L'homme qui voulait changer le système pour faire connaître son nom par tout le monde.

               

                     

                           La confrontation à la mort  est un traumatisme qui fait comme un trou dans le psychisme. Avec le récent crash de l'Airbus A320 dans les Alpes de Haute Provence nous sommes bouleversés par notre confrontation brutale, en écho à celui de leur famille, au choc de la mort soudaine de 150 personnes. Le caractère brutal, violent et énigmatique de cette catastrophe, le nombre des victimes, la violence de l'impact, l'éparpillement et l'émiettement des "restes" matériels et humains ajoutent encore à la violence traumatisante de l'évènement....

 

                           Ce  trou douloureux dans le psychisme nécessite bien évidemment d'être pansé. Et c'est par la pensée et en refaisant du lien mental et social qu'il le sera. Le fait d'organiser un accueil des familles, de les réconforter, de prendre soin d'elles, est une reconnaissance sociale qui vient entourer ces familles pour reconnaître et offrir le partage de leur douleur et de la compassion. Ça aide à symboliser, ça soutient et donc ça tamponne le vif de l'horreur indicible et ça facilite le travail du deuil. De même que  les paroles de soutien et de réconfort à la fois officielles à l'occasion de cérémonies et individuelles aussi tamponnent la douleur. La recherche et l'identification des corps vont aussi dans le même sens facilitateur. Et surtout, pour « rapiécer » le choc de ce trou dans la pensée qui entraîne comme un "besoin" de comprendre l'impensable, la diligence éclairée avec laquelle le procureur de la République de Marseille est venu colmater les cruelles interrogations des familles et de nous tous a pu contribuer fortement à relancer la pensée par-delà ce trou sidérant.

 

                        Il me semble que face à l'adversité et à la douleur, une fois de plus, notre pays et ses dirigeants, mais aussi les services de l’État et les secours ont su se montrer à la hauteur... 

     

             

Andreas Lubitz : l’homme qui voulait faire inscrire et reconnaître son nom par tout le monde.

 

                     Selon Le Monde du 28 mars 2015, dans un entretien au quotidien Allemand à gros tirage « Bild », une hôtesse de l'air de 26 ans, ancienne petite amie du copilote qui serait l’auteur du récent crash de l’Airbus A320 dans les Alpes de Haute Provence, indique que lorsqu'elle a entendu parler de ce crash, une phrase (un fantasme? Un projet délirant?) du copilote lui est alors « revenue en mémoire.  “Un jour, je vais faire quelque chose qui va changer tout le système, et tout le monde connaîtra mon nom et s'en souviendra” » lui aurait confié ce dernier.

 

                         Tenter d’inscrire son  nom, de se faire un nom connu de tous ne manque pas de nous interpeller d’un point de vue psychanalytique sur les avatars possibles de la subjectivité et des ratés de l’opération de symbolisation primordiale par laquelle, selon la théorie lacanienne, au prix d’une chute, celle du réel de l’objet primordial, par sa symbolisation nait et s’inscrit le sujet au champ des seuls symboles. En même temps qu’il nait au plan symbolique de cette perte, le sujet perd toute possibilité d’être signifié et nommé comme une totalité close. Il n’est plus que représenté par le jeu métaphorique des signifiants de cette symbolisation. Mais de cette perte qui le cause et le relance sans cesse, il y trouve néanmoins, sinon une inscription totalisante et figée qui l’éterniserait dans cette identité, mais une identité néanmoins solide qui, tel le jeu du furet, court entre les mots et les lignes d’un signifiant à l’autre. Par cette perte primordiale qu’on appelle la castration symbolique se métaphorise tout un champ d’engendrement de possibilités qui constituent le chemin de la vie subjective de tout un chacun. Comme je le disais dans un de mes derniers textes psychanalytiques en citant une des trouvailles de Lacan : il reste à l’Homme pour se parer de l'angoisse d'un réel envahissant ou pour sortir de ses inhibitions névrotiques à subjectiver sa castration. C’est-à-dire encore, ce que nous apprend toute fin d’analyse, à faire de son manque à être et de son manque d'objet un malheur « banal » et une sorte d’opérateur métaphorique qui fait du plus avec du moins.

