Introduction

 

"La société ne peut voir d'un bon œil que nous mettions à nu, sans nul égard, ses défectuosités et les dommages qu'elle cause. Parce que nous détruisons les illusions, on nous accuse de mettre en péril les idéaux"

 

                                                                                                              Freud (Psychologie des foules et analyse du Moi)

 

 

    Pourquoi les blocages?

 

            Ces blocages font symptôme. Et comme tout symptôme leur origine est surdéterminée. Ces déterminants sont globalement de trois ordres.

 

                Les déterminants généraux résultant de la résistance de la société à la psychologie pour les raisons énoncées ci-dessus par Freud lui-même et tenant en gros de la résistance du Moi (ou des moi unis en un corps social) à perdre ses illusions imaginaires de puissance d'une part et pour les raisons qui en découlent aussi résumées dans le préambule de ce site par Gérard Bayle aux termes desquelles :"La psychanalyse restera attaquée par les tenants de l’ordre établi, politique, technologique, commercial et religieux. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces assauts ne sont que des escarmouches dans une stratégie universelle de déconsidération de la pensée et de passage du statut de sujet citoyen à celui d’assujetti, consommateur et endoctriné."

                

                   Les déterminants propre à la balkanisation historiquement territorialisée et mise en autant de règlementations et d'entreprises bureaucratiques que de territoires d'emploi, ce fait lui-même découlant de la forte résistance, voire du refus catégorique de la corporation médicale et de son Conseil de l'Ordre de consentir, depuis le début et particulièrement depuis le refus et la mise en échec du projet Anzieu d'unification à bac plus 6 d'alors qui le prévoyait, à tolérer l'existence d'une place pour l'exercice indépendant de la psychologie clinique  dans un domaine, pourtant Autre, sur lequel la corporation médicale prétend avoir et devoir garder jalousement le droit d'emprise et le monopole d'exercice.

 

                  Les déterminants propres à l'institution éducative s'appuient sur les précédents. Mais ils tiennent, là aussi, en outre au renoncement à perdre une certaine maîtrise institutionnelle territorialisée d'ordre pédagogico-hiérarchque et pédagogico-syndical, pour instituer symboliquement le caractère professionnel propre de l'exercice de la psychologie en milieu scolaire au lendemain de sa création après guerre.

 

                La distorsion de la professionnalisation indépendante de l'exercice de la psychologie dans l'éducation nationale tient donc au développement régressif d'un champ de bataille des multiples rivalités confusionnelles et conflits d'intérêts que l'absence historique d'ancrage symbolique national et celui institutionnel propre d'ordre statutaire a favorisé, voire généré puis conforté... tout au long de ces nombreuses années.

 

                 

                   Tout le site regorge d'analyses sur le détournement symbolique professionnel "maison" que fait historiquement l'éducation nationale à ses psychologues du premier degré. Jusqu'à maintenant et malgré la loi du 25 juillet 1985 qui réglemente l'usage professionnel de leur titre, cette institution a beaucoup de réticences à considérer ses psychologues scolaires comme des psychologues. Des psychologues avec un statut correspondant qui en légitimerait l'exercice professionnel autonome dans un cadre psychologique le permettant.

 

                Ce faisant, lesdits psychologues scolaires y ont toujours le statut inadéquat d'enseignant (professeur des écoles) et de ce fait, l'usage professionnel du titre de psychologue qu'ils font, ressortit imaginairement et administrativement à l'exercice d'une spécialité enseignante, c'est à dire d'une autre profession que la leur. Il y a là comme un désordre logique et symbolique évident.

 

                Il y a donc comme une contradiction logique entre l'esprit de la loi précitée relative à la profession de psychologue d'une part et les dispositions administratives statutaires relatives aux personnels enseignants et à leurs fonctions d'autre part.

 

                 Dans cette catégorie vous trouverez quelques exemples de discours politiques et administratifs qui tentent d'en évoquer, parfois dans un mi-dire, quelques raisons.

