Du psychologue de l'éducation nationale au psychologue de l'éducation : le coup tordu d'un détournement de sens!

                 Dans la perspective trop inquiétante de donner réel statut au sujet ouverte par la création d'un statut de psychologue tout court dans l'école, faudrait-il encore défensivement recouvrir les futurs psychologues de l'éducation nationale du "voile" "maison", aseptisé, de "psychologue de l'éducation"? Si on prétend que le "voile" islamique protège la pudeur et fait écran au sexe, le "voile" scolaire ou éducatif des psychologues ne viendrait-il pas, lui aussi, faire écran à l'insoutenable impudique part d'intime sexuel de la subjectivité, comme on le sait avec Freud et Lacan. Comme si en fait, pour le psychologue aussi, on ne devait apprendre qu' obsessionnellement et qu'avec sa tête, le Moi et non pas en y mettant, parfois douloureusement, avec des symptômes et parfois avec bonheur et enthousiasme, toutes ses "tripes", celles de l'Autre inconscient, en chacun de nous...

 

                  Suite à mon précédent article mettant en question la volonté de créer un corps de psychologues tout court dans l'éducation nationale sur la base d'un certain nombre d'indices signifiants, en voici confirmation par la reproduction d'une information parue en date de ce 1er juillet, sur le site du ministère de l'éducation nationale.

 

                   On y apprend que c'est l'inspection générale de l'éducation nationale (1), c'est à dire des enseignants, professeurs agrégés en ceci ou cela, mais non psychologues puisqu'il n'y a pas de chaine hiérarchique de psychologues, qui, comme de bien entendu, a été chargée d'étudier "les contours" de cette professionnalisation d'une part. Ces enseignants ou anciens enseignants, représentent les diverses disciplines d'enseignement ( maths, physique, chimie, philo, lettres, histoire-géo etc..) dont ne fait pas partie évidemment la psychologie qui n'est enseignée qu'à la fac et pour laquelle il n'y a pas d'agrégation. Et que d'autre part enfin et surtout, la mission confiée dès son arrivée par notre actuelle ministre, sauf erreur par une sorte de déformation professionnelle éducative de la part du rédacteur du communiqué, n'était pas la mise en place d'un corps de psychologues dans l'éducation nationale, mais bien celle, bien plus profilée à l'esprit et aux intérêts corporatistes "maison", d'un corps de psychologues de l'éducation...

 


              

              

               Et ce n'est évidemment pas pareil du tout au plan symbolique du sens! Ni surtout au plan des pratiques qui en découleront... C'est peut-être ce que demandaient voire exigeaient en sous-main les principaux syndicats d'enseignants participants aux discussions préalables à cette "mise en place", mais ce n'est absolument pas ce que voulaient les organisations de psychologues unanimes sur ce point hautement signifiant, sauf double langage de certaines d'entre elles. D'ailleurs le communiqué, curieusement restrictif et symboliquement profilant, précise se référer (exclusivement?) aux progrès réalisés dans une branche particulière de la psychologie cognitive qu'est la "psychologie" dite "de l'éducation".

 

               C'est en tout cas ce qui est écrit sur ce site. Et bien sûr on peut s'attendre à ce que ce soit hautement signifiant....Et que ça produise des effets. Reste à savoir si ce sont ceux réellement escomptés.

 

              En effet du corps de psychologues de l'éducation nationale, où il s'agirait d'être psychologue tout court dans l'éducation nationale pour y exercer cette profession selon les approches, (y compris l'approche transversale clinique prenant en compte l'écoute et le travail de la division subjective) découlant des méthodes et références théoriques de la psychologie en tant que discipline universitaire, au corps des psychologues de l'éducation, il y a comme un dérapage du sens vers une tentative de réduction territorialisée et profilée du psychologue au psychologue de l'éducation, c'est à dire à une approche cognitive seulement, puisque ce sont les cognitivistes qui se sont quasiment appropriés la branche de la psychologie en tant que "science de l'éducation" (le mot psychologie a disparu de la dénomination disciplinaire) dans l'université. Seul un saupoudrage clinique vient parfois y donner quelque bonne conscience.

