Endoctrinement, désendoctrinement, reconstruction: des processus psychologiques à traiter comme tels.

Groupe de paroles dans un établissement scolaire


Résumé: Suite au choc des attentats de janvier dernier et dans le cadre du risque de dérive psychopathologique religieuse fanatique et terroriste par endoctrinement de nombreux jeunes, l'école semblerait vouloir prendre toute sa part au problème qui se pose à notre république par la mise en place préventive de "personnes-relais" et de "suivis pédagogiques". Dans le même temps la création d'un corps de psychologues de l'éducation nationale de la maternelle à l'université est en cours de mise en place. Aussi, puis qu'endoctrinement, désendoctrinement, fanatisme, prévention et traitement du mal être, reconstruction des repères symboliques sont des processus à forte dimension psychologique, pourquoi l'école ne solliciterait-elle pas l'appui spécifique et adapté des compétences de ses psychologues auprès des équipes et des jeunes concernés par ces "suivis"?   Ainsi à côté et en plus des "suivis pédagogiques" des "suivis psychologiques" pourraient-ils être également proposés, dans l'école même.

 

              

  

                 Évidemment suite au choc des attentats des 7 et 9 janvier il y a du "pousse à la parole" qui se manifeste un peu partout et notamment à la télé. Et chacun, interpelé par cette "incroyable" et choquante sauvagerie, y va de ses questions, de ses explications, de ses commentaires. S'il y a, dit-on parfois,  soixante millions de sélectionneurs en France, on découvre là pas loin de soixante millions de ... psychologues. "On" a besoin d'en parler et d'en parler encore pour digérer le choc. Le choc, le trauma, ça ouvre comme un puits dans le psychisme, celui du réel, du "troumatisme" comme disait Lacan. Et il faut un travail de paroles pour re symboliser, re subjectiver  tout ça. Pour refaire du lien symbolique et du sujet, là où le tissu mental s'est déchiré et là où, de ce fait, ça a fait "choc".  

 

               S'il est tentant, dans un premier temps, de rejeter les auteurs de ces crimes terroristes du lot commun des humains "normaux" en les traitant de "fous" pour conjurer le fait que "ça" pourrait être le fait d'un "semblable", on s'interroge dans un deuxième temps sur les constructions et les mécanismes psychiques potentiellement présents en tout Homme, en tout groupe humain face aux risques de dérive dont chacun se demande avec quelque angoisse s'il en est prémuni... par le "vaccin" d'une "normalité" qui serait rassurante. Car, on entrevoit en chassant vite cette idée dérangeante, que ça pourrait ne pas être le cas. Cette sauvagerie inhérente à la nature pulsionnelle de l'Homme est-elle donc potentiellement en chacun de nous? Sans doute car les Kouachi et autres Coulibaly ne sortent pas de la nature humaine même si leur "folie passionnelle" nous fait horreur. Ils ont une histoire familiale, scolaire, sociale. Mais pour autant : le fanatisme, le terrorisme s'ils peuvent-être contagieux par endoctrinement, et dans le cadre d'un "état mental" de besoin frustré d'identité valeureuse et de puissances qui y prédispose,  ne s'attrapent pas comme la grippe, par surprise. Ces processus d'endoctrinement vers le fanatisme sont d'origine et de dimension psychologiques.  Ils ont une logique et une genèse d'ordre psychopathologique. Du coup, les connaître, les entendre énoncés donne des indications de leur possible prévention initiale d'une part, ainsi que de leur possible déconstruction et remaniement pour d'autres identifications et d'autres intériorisations de valeurs et de repères symboliques d'autre part...

 

                C'est un long travail ... psychique qu'une écoute psychologique à visée évolutive et reconstructrice des souffrances narcissiques et sociales profondes sur lesquelles il s'étaye pourrait à la fois prévenir et traiter en milieu scolaire même, par exemple par la mise en place de groupes de paroles animés par des psychologues.

 

                Car le fanatique a cru pouvoir trouver une solution grandiose, comme "prêt-à-porter" compensatoire, à la misère intérieure de son mal-être et à son manque d'idéaux, c'est à dire d'étayage symbolique. C'est en se faisant, hors de toute culpabilité ressentie,  le simple bras armé d'une Cause totalisante, d'un dieu terrible et haineux à l'image de ses rêves secrets d'omnipotence imaginaire les plus fous, qu'il se doit alors  d'imposer au monde entier SA vérité aussi universelle qu'absolue. Le caractère absolu de cette vérité est non délirant à titre individuel mais partagé et renforcé sur le mode d'un endoctrinement sectaire dans le délire imaginaire de tout un groupe social. 

