Jeu de cirque philosophique et "buzz" médiatique

 

Cette courte mise au point s'inscrit en réaction au clin d’œil d'un ancien collègue et ami qui, sur Facebook, partageait des propos de Michel Onfray sur la nécessité pour l'école de la République de ne pas s'écarter de sa mission essentielle d'apprendre à lire, écrire et compter... Certes! Mais au passage, interpellé par la citation de cet auteur, j'ai du rebondir sur les réflexions dudit philosophe lors du "buz" médiatique qu'a fait en son temps son brûlot contre Freud et la psychanalyse intitulé "Le crépuscule d'une idole" et l'étayage annoncé de celui-ci sur un autre précédent brûlot tout aussi médiatique et décrédibilisant pour la psychanalyse : "Le livre noir de la psychanalyse" dont il rend un hommage surprenant aux auteurs. Des auteurs pourtant traditionnellement considérés généralement comme très conservateurs d'extrême droite sous leur masque de"modernisme".

 

 

Je partagerais plutôt quant à moi les réactions de Roland Gori (1) selon lesquelles Michel Onfray frayerait plus volontiers avec le « jeu de cirque » médiatique et populiste qu’avec des analyses sérieuses et pertinentes pour ce qui concerne son « déboulonnage » ou son « déniaisage » de Freud en particulier et son rejet de la pertinence de la psychanalyse comme découverte freudienne en général et consécutivement.

 

 

 

 

  Certes, qu'il faille faire chuter les idoles, particulièrement celles qu'on s'est mises en tête et dans lesquelles on aurait projeté la figure identificatoire d'un idéal parental abritant la toute puissance infantile in-castrée de l'enfant merveilleux que chacun nécessairement fut ou rêva d'être un jour pour celui-ci, je suis le premier à soutenir le bien fondé de cette démarche critique d'émancipation et de maturation personnelle.
 

 

Mais, s'il s'agit bien de ne pas névrotiquement faire une idole ou un fétiche de l'homme Freud qui a toujours bien évidemment sous-tendu le chercheur-découvreur formidable qu'il fut,  ce n'est pas pour autant parce qu'il ne serait qu'un homme qu'il faudrait y trouver alibi et bonne aubaine pour jeter son œuvre aux orties en la décrédibilisant par dépit. Celui, notamment, de cette chute douloureuse d'un idéal narcissique en soi que cette désidolâtrie provoque.

 

Car pour autant, la psychanalyse reste, de nos jours, toujours pertinente, opératoire et usitée par une multitude de personnes témoignant par quels mécanismes et cheminements intérieurs, bien différents de l'effet "placebo" à quoi croit pouvoir la réduire de façon malveillante Onfray,  elle a pu les réconcilier avec eux-mêmes et les remettre d’aplomb dans leur vie. Sans compter qu’elle constitue toujours une formidable théorie inégalée permettant de rendre compte de la structure et du fonctionnement psychiques d'ensemble de l’Homme en tant qu’être parlant. Et ce, contrairement à ce que dit Onfray, lui qui n’a pas fait d’analyse et n’en connait que par ouï-dire, expérience ratée ou projections imaginaires les bénéfices et les effets, tout en reconnaissant toutefois que ce qu’on dit en général (donc ce qu’il dit en en parlant ainsi, notamment les reproches jaloux faits à Freud relatifs à son amour de l'argent et à ses ambitions de carrière) véhicule ce qu’on est et en découle.  Et que donc, précisément, comme le dit la psychanalyse, dans les théories qu'on construit, les œuvres qu'on produit, dans ce qu'on dit, même des autres, c'est toujours à "y mettre du sien" et à partir de soi qu'on parle, selon l’histoire qu’on a eu et selon ce qu'on en a fait. Ce qui a le mérite dès lors de resituer et relativiser les propres propos de notre philosophe relatifs à une psychanalyse qu’il ne connaîtrait que d'un point de vue philosophique et livresque, en les replaçant dans une perspective banale et classique d"un transfert négatif.

 

C'est à dire dans une classique défense de l'égo et de la pensée qui pense (Je suis ou je pense dit Lacan pour dire la division interne selon laquelle le sujet de l'inconscient n'est pas là où il (le) pense, là où est la maîtrise, l'ego qui parade et fait le fortiche, mais justement là où ça manque, ça souffre et où ça trébuche comme dans le lapsus), contre ce qui, de l'activation transférentielle par la psychanalyse d'une altérité interne réprimée qui le divise, viendrait quelque peu le déloger du semblant de sa superbe...maîtrise unitaire.

 

Quand on connait, en revanche, de l’intérieur pour l’avoir longuement éprouvé sur soi et pour l’avoir non moins longuement pratiqué sur d’autres, le temps de « remontée » et de remaniement des formations de l’inconscient et, du coup , le temps nécessaire pour entrevoir vraiment quelque chose de sérieux et de solide en psychanalyse ou en psychopathologie clinique, alors ne sauraient tenir la route, sauf sous formes de gesticulations médiatiques, de brillante philosophie de salon ou de réactions contre ce qu’elle mobiliserait peut-être d’inassumé et resté en souffrance et "en travers" en lui, les énoncés de savoir de quelqu’un qui se targuerait, non sans quelque prétention évidente, d’avoir « tout relu » et tout compris de Freud « en un été », comme il le dit. Fichtre! Quelle intelligence!  Il faut des années et des années d'analyse et de travail en petits groupes dans leur école aux analystes pour s'approprier et intégrer quelque chose de la psychanalyse.  Et lui, comme il le dit, en un été seulement...il se ferait un "jugement"?  Comme si, en ce domaine particulièrement, il n’y avait pas à dépasser le livresque pour travailler sur la durée l’interaction transférentielle forte entre ce qu’on est vraiment en devenir ou encore en souffrance au fond de soi et la lecture qu’on peut avoir de ces choses freudiennes de l’âme… 

 

Et d’ailleurs, notre docte philosophe en parle me semble-t-il, sans vraiment donner l'impression qu'il en a compris les mécanismes, avec la certitude et la fraîche assurance critique du jeune amateur, faisant comme s’il avait travaillé ces questions intérieures et extérieures pendant des dizaines d’années. Je sais bien qu’aux âmes bien nées …le nombre des années peut sembler superflu, mais quand même… Faut pas pousser trop loin... le raccourci.  Pas trop crédible lui-même ni vraiment sérieux et impartial, le populaire Michel O., sur ce coup, que je vous dis !