 

                       Le sujet, ce qu’on appelle le sujet, c’est-à-dire cette coupure, l'articulation opératoire d'un "moins-un" qui, en nous, nous pousse à vivre et nous démener à chercher sans jamais trouver totalement ce qui nous manque,  n’aura jamais d’inscription qui l’arrêterait dans cette course vitale, sauf à tenter de faire comme Andreas.  Et encore, l’identité symbolique trouvée, celle de l’inscription de son nom dans la mémoire des autres, celle en l’espèce de l’inscription dans un champ non pas d’honneur mais d’horreur, par raté de la symbolisation qu’elle voulait peut-être au fond atteindre et reprendre, ne se fait qu’au prix, non pas celui métaphorique d’une naissance symbolique, mais là en l’occurrence d’une mort réelle. Une mort de laquelle, comme la chute du bébé avec l’eau du bain, aucune subjectivité ni aucun objet n’en pourront être extraits. C’est en effet bel et bien une tentative … délirante de « changement du système », mais du système psychique interne de l'auteur, c’est-à-dire sans doute un essai de guérison, comme l’aurait dit lui-même Andreas. Mais cette tentative "agie", de cette façon délirante, était vouée structurellement d’avance à rater comme on le voit. Beaucoup de monde en effet va "connaitre" son nom. "On" parle et parlera sans doute beaucoup de lui,  mais lui, tristement célèbre post-mortem, n'aura pas pu et ne pourra plus jamais le faire en son nom... La métaphore a raté! Le mélancolique en effet, n'a pas pu faire le deuil de l'objet primitif pour le symboliser en s'en séparant. Il s'y est identifié, et pour le "tuer" (c'est à dire symboliser cet objet en s'en séparant) il se tue lui-même en cet objet qu'il est devenu pour lui-même... Ainsi, dans la réalité et non pas de façon métaphorique, puisque la métaphore ne fonctionne pas, tel le Phoenix il croit devoir naitre de sa propre mort...

 

                        La tentative de James Joyce, qui lui aussi voulait se faire un nom parce qu’il en avait également  psychologiquement « besoin », en revanche prend une autre tournure moins radicale. Lui aussi, en défaut structural d’inscription subjective et de reconnaissance par inscription au champ symbolique faute de métaphore paternelle, a besoin de se faire un nom. Comme je le développe dans mon article (1) intitulé « La nouemination », dans le séminaire sur « Le sinthome », au chapitre relatif à la question de la folie de Joyce, Lacan nous dit que celui-ci, par son art, cherche à se faire un nom, parce que pour lui, comme ici pour notre copilote suicidaire et meurtrier, il y a forclusion de fait de cette opération de symbolisation primordiale qu’on appelle la métaphore paternelle, celle par laquelle le sujet "engendré" symboliquement se trouve un nom dans le creux de l’entre les lignes de son discours. Mais pour autant, il n'y a pas de signifiant qui signifierait le sujet de l'inconscient. Celui-ci, en tant seulement que celui qui énonce l'énonciation par laquelle il se fait seulement représenter, est dés lors l'élément manquant du rapport des signifiants dans le langage parlé de cette énonciation. Il n'y est que représenté. Il n'est qu'un effet de langage. Mais ce n'est pas pour autant, bien au contraire, qu'il ne cherche pas à se faire entendre et reconnaître et qu'il n'y aurait pas lieu de l'entendre, lui,  tout caché qu'il est dans et derrière son dire. C'est là un travail d'écoute et d'interprète, propre à la fonction, disons psychothérapique, du clinicien : psychologue, psychanalyste, ou psychiatre qui ne s'abriterait subjectivement pas derrière le fatras des classifications a-subjectives, sourdes et seulement symptomatiques du DSM américain dit "international".

