualité (mais pas de même identité) d'acte de soin psycho-thérapeutique, dans un même cadre professionnel, est bien re-précisée désormais par la loi sur le titre de psychothérapeute. 

 

                 Cette loi conduit aussi à placer les médecins psychiatres et les psychologues cliniciens, à parité et aux côtés les uns des autres, par la formation requise pour autoriser l'usage du titre de psychothérapeute et par les dispenses totales de formation complémentaire qu'elle délivre à ces deux catégories de professionnels.

 

 

En conclusion :

                 La législation européenne et française met à parité médecins, psychologues cliniciens, psychothérapeutes et psychanalystes pour ce qui est de leur activité psycho-thérapeutique, quelle soit de soin médical ou à effet de soin.

 

 

 

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Pour information plus précise voici l’extrait de l’analyse de FR Dupond-Muzart tirée de son site « psychanalogie » (http://lta.frdm.fr)

 

                    Il résulte de l’arrêt « Dornier » de la Cjce du 6 novembre 2003 en matière d’interprétation de l’article 13, A, paragraphe 1, sous b) et c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, que :

— les « soins médicaux » sont des « prestations à la personne effectuées » avec un « but thérapeutique », à savoir prestations qui ont « pour but de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou anomalies de santé » ; et réciproquement, sont des « soins médicaux » de telles prestations ;

— pour être exonérés de la tva, ces soins doivent être effectués par des membres des « professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné » ou dans une assimilation au même cadre d'exercice au regard de cette exonération ;

— les psychothérapies envers le public, pratiquées en institutions de soins par des psychologues diplômés, sont des soins médicaux ; pour autant, ces soins n’ont pas à être effectués sous contrôle de médecins : ils n’en demeurent pas moins des soins médicaux lorsqu’ils sont effectués sous la seule responsabilité de professionnels que sont par exemple les psychologues effectuant des psychothérapies ;

— il en résulte que la notion de « soins médicaux » ne désigne aucunement les seuls soins effectués par des médecins, mais également les soins effectués par des professionnels  non médecins, agissant sous leur seule responsabilité et sans contrôle par des médecins ;

— s’agissant de soins médicaux effectués dans des institutions de soins, les soins de psychothérapie sont exonérés de la tva ; inversement, si ces soins n’étaient pas qualifiables de médicaux, les institutions de soins concernées devraient payer la tva sur les sommes reçues des patients ou des assurances sociales, ou autres, pour ces soins ; il suffirait donc en France d’insister suffisamment pour obtenir que les psychothérapies pratiquées par des psychologues soient qualifiées de soins non médicaux, pour que les institutions de soins doivent payer la tva sur les versements reçus pour le financement de ces soins par les patients ou les assurances sociales, ou autres 

- la 6e directive européenne est « d’application directe », c’est-à-dire que le droit interne des États qui serait non conforme, non compatible avec la directive, est nul et non avenu : la décision elle-même de la Cour est supérieure aux lois des États membres ; la loi française, le Code de la santé publique, ne peuvent être opposés à la directive telle que l’interprète la Cour, et la directive au sens où l’interprète la Cour peut être directement invoquée par des particuliers ou institutions contre la loi française, le cas échéant ;

— est nul et non avenu le fait que les médecins ou leurs institutions représentatives puissent ne pas être d’accord avec la Cour qui refuse de réserver aux médecins l’adjectif « médical » et les termes « soins médicaux », de même que le terme « thérapie », et plus encore celui de « soins » ; de même, est nul et non avenu le désaccord des psychologues et de leurs organisations sur la qualification par la Cour de « soins médicaux » des psychothérapies qu’ils effectuent dans les institutions de soins en tant que « professionnels paramédicaux », ce qui fait entrer ces prestations dans le champ de l’exonération de la tva des soins médicaux et paramédicaux, tout en ne soumettant aucunement les psychologues effectuant de tels soins au contrôle des médecins, et même en écartant expressément un tel contrôle — hormis éventuellement lorsque les soins de psychothérapie sont accessoires de l’hospitalisation des patients et d’autres soins médicaux ;

— l’on peut observer que la Cour n’a strictement rien à « scire » (savoir) des prétentions des uns ou des autres à s’approprier ou à dénier telle ou telle qualification de leurs actes ou activités, et constater que l’interprétation par la Cour est strictement conforme à l’étymologie des termes : le préfixe « para- » signifiant « à côté de », et non pas « soumis à » ni « auxiliaire » ; le terme « soin » signifiant « s’occuper de », « faire attention », « prestation » signifiant « prêter », « prestation de soins » signifiant « prêter son attention » ; le terme « médical » signifiant « qui médite ses actes relatifs à la santé d’autrui avec autorité », et non pas « propriété de droit magique des médecins ». Par de telles interprétations et rappels qui sont conformes y compris à l’étymologie des termes, la Cour a bien prononcé. »

 

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Alors pour les psychologues : devenir ou non une profession de santé?

