Ringarde la psychanalyse? Pour qui?


La psychanalyse et les traitements de la subjectivité : des activités ringardes et inefficaces[i][i]?

 

Michel Berlin

 

       En réponse à l’intervention sur ce forum des propos de M. Wxxxxx prônant, au nom de la guérison psychothérapique par de nouvelles thérapies d’ordre comportementaliste, le caractère « ringard » de la psychanalyse, de son éthique et de son cadre qu’il compare à un conservatisme de l’ordre de celui du pape interdisant le préservatif, me sont venues les réflexions suivantes.

 

        Freud déjà avait comparé la psychanalyse à la peste qu’il apportait au pragmatisme et au puritanisme américain. Désormais on en rajoute si j’ose dire une tranche en la comparant au Sida. Prenant implicitement du coup dès lors les thérapies comportementales pour des "préservatifs". Mais de quelle peste, quel sida, de qu’elle horreur insupportable faudrait-il avoir à se préserver en la rejetant comme l’eau du bain avec le bébé de la subjectivité, sous rationalisations scientistes ou hygiénistes ?

 

        Or au fond, quelle horreur à maîtriser ou repousser représente, mobilise et met au travail de la parole, l’acte clinique du psychanalyste?

 

        Comme nous l’a enseigné Jacques Lacan avec sa découverte de l’objet dit petit (a), c’est l’existence de l’horreur d’un  trou dans le psychisme. Il s’agit d’une faille en nous. D’une part de réel indicible et impensable. D’une blessure sans aucun  pansement … de la pensée.  

 

         Pensez donc, non seulement, selon le scandale mis à jour par Freud, le moi n’est pas maître en son logis. Mais encore, par le truchement de la fonction paternelle et de la signification phallique introduite comme opérateur faisant issue à un impossible, une grande part du réel en est sexualisée. Et enfin, plus angoissant et inacceptable encore que la sexualité, il y a de l’impensable en nous qui échappe à toute symbolisation et qui reste actif. Le langage et la pensée en effet et même le symptôme, ne parviennent pas à recouvrir entièrement le réel. Celui-ci n’est pas entièrement traité par le signifiant et la fonction phallique.  Il y a du sujet, certes, mais aussi un reste. Irréductible. Et ça laisse précisément à désirer.  Mais ça laisse de l’angoisse aussi ! Et c’est inguérissable. Et ça n’est pas le propre des malades ou des anormaux !

 

             Sous prétexte de réglementation des psychothérapies les pouvoirs publics ont risqué, sous la pression d’une certaine corporation médicale qui rêve de traiter chimiquement  le sujet parlant en simple organe, annexer l’exercice de la psychanalyse et de la psychologie clinique qui s’y réfère au champ réservé et préservé de la médecine et de la logique d’accréditation, d’évaluation et de normalisation bureaucratico- techno scientiste objectivante dans laquelle elle s’est enfermée.

 

              Le psychanalyste laïque et le psychologue clinicien ont bien failli, avec le psychothérapeute en mal de titre, ne plus pouvoir s’autoriser dans l’exercice de leur discipline respective : la psychanalyse et la psychologie clinique, que d’une prescription médicale qui en ferait de simples thérapeutes auxiliaires médicaux en les privant de leur responsabilité, de leur indépendance et de leur compétence professionnelles?

 

              De plus, tous les analysants et les personnes qui adressaient jusque là librement et directement leur DEMANDE à un psychanalyste ou à un  psychologue clinicien pour leur difficulté de vivre et leurs souffrances psychologiques devraient-ils désormais, si ces activités étaient considérées seulement comme des thérapeutiques objectivantes de type médical ainsi que votre réflexion laisse entendre qu’elle le prône, voir subordonner cette demande à une prescription pour telle ou telle catégorie de, soi-disant nouvelle, thérapeutique au motif qu’elle aurait été SCI-EN-TI-FI-QUE-MENT EVALUEE comme plus efficace ?

 

              Quel critère d’efficacité le SUJET bâillonné derrière son symptôme retiendrait-il ? Nous le savons bien nous qui, passés responsables de nos symptômes avons été analysants.  

Ces analysants qui ne s’adressent là, quand ils viennent librement à l’analyse, soit dit en passant, ni directement au corps médical en tant que tel ni à des psychothérapeutes pour y être soignés dans un démarche qui ne serait pas analysante de leur part, ni analytique de la part de celui dont ils attendent l’acte correspondant, celui qui va les subvertir en les mettant au travail, ces analysants seraient-ils alors considérés comme des malades et mis sous tutelle d’une prescription qui saurait pour eux et à leur place où est leur bien … thérapeutique?