 

                La mission du psychologue semble devoir dès lors naturellement s’inscrire dans ce qui est écrit non pas comme la prise en compte de la dimension psychique et l'accompagnement psychologique des équipes et des personnes mais comme "l'accompagnement à la scolarité des élèves".... Lorgnette pédagogique et éducative oblige off course! En effet, on assiste actuellement d'une part à une poussée d'origine administrative ou politique incertaine des tentatives de découpages par territoires professionnellement dominants "autres" de la psychologie (santé, social, éducation) qui vont jusqu'à la dé-nomination des diplômes et des "spécialités" (cliniques, développementales, cognitives,) qui en découlent au profit d'un profilage subordonnant aux territoires employeurs ( santé, social, éducation).

 

               Il a par exemple fallu pétitionner et se battre pour que soient maintenus les intitulés cliniques ou psychanalytiques donnant lieu à spécialisations dans les approches et le contenus correspondants de certains Master II. Le rabat de la terminologie "psychologue de l'éducation nationale" sur celle de "psychologue de l'éducation" me parait s'inscrire dans cette perspective de profilage subordonnant de la psychologie au gabarit des "intérêts" inavoués et de la propre "psychologie" de pouvoir du secteur employeur, c'est à dire de sa profession dominante...

 

               Gageons que quand même, même si leur recrutement et leur image sont encore regrettablement "domestiqués" (domus = de la maison) les futurs psychologues de l'éducation sauront avoir à cœur d'assumer toute leur place et leur rôle difficiles de psychologue auprès des jeunes et des équipes dans l'éducation nationale. 

               

              

 

              Je ne vais plus m'étendre d'avantage sur cette question traitée dans l'ensemble du site.

 

              Je laisse le lecteur se pencher sur le tout récent "communiqué de presse" du 1/07/2015 de Mme Najat Vallaud Belkacem elle-même (1)

 

                                                                                                    Michel Berlin

 

                  Voici le communiqué en question :

               

                  

"Création d'un corps unique de psychologues de l'Éducation nationale : de nouvelles perspectives pour l'accompagnement des élèves dans leur parcours scolaire et leur orientation.
Communiqué de presse - Najat Vallaud-Belkacem - 01/07/2015

               L’accompagnement à la scolarité des élèves est devenu un facteur déterminant pour la réussite de chacun. En appui à la pédagogie, la psychologie scolaire fait partie des ressources que notre système scolaire mobilise dans cette perspective. C’est la raison pour laquelle, dès son arrivée à la tête du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem s’est saisie de la réflexion engagée sur la place de la psychologie à l’école.

             Elle a missionné l'inspection générale de l'Éducation nationale afin d’appuyer cette réflexion dans le but de préciser les contours d’une nouvelle professionnalité, celle de psychologue de l’éducation. Cette compétence existe certes dans le système éducatif, mais de façon éclatée. Elle est représentée par les psychologues scolaires et les conseillers d’orientation psychologues. Ce sont des acteurs essentiels du système éducatif car ils permettent une meilleure prise en compte de la diversité des profils et aspirations des jeunes dans leurs trajectoires scolaires, de formation secondaire et supérieure, vers une insertion professionnelle durable. Mais leurs missions sont parfois mal reconnues.

 

            C’est donc au sein d’un groupe de travail réunissant les organisations syndicales représentatives qu’a été finalisé, à la demande de la ministre, un ensemble de documents destinés à préciser les missions et fonctions des futurs psychologues de l’Éducation nationale. Regroupés au sein d’un même corps comportant deux spécialités, les psychologues de l’éducation bénéficieront d’un nouveau statut, profiteront de nouvelles modalités de recrutement et d’une formation approfondie. De la même façon, ils verront leur carrière revalorisée. 

           Najat Vallaud-Belkacem est attachée à s’appuyer sur leur expertise dans tous les domaines nécessitant une compétence psychologique importante : prévention des difficultés scolaires, du décrochage et des phénomènes de radicalisation, renforcement de la vocation inclusive de l’école, facilitation de la transition école-collège, accompagnement des élèves dans l’élaboration de leurs projets scolaires et professionnels, participation aux politiques d’information et d’accueil de toute personne en recherche de solution pour son orientation... 

           Inspiré par des décennies de recherches appliquées et de pratiques innovantes, le système éducatif français capitalise, comme l'ont fait d'autres systèmes éducatifs étrangers, les progrès réalisés en psychologie de l'éducation. C'est la raison pour laquelle Najat Vallaud-Belkacem engage le ministère dans un renforcement de la place et du rôle des psychologues de l'éducation dans l'accompagnement des élèves et des familles et dans l'appui aux équipes éducatives, le tout au bénéfice de la réussite pour tous, scolaire comme professionnelle."

 

 

 (1)

L'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) est un corps placé sous l'autorité directe du ministre de l'éducation nationale. Composée de 14 groupes disciplinaires et de spécialités, elle a pour mission d'assurer le suivi des méthodes pédagogiques et des politiques éducatives. Elle évalue également leurs résultats pour l'enseignement primaire et secondaire.

(2) Les 14 groupes disciplinaires et de spécialités sont les suivants :

On notera que toutes ces "disciplines" sont des disciplines d'enseignement ressortissant à l'exercice de cette profession dans le système éducatif. La psychologie en tant que discipline n'y figure pas, d'autant que pour ce qui concerne la mise en place d'un corps de psychologue, il ne s'agit pas de la psychologie en tant que discipline d'enseignement mais bien plutôt de la psychologie en tant qu'exercice professionnel non enseignant. Lesquels de ces inspecteurs spécialistes de ces autres discipline et de ces autres professions ont-ils cru pouvoir "appuyer" la définition des contours de cet autre exercice et selon quelle légitimité de "savoir" et de pratique?

 

 Par une information en date de septembre 2016 tirée du site du SNP j'apprend que l'inspecteur général chargé du dossier du corps des psychologues de l'éducation nationale est M. Jean-Pierre Bellier. Ce dernier est chargé de continuer son travail en mettant en place le concours de recrutement à ce corps suivant une lettre de mission adressée par la ministre Najat Vallauid-Belkacem. En voici la copie

 

       Remarque :

 

                 On notera qu'au paragraphe 2 de sa lettre de mission, la ministre parle bien de "psychologie de l'éducation" et non pas de psychologie dans l'éducation nationale, comme s'intitule pourtant officiellement le corps. Alors est-ce un "lapsus" ou l'élément de langage d'une fine stratégie de communication? Cette dénomination tronquée laisse-t-elle craindre la création de fait d'un corps de "psychologues de l'éducation" et non pas d'un corps de "psychologues de l'éducation nationale". Ce qui en matière de formation et d'ouverture non profilée de pratiques psychologiques multiréférentielles n'est bien sûr pas du tout pareil.... Pour le dire autrement va-t-on prendre en compte et "traiter" de façon "clinique" le sujet désirant toujours là dans l'enfant, le jeune et même l'enseignent, avec son mal-être, ses inhibitions, ses symptômes, sa souffrance ou va-t-on rester "collés" avec des "lunettes pédagogiques" et par des conceptions psychologiques non cliniques aux processus d'apprentissage et de réussite des "élèves"... A suivre!

 

                                                                                                                  MB

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 2
  • #1

    Bernard M. (lundi, 27 juillet 2015 17:52)

    Et voilà que la vieille lune du psychologue de l'éducation en vigueur dans la doxa psychopédagogique des années soixante, pourtant en principe repoussée par l'accord historique tendant à ouvrir le recrutement à toutes les approches de la psychologie, ressurgit subrepticement au seuil des vacances, pour profiler psychologues et pratiques psychologiques au gabarit des résistances du système éducatif!!! Une fois de plus!

  • #2

    Martin Jules (mercredi, 06 juillet 2016 19:59)

    ET oui, ça roule toujours du côté de la pente du pouvoir...