 

 Pour rester autonomes, les psychologues ne doivent pas intégrer le Code de la santé publique d'après une juriste consultée par le SNP (Syndicat National des psychologues) (1).

 

               Selon Dominique Thouvenin, juriste consultée par le SNP sur l’intérêt ou non des psychologues d’intégrer les professions de santé, ces derniers n’en ont aucun intérêt car, face au monopole des médecins ils y perdraient leur autonomie et leur formation hors fac de médecine.

 

Voici ce qu’elle dit :

 

             « Autrement dit, dit-elle, les psychologues n’ont aucun intérêt à revendiquer une place dans le code de la santé publique, car ils se retrouveraient sans l’ombre d’un doute sous la dépendance des médecins. En effet, l’exercice de leur profession est régi par la loi n°85-772 du 25 juillet 1985 ; et, comme toutes les professions autonomes, elle n’est pas définie. Aussi envisager une nouvelle législation intégrant les psychologues dans le code de la santé publique ferait régresser leur profession pour les raisons suivantes : la loi française accordant aux médecins le monopole des actes médicaux, toutes les autres professions de santé sont définies par exception à ce monopole. C’est la division du travail qui fonde la répartition entre les actes médicaux et ceux que les autres professions de santé sont autorisées à accomplir. Ceci explique que la loi fixe toujours pour ces derniers une liste précise des actes professionnels qu’ils peuvent réaliser. »

 

             Quant au champ de la santé mentale, D. Thouvenin souligne que : « qui dit maladies mentales, dit bien évidemment, interventions des médecins en la matière, en l’occurrence des psychiatres. Dans un contexte de pénurie dans ce domaine, grande est la tentation de considérer les psychologues comme les auxiliaires des médecins psychiatres. L’analyse de trois rapports le montre clairement : « De la psychiatrie vers la santé mentale » de E Piel et J–L Roelandt ; celui de l’ IGAS sur les ressources humaines dans six établissements, et le plus récent rapport Couty.

 

             Les propositions de ces trois rapports convergent sur un point central, qui, si elles étaient adoptées, iraient à l’encontre de l’autonomie actuelle de la profession de psychologue. En effet, elles sont toutes copiées sur le modèle de la répartition entre activité médicale des médecins et actes médicaux pouvant être pratiqués par des auxiliaires médicaux. Elles auraient pour conséquence de faire des psychologues cliniciens des professionnels de santé, ce qui conduirait à l’abandon d’une représentation unitaire de la profession de psychologue et à remettre en cause, pour ces psychologues, leur formation dans des filières de sciences humaines. »

 

 

Conclusion provisoire :

 

                 Actuellement les psychologues formés cliniquement à cet effet, par leur diplômes en psychopathologie et par leur formation personnelle à la psychothérapie peuvent exercer cette activité, comme leurs collègues psychiatres  et psychothérapeutes, en toute mutuelle indépendance.

 

                  Que les choses soient bien claires! Cette activité de psychothérapie est un "soin médical" au sens large donné par la CJCE. Elle peut aussi bien ressortir à l'exercice réservé de la médecine quand elle dispensée par un médecin que de la prestation à la personne à effet de soin quand elle est conduite par un psychologue clinicien, un psychothérapeute ou un psychanalyste, sans pour autant qu'il s'agisse d'un exercice illégal de la médecine, ni de l'activité paramédicale d'un auxiliaire médical.  Quoi qu'en disent et laissent entendre le conseil de l'ordre des médecins et l'académie de médecine.

 

                  En effet les psychologues cliniciens (Titulaires de DESS ou Master 2 en psychopathologie clinique ou psychanalyse), sont désormais reconnus par la loi comme ayant déjà de droit les formations requises pour faire usage du titre de psychothérapeute sur un plan d'égalité par rapport aux psychiatres..

 

                  Car ils sont finalement totalement dispensés par ladite loi, comme leurs collègues médecins psychiatres, de toute formation complémentaire théorique et pratique en psychopathologie pour être autorisés à faire usage professionnel du titre de psychothérapeute.

 

                  L'exercice de la psychothérapie reste par ailleurs de droit une des fonctions du métier de psychologue. Elle est même consubstantielle à toute activité clinique de prestation psychologique à la personne à effet de soins  , comme pour l'activité médicale du médecin psychiatre. En conséquence, il importe que la fonction psychothérapique, précédemment retirée (on ne sait par qui, ni pourquoi, même si on peut en avoir une petite idée) de la fiche métier des psychologues de la fonction publique hospitalière, y soit réintroduite sans délais et en application même de ces dispositions légales.

 

               

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