 

                La caractéristique totalitaire principale est que cet imaginaire collectif narcissique et "idéal" se constitue en dogme qui ne saurait être remis en cause et relativisé par tous ceux qui ne la partageraient pas

 

                Dès lors diabolisés comme "infidèles" ou "insoumis", ceux-ci sont alors déshumanisés. Dès lors il faut et on peut les éliminer, sans culpabilité ni compassion, comme des déchets rejetés pour maintenir le déni et conserver l'absolu. C'est bien une sorte de délire imaginaire paranoïaque au niveau d'un groupe dont le moi idéal de chacun est identifié au moi idéal omnipotent quasi divinisé du chef, du prophète, du guru ou du dieu, dans le partage haineux du rejet à l'extérieur de tout ce qui diffère. Il y a donc mis en commun (comme UN) à la fois un même objet d'amour (le dieu, la cause, l'idéal narcissique) et à la fois le rejet à l'extérieur, l'élimination d'un même objet de haine, support des projections d'une partie de l'intériorité et sensibilité rejetée de chacun.

 

                En zappant sur ma télé hier, je suis tombé sur une fin d'émission animée par Marina Carrère d'Encausse où une professeur d'histoire-géo parlait du repérage des signes d'endoctrinement jihadistes chez ses élèves et de la question difficile de pouvoir les comprendre et les faire évoluer.

 

                Alors, elle disait qu'il y avait eu une réunion à l'inspection académique et qu'ils (l'éducation nationale) allaient former des personnes ressources par établissement pour pouvoir donner la parole aux jeunes.  Mais, pour qu'ils s'expriment vraiment, on lui avait dit qu'il fallait pouvoir les entendre sans les juger ni les interrompre par des remarques et des contre arguments pour pouvoir gagner leur confiance et les laisser développer leur pensée .. etc etc.. Bref dans un cadre de parole en somme, si j'entends bien, plus psychologique que pédagogique. En effet, on sait bien en psychologie clinique et en psychanalyse où la méthode se résume à l'incitation à dire tout ce qui vient, qu' il vaut mieux ainsi. Enfin, ça ressemble quand même beaucoup au b a b a de ce qu'est l'écoute psychologique que les psychologues ont pour rôle et formation d'offrir, d'une place spécifique d'effacement et d'incitation à dire qui porte, appelle et soutient, la tenue d'une libre parole en vue du travail de reconstruction psycho-évolutive qu'elle opère en se disant.

 

              Mais on oublie souvent de noter qu'il y a deux conditions essentielles à titre de contre-parties sans lesquelles il ne pourrait y avoir de libre parole et donc d'efficacité : la garantie de confidentialité gage de confiance soutenant l'incitation à dire, et la neutralité bienveillante qui est de s'abstenir de juger, d'évaluer et d'influencer... Et ça : c'est un métier. C'est un métier spécifique qui s'apprend certes théoriquement à la fac et dans les écoles de psychanalyse mais aussi et de plus par la nécessité d'un long travail... sur soi pendant plusieurs années au moins au cours de supervisions cliniques.

 

               Car mettre en place des groupes de parole ou de "suivis", dits pédagogiques, c'est très bien et très généreux, et ça peut être en effet efficace et utile car l'école a aussi un rôle éducatif de transmission de valeurs.  Mais peut-être pas suffisant pour des "valeurs" idéales, croyances, convictions, identifications, systèmes de représentations et organisations de personnalité déjà bien en place et structurés à des niveaux profonds, pas seulement de surface au niveau du Moi et de la conscience.  Se limiter à du suivi "pédagogique"  serait dans ces cas là, peut-être croire un peu vite qu'une formation à occuper une place d'écoute, qui ressortit quand même dans son sens et sa technique véritables à un travail psychologique qui représente l'envers (1) d'une fonction enseignante en ce qu'elle ne jugerait ni ne rectifierait rien qui puisse bloquer la confiance et l'incitation à dire,  peut se faire en quelques heures ou quelques jours. Et qu'elle peut se faire depuis une identité profonde d'enseignant, alors qu'il y faut pouvoir tenir une autre place. Il faut en effet des années de formation psychologique théorique et pratique aux psychologues avec la formation personnelle continue supplémentaire qu'il leur est nécessaire d'acquérir après l'université pour tenir cette place d'effacement et d'écoute qui "porte" la parole.

 

          

               Bref, même si ça va dans le bon sens il semble que ce serait une erreur que l'éducation nationale se limite à des groupes de suivis pédagogiques avec des enseignants formés rapidement à "un peu" de psychologie sans s'assurer de l'appui de ses psychologues dans cette démarche et sans mettre en place, par exemple, des groupes de parole ou des suivis "psychologiques" avec certains de ses propres psychologues de formation clinique. Cela permettrait encore mieux à nos jeunes d'effectuer l'évolution intérieure ou le remaniement profond nécessaires à prévenir ou remédier aux prémices de tout risque d'endoctrinements. 

