Le sujet n'est pas sans avoir des racines familiales et sociales.

 

Faudra-t-il parfois en venir à annoncer sa mort pour réunir sa famille