 

              Une offensive systématisée contre le sens et l’éthique de la psychanalyse nous vient d’un néo-libéralisme idéologique et triomphant d’outre Atlantique qui se la joue et  se la pète  en tentant de substituer le pragmatisme et la loi du marché à la signification phallique et à la loi symbolique.  Cette offensive est particulièrement perverse et « putassière » en ce qu’elle tend à promouvoir l’illusion, même à coup de dénégations comme le texte auquel ceci se veut réponse, que la psychanalyse serait ringarde et dépassée, et qu’il conviendrait de la court-circuiter en court-circuitant la subjectivité et son travail dans du redressement et du reconditionnement comportemental. Comme s’il y avait là nouveauté et acte novateur.

 

              Voudrait-on nous faire prendre le brandissement du fétiche de la vessie pour une lanterne, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

 

              Si parler, constitue parfois de surcroît un « outil thérapeutique » utilisé en médecine et en psychothérapie dans le traitement de « troubles mentaux », cet acte de parole  demeure encore libre en France aujourd’hui. Aussi  il importe que la psychanalyse, l’exercice de la psychologie clinique du champ analytique, et les différents traitements par la parole de la subjectivité ne soient pas en risque de se voir confisqués et dénaturés par médicalisation sous forme de psychothérapies médico-psychologiques. 

 

              Ces expressions réorganisatrices et constituantes de la subjectivité seraient alors en risque de devenir médicalement réservées, standardisées, normalisées et réduites à l’ossature chiffrée de leur mise en protocoles comptables bureaucratiques par les autorités sanitaires d’un champ médico-psychiatrique qui n’hésiterait pas à s’annexer l’eau minérale de perlimpimpin et à limiter son usage sur ordonnance s’il y était reconnu une vertu thérapeutique. Sous le déguisement d’une kyrielle de rationalisations d’allure scientifique, on reconnaîtrait aisément l’aspect suffisant et corporatiste d’une démarche visant l’annexion d’un produit ou d’un domaine au champ médical réservé et préservé. 

 

              Un champ dans lequel de plus, par une sorte d’OPA marchande, les traitements de la subjectivité seraient voulus enfermés et vassalisés sous forme de « prescriptions » après diagnostic médical obligatoire, savoir en position maître oblige?

 

               Pour qu’un éventuel « malade » relevant de l’assurance maladie et à ne considérer désormais socialement et juridiquement que comme tel, n’aille surtout pas s’échapper pour parler librement ailleurs?

 

              Ailleurs que sur « le marché » contrôlé, « encadré » et réservé de la  couverture sanitaire qu’on lui aurait prévue?  Pour un bien choisi et décidé à sa place?

 

               N’y aurait-il pas là comme la toute puissance d’un rêve de mise sous tutelle du sujet de l’inconscient et d’objectivation mis en protocoles de ses modes de prise en compte et de ses praticiens au lit de Procuste d’une pensée unique, certes soignante, mais aussi objectivante?

 

              Or, la psychanalyse, et la psychologie clinique qui s’y réfère,  n'est pas et ne s’est jamais présentée comme une psychothérapie au sens de la logique médicale et soignante du mot.

Le sujet comme effet de langage ne sera jamais guéri de sa division et du manque à être qui le cause, ni donc de cette part de réel qui le leste et que le symbolique ne recouvre pas totalement. C’est précisément sur l’illusion du possible court-circuit de cette part embarrassante de manque à être et de son opérativité que vos soi-disant nouvelles thérapies fondent leur fonds de commerce.

 

              Si la psychanalyse promettait la guérison de cette incurable blessure au cœur de l’Homme, elle ramènerait, à un état antérieur de plénitude mythique c'est à dire comme le dit Lacan « au pire ». En revanche, par une démarche certes longue et douloureuse, la voie du transfert, elle conduit à un état nouveau de « réveil » et de meilleure réalisation subjective. Son effet thérapeutique ne survient que « de surcroît » seulement et à condition précisément de ne pas le viser en sortant d’une place qui « porte » la parole et en permet le laborieux travail.

 

               Et encore, le processus singulier qui permet cette réalisation subjective est lui même subordonné dans son opérativité à la condition que l’analyste renonce (par exemple à sa fureur de guérir) à sortir du  rien inconsistant de sa place de tenant lieu d’objet perdu, de déchet, là où il reste à l’analysant à reconnaître et à mettre en fonction et au travail  ce qui - appelons-le métaphoriquement « manque à être », « absence de rapport sexuel », « trou dans le savoir », « absence de signifiant du sujet », « objet petit a » - cause son désir.

 

                Tournant le dos à la séduction du court-circuit magico pervers et à la manœuvre de renforcement de toute déresponsabilisation et victimisation, le processus analytique suppose que l’analyste renonce à influencer, suggérer, agir d’une manière thérapeutique et d’une place consistante de savoir et de maître en visant directement la « guérison » du symptôme. Dans la psychanalyse, on sait bien que ce n’est pas l’analyste qui est au travail, mais l’analysant par le truchement du transfert qui lui fait supposer l’analyste en position du savoir qui lui manque et de support de l’objet manquant qui le cause.

 

                  La psychanalyse a certes un effet psychothérapique essentiel, mais le symptôme n’y a ni la même place, ni le même traitement ni le même sens qu’en médecine et en psychothérapie.

 

                 En psychanalyse, c’est le symptôme analytique seul qui est à analyser et qui est entendu comme l’expression transférentielle potentiellement la plus vraie de cette part intime et inconsciente du sujet encore en souffrance d’advenir à se résoudre dans la verbalisation.

 

                 C’est pourquoi ce n’est pas l’aspect superficiellement « vendeur » de la  guérison au plus vite d’un symptôme objectivable de l’extérieur qui est visée et qui serait probatoire à des pseudo expertises dont personne n’est dupe qu’elles ne  visent en fin de compte qu’à faire rentrer dans le rang complice de l’objectivation, pour une simple question idéologique de main mise, ce qui ne l’est pas et y échappe par essence.

 

                 Je prépare en ce moment une intervention que je vais faire pour un colloque à Besançon à la demande d’un collectif de psychologues. J’en extrais là à titre de primeur quelques points que je vais développer et qui me paraissent bien correspondre à ce dont il est question.

 

                La montée narcissique idéale ici et là de l’intégrisme religieux, des idées sectaires, de la violence, de la dépression, de l’escalade de la répression et des mesures autoritaires en sont la contre partie. Au plus on bâillonnera le sujet en l’objectivant, au plus il cherchera à se faire entendre autrement, quand même, nous en sommes persuadés. Plus le symbolique et le sujet seront laissés pour compte dans un monde où la promesse d’une jouissance immédiate comme due prend le pas sur le désir, plus grand restera le risque d’un retour de bâton autoritaire, voire totalitaire.

 

                 Aussi bien dans la société en général, qu’à l’école, à l’hôpital, en prison, à l’usine, dans l’entreprise et ailleurs.

 

                 Il y a du réel et du pulsionnel au cœur de l’Homme. Et c’est prêt  à faire retour comme un  boomerang quand on ne veut rien en savoir. Tant il est vrai que tout ce qui est rejeté du symbolique fait retour dans le réel et que c’est le refoulé symbolisé, qui  à un autre niveau et d’une autre façon, fait retour dans le symptôme névrotique, comme parole qui a raté à se dire. 

 

                  C'est dire qu’il y des retours inévitables lorsqu’on cherche à les bâillonner de force, à les court-circuiter ou à les stériliser avec ceux qui, travailleurs du psychique comme nous, sont là pour accueillir et promouvoir le travail d’évolution humanisante de ce reste.

 

                  Au fond, c’est bien sur ce qui d’ordinaire n’est pas pris en compte et reste en marge, qu’en tant que psychanalystes, psychiatres, psychologues, psychothérapeutes, professionnels parmi d’autres des traitements intersubjectifs par la parole, nous opérons, si nous nous situons aussi dans une démarche et selon des références cliniques psychanalytiques dans lesquelles j’inscris ce propos.

 

                   Mais encore faut-il, que le choix de ces démarches et de ces références reste librement garanti par contrat social selon les lois de la cité et les réglementations institutionnelles.

Encore faut-il  que  ce ne soit ni ignoré ni rejeté par des mises au pas qui, soit pour des raisons concurrentes de domination corporatistes monopolisantes, soit pour des raisons d’idéologie chosifiante, jetant le bébé de la subjectivité avec l’eau du bain, nous détourneraient dictatorialement et stérilement de ce rôle et de cette place. Croyant défensivement ainsi, en maîtrisant des cliniciens instrumentalisés, pouvoir mieux maintenir l’illusion « vendeuse » de pouvoir maîtriser le sujet parlant et son désir en le faisant marcher d’un même pas : celui d’une idéologie qui promet la jouissance par la sortie perverse des apories de la division psychique et de son cortège d’inhibitions, de symptômes et d’angoisse.

 

 

                                                                                                                                                  Michel Berlin

                                                                                                                                                  5 mars 2005



[i][i] - Publié sur le site Œdipe le 6 mars 2005 dans la rubrique une politique pour la psychanalyse


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