 

            

                Peut-être que l'occasion de la volonté d'un traitement "scolaire" de ces risques d'endoctrinement anti-républicain par de l'écoute et un suivi va permettre à notre institution de se rendre compte d'une part qu'elle a des psychologues, d'autre part  que l'intériorité humaine, ses profondeurs, ses conflits, ses turbulences ses souffrances, sa quête de valeurs et d'idéaux et leurs ratés, ses dérives identificatoires et fanatiques, c'est aussi de la psychologie et que, de ce fait, ça pourrait concerner leurs fonctions.  Bref peut-être qu'en voulant prendre en compte et traiter ces problèmes, l'école va s'apercevoir qu'ils ont une dimension psychologique et que bien des choses se jouent sur une "autre scène" pour laquelle l'appui de "l'autre écoute" de ses psychologues serait un atout supplémentaire.

 

                 Je n'ai eu de cesse de rappeler jadis, il y très longtemps, face aux partisans obstinés d'une psychologie scolaire scolarisée ne prenant en compte que des prétendus aspects "scolaires " du psychisme,  que l'acte d'apprentissage, tout comme la maturation à la citoyenneté et la socialisation, ne sauraient s'isoler du reste de la personnalité, donc du psychisme dans son ensemble et du désir en particulier, sauf à se couper des possibilités d'en analyser les ratés et de celles de permettre une meilleure opérativité des remaniements pour une meilleure évolution dans une vie sociale équilibrée et satisfaisante.

 

               Car c'est une évidence ... psychologique, on apprend certes avec de "bons" maîtres, mais quand même en amont, et en grande partie avec ce qu'on est et surtout selon ce qu'on désire.

 

               Comprendre et travailler psychologiquement le délitement social et les risques de dérives sectaires, religieuses, fanatiques, terroristes de nos jeunes n'est pas forcément du domaine du soin réservé à un ailleurs thérapeutique "non scolaire". Ça peut être aussi du ressort des psychologues de l'institution scolaire en fonction de leurs compétences dans le domaine du repérage, de l'analyse et du traitement de la dimension psychologique de ces problèmes de jeunes.

 

         

               La profession de psychologue reste ce qu'elle est partout. Au carrefour entre soin et éducation, sans être le caméléon de l'un ni de l'autre, selon le champ institutionnel d'exercice.  Partout le rôle du psychologue reste d'offrir l'ouverture d'un espace de parole pour un travail d'évolution, de construction et de remaniement du psychisme.  Cet espace psychologique, n'est ni vraiment médical, ni vraiment pédagogique mais s'il n'est pourtant pas, il est vrai,  sans effet de soin et d'évolution personnelle, il devrait donc tout naturellement pouvoir trouver sa place, c'est à dire une place indépendance et différenciée, à côté de la pédagogie dans l'école, comme à côté de la médecine en institution de soin.

 

               Et donc notamment en l'espèce et pour l'occasion aux côtés complémentaires des suivis pédagogiques qui vont être mis en place, dans le mutuel respect pluridisciplinaire de leurs différences et de leurs cadres respectifs de mise en place et de fonction.

                         

 

                     Les psychologues de l'école sont sans doute disposés à collaborer à ce dispositif d'écoute et de suivi, par l'appui de leurs compétences et de leur écoute auprès des équipes qui y participeront mais aussi auprès des enfants et des jeunes pour ce qui concerne la dimension psychologique des situations et des problèmes à analyser et traiter.

 

                    Maintenant que l'école semble timidement s'avancer à reconnaître le bien fondé et l'utilité d'une place et fonction d'écoute psychologiques, comme moment néanmoins profitable et important de décentration des apprentissages classiques, il reste à l'éducation nationale à vouloir, tolérer, inscrire et légitimer aussi le bien fondé en son sein de la fonction d'écoute psychologique que peuvent assurer les psychologues en général et les siens en particulier. Car si à l'école, certes on apprend, on apprend avec son psychisme et ce dernier n'y prend pas forcément la forme scolaire qu'elle semblerait avoir à ceux qui chausseraient les seules lunettes pédagogiques pour l'appréhender et imposer le prisme de cette appréhension à des psychologues de l'éducation nationale pour ce faire "scolarisés" dans leur formation et leur pratique. C'est pourtant ce que tente de faire le ministère en ce moment, pour qu'une fois de plus rien n'y change.

                

                  Resterait alors à l'école et à la société en général à prendre en compte et traiter, comme ils ont commencé à le faire, sans pour autant omettre la dimension psychologique, bien d'autres dimensions qui concourent aussi à satisfaire une quête de sens et de valeurs idéales sociales et personnelles, sur laquelle s'étaye, faute de mieux, l'endoctrinement fanatique.

 

     

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Michel Berlin

                                                                                                                      4/02/2015

                


Écrire commentaire

Commentaires: 0