                               

                                  Pour  "comprendre" ce dont il est question, comme pour entendre le sujet de l'énonciation derrière son dire, alors que pourtant c'est ainsi pour la plupart d'entre nous, il est nécessaire d'y "mettre du sien", de laisser les choses dites ou ici écrites faire écho en vous. C'est là parfois un long travail de formation personnelle qui est nécessaire, alors que pourtant nous en avons tous virtuellement l'aptitude. Ça ne va pas de soi, je vous l'accorde. C'est simplement une manière de dire, puisqu'il s'agit de langage. C'est à ... dire de ce qui est le propre de l'Homme et de ce qui le structure psychiquement.

 

                     C’est plus difficile à dire, parce qu’on ne peut pas l’écrire pleinement dans les mots mais seulement l’évoquer, qu’à faire entendre.  Puisque ce qui est à entendre et à reconnaître, même sans s'en rendre pleinement compte consciemment, c’est la subjectivité de celui qui parle en écho à celle de celui qui l’écoute. Ici celle de celui qui écrit et de celui qui lit. Et que, comme dans toute métaphore, ce qui est signifié ne l’est que par petites touches, évocation, allusion signifiante et de façon approchée, dans du mi-dire.  

 

                         Alors bien sûr cette structure mentale de raté métaphorique, peut-être celle d’Andreas l’homme qui se cherchait une nomination et une reconnaissance dont on se souvienne, qui fasse inscription,  ne se voit pas comme le nez au milieu de la figure dans des tests de performances ou de comportements psychologiques ni dans des examens médicaux.

                       

                          Mais elle peut ou aurait peut-être pu se révéler tout en se faisant entendre et ce faisant reconnaître dans cette quête, autrement que par sa mise en acte suicidaire et criminelle. C'est le but préventif et curatif de tout suivi ou travail de psychologie clinique et de psychanalyse qui par une écoute spécifique appelle en creux le sujet à émerger en se faisant entendre et reconnaître, non pas par un comportement,  mais dans un acte ... de parole adressée. Et en l’occurrence selon la spécificité même du cadre clinique instauré, dans un acte de parole ... et de "mentalisation", mais de parole et de "mentalisation" seulement. Il s'agit de tenter de dire,  subjectiver, penser la réalité intérieure, toujours plus ou moins menaçante, angoissante et traumatisante dans sa nudité pulsionnelle, mais pas d'attendre l’extrême limite de ne pouvoir en "accoucher" qu'en la mettant en acte.

 

                         Au passage des formules me reviennent qui chaque fois reprennent sens. « L’objet nait dans la haine » et « le symbole est le meurtre de la chose » dit–on dans tous les cours de psychologie et les enseignements de psychanalyse pour débutants. C’est pour indiquer que l’objet nait d’une déchirure, d’une séparation, d’une extraction douloureuse et violente de quelque chose de soi qui se perd dans le fait qu’il en est, de ce fait et de manière concomitante, symbolisé.  Mais point besoin de détruire et de tuer dans le réel, en une parodie délirante de métaphore, pour naitre et s’inscrire de façon seulement représentée comme sujet.

 

                        On retrouve dans le suicide cette part de destructivité nécessaire à toute tentative de symbolisation. Comme dans le tableau de Magritte, la représentation de la pipe se paye du fait que « ceci n’est pas une pipe ». D'ailleurs on sait que la négation est le prototype de la naissance du symbole, de la transformation de la chose en son symbole. Comme la peinture de la pipe.  Mais, pour autant, pour atteindre au niveau de la création artistique d’un semblant, pas besoin de la casser pour de bon... la pipe, sauf à mal différencier, de façon au fond structurellement psychotique et par défaut de symbolisation, le symbole de la chose symbolisée, le représentant de sa représentation, le mot de la chose dite. Car, au-delà de ce qui  est dit, il y a toujours, caché mais néanmoins présent et cherchant à se faire entendre et reconnaître par celui-ci à qui est adressé ce dire,  celui-là, le "sujet" donc, qui dit.

                          

                             Que restait-il donc à Andreas Lubitz à dire, adresser et faire entendre et reconnaître qu'il n'a cru pouvoir le faire que par le déguisement de cet acte meurtrier horrible peut-être au fond et secrètement pas forcément si "désespéré" qu'on pourrait le croire ou le dire?

 

 

 


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