 

                  Mais, après ces blocages massifs et visibles passés portant sur le refus catégorique de création d'un statut de psychologue, on trouve encore un autre niveau de blocages. Ils portent ceux-là sur les formatages ou profilages des psychologues et de leurs spécialisations au lit de Procuste de leurs secteurs d'emplois sous l'argument prétexte du nécessaire alignement de l'exercice de la psychologie à la mission générale de ces secteurs. Comme si la psychologie ne visait pas à faciliter la prise en compte, l'analyse et l'évolution du psychisme partout. Un psychisme sans uniforme ni gabarit. Ces profilages, médicaux, éducatifs, policiers, sociaux, judiciaires, militaires, que sais-je encore, varient en intensité selon les secteurs, mais ils tendent à faire de l'exercice de la psychologie ce que j'appelle un exercice "caméléon" pour une sorte d'usage "serpillière".

 

                     J'avais dit en effet en introduction d'accueil que sans garantie d'indépendance et de liberté des pratiques inscrites clairement dans la loi et les réglementations,  chaque pouvoir territorial tend à vouloir la psychologie et les psychologues à son image et à sa botte... Ça se vérifie pour pratiquement tous les secteurs d'emploi où la maîtrise névrotique dominante y trouve un support institué. D'aucuns ont pu ainsi avec justesse évoquer une "balkanisation" de la profession de psychologue, originelle et maintenue, en France, par le jeu corporatiste de divers conflits d'intérêts (1)

 

                    Ils traduisent néanmoins clairement en fait la résistance toujours actuelle à considérer l'exercice de la psychologie comme une véritable profession indépendante et singulière, ayant ses références, ses objectifs et son unité propres. 

 

                  Ils découlent en effet non pas logiquement des modèles théoriques de la psychologie et des spécialités et démarches qui s'en suivent (clinique, développementale, sociale, cognitive, expérimentale, etc..) mais de la vision et de l'usage subordonné que tendraient à en faire telle ou telle autre profession (enseignante ou médicale)  dominant le secteur d'emploi du psychologue. Ainsi le psychologue aurait-il au fond, et malgré la loi et les réglementations, toujours plus ou moins péniblement à se démarquer d'être pris pour un paramédical auxiliaire du médecin en secteur de la santé, et pour une sorte de para-pédagogue ou de psycho-pédagogue auxiliaire de l'enseignant (infra ou supra selon les uns ou les autres) s'occupant de "développement, d'apprentissage ou d'orientation scolaire" en secteur éducatif.

                        

                    Pourtant l'acte du psychologue visant à mobiliser l'expression du psychisme pour en permettre l'analyse et ce faisant en faciliter l'effet d'évolution et de modification constitue la même aide de nature psychologique partout. Il obéit aux mêmes références théoriques et modèles de pratique de la discipline partout.

                       

                   Ainsi par exemple il paraîtrait à l'heure actuelle en mars 2015 qu'il serait envisagé au ministère de l'éducation nationale de recruter les psychologues du nouveau corps dans le cadre de deux "métiers" référés à deux "spécialisations" (même pas explicitées comme étant en psychologie puisque ce signifiant pourtant en l'espèce essentiel voire indispensable à définir cette profession en est exclus) "éducation, développement et apprentissages " d'une part pour le premier degré et "éducation,  apprentissages, conseil en orientation scolaire et professionnelle" pour le second degré d'autre part. Pour faire apparaître l'illogisme de ce découpage territorial, concevrait-on, sauf rationalisation défensive, par exemple des médecins,  infirmières, assistantes sociales ventilées en deux "métiers" selon la même classification...Absurde, non?

 

                 On voit bien que psychologues et psychologie, faute d'une claire définition légale des actes proprement psychologiques,  y sont vus du haut de la lorgnette pédagogique ... possessive ici, comme ils sont encore trop souvent vus par le petit bout de la lorgnette corporative paramédicalisante ailleurs.

 

                      Ils sont dès lors pour l'heure  toujours formatés à cette image profilée par le ministère et les "syndicats d'enseignants" invités à mettre en place ce corps selon leur idée, leur formation non clinique évidente et leur intérêt catégoriel à eux. Ils  parlent et décident encore, à côté du seul syndicat professionnel de psychologues présent (le SNP), selon leur vision partielle, orientée et intéressée de la psychologie où la clinique du sujet et les démarches, cadre et références théoriques psychanalytiques de son écoute et de sa  prise en compte semblent quelque peu ignorées ou mises de côté ...

 

                                                                                                                                                       Michel Berlin

 

 

 

 (1)  Thomas Le Bianic - Une profession balkanisée : les psychologues face à l'Etat en France - Cairn Info  ( Politix N° 102 - 2013)