 

Ce qu’il semble plutôt rechercher à l’évidence et avant tout depuis cette docte attitude,  hors le fond essentiel de sa cause transférentielle patente précédemment évoquée, comme s’il était très mal à l’aise personnellement avec les effets d'un inconscient à jeter avec son découvreur, tel le bébé avec l'eau de son bain,  c’est de faire du « buzz » par une sorte de "meurtre".  Pour faire parler de lui et se mettre en avant, comme on l'a constaté, ce qui lui a fait vendre et bien vendre et gonfler ou regonfler au passage ainsi à la fois l’ego et…. le tiroir-caisse.

 

Car personne n'est dupe que derrière le prétexte de prétendus turpitudes ou faiblesses humaines de Freud, c'est la psychanalyse qui est visée dans ses possibles effets qu'il traite de "placebo".  Qui veut tuer son chien, en effet ne l'accuse-t-il pas de la rage, dit-on? Mais alors les questions qui viennent sont : pourquoi vouloir le tuer? Et que vise-t-on vraiment ainsi? Travail de l'inconscient en perspective ... en amont ou évacué avec l'eau du bain?

 

Car, sommes toutes, le meurtre de Freud que rate Onfray en ratant l'occasion de subjectiver ce qu'il rejette avec la psychanalyse, comme celui du père selon la théorie, chaque analysant et chaque analyste a à le commettre pour avancer, s'approprier vraiment en son nom la psychanalyse et la réinventer au quotidien et au cas par cas dans sa pratique. Rien de nouveau ni de sensationnel là dedans! Car on sait et on constate depuis belle lurette que les écoles de psychanalyse ne sont pas des sectes appliquant sous dictée les recettes d'un guru idolâtré qu'il resterait, en "héros des temps modernes" à déboulonner.... Du coup, par son ouvrage au titre racoleur "Le crépuscule d'une idole", Michel Onfray me parait comme enfoncer une porte ouverte.

 

Et de plus, que Freud ait eu ou non envie de coucher avec sa belle-sœur ou de tuer son père (comme tout un chacun pourrait le reconnaitre en lui, ce que Freud eut le mérite de faire, d'analyser en lui et chez d'autres, puis d'en tirer une théorie générale, sans avoir pour autant à s’en défendre en condamnant, rejetant ou décrédibilisant la psychanalyse) ne décrédibilise pas plus la psychanalyse, contrairement à ce que le dit M. Onfray, que serait décrédibilisée la théorie de la relativité si l’on venait à apprendre qu’Einstein avait eu envie de se taper ses étudiantes, sa belle soeur ou … la femme du voisin.   En tirer ainsi arguments selon une voie que Bernard Henry Lévy qualifie de « point de vue du valet de chambre »(2) dans son article "L'assassinat manqué de Freud"(2), pour le faire croire, me parait imaginaire, manipulateur et démagogique. Consternant de surcroît au regard de la qualité d'ensemble de ses ouvrages de philosophie.

 

A moins que, comme l'évoque un article publié dans Le Point du 24/10/2010 sous le titre "La psychanalyse ne guérit pas, elle sauve" (3), M. Onfray (mais seul lui pourrait le mettre ou non à jour au terme d'un travail approprié pour cela)  ne cherche finalement, à l'insu inconsciente de son transfert négatif (4) non encore analysé à cette occasion, à régler sur Freud, assimilé par lui à un chef d'église et à "sa" psychanalyse assimilée à une religion, les vieux comptes toujours symptomatiquement actifs et non "liquidés" de son rapport haineux aux religieux. Ceux qui, selon lui-même, jadis abusèrent de lui... On voit ainsi que son prétendu 'déniaisage de Freud" pourrait peut-être consoner sous ce vocable avec l'évocation  inconsciente d'un autre "déniaisage", bien antérieur.

 

Car le propre de l'inconscient, c'est précisément qu'il l'est et qu'il se transfère. Il le fait non sans de superbes et intelligentes rationalisations plaquées après coup pour justifier ce qu'il amène à dire ou penser. Et elles apparaissent d'autant plus intelligentes, logiques et argumentées que le Moi du sujet est intelligent et instruit... Seule l'analyse dans le cadre du transfert permet au sujet de prendre en compte sa vérité, celle qui, sous-jacente mais vivace et brute, pousse et agit pourtant. A ce compte-là, un autre jeu de cirque, dramatique et douloureux mais plus intime et silencieux, pourrait bien bouillonner sous le premier plan du buzz médiatique du premier. Resterait à voir par qui de droit.

  

 

                                                                                                                Michel Berlin

  

                                                                                                      

 

 (1)   Roland Gori : Jeux de cirque et tapage médiatique in « L’humanité » du 21 avril 2010 (3)

http://www.humanite.fr/node/436845

 

   (2) Bernard Henry Lévy : L'assassinat manqué de Freud -

 

   (3) Le Point du 24/10/2010 : La psychanalyse ne guérit pas, elle sauve.

   (4) Le transfert dans l'expérience analytique- Jacques Lacan interview YouTube

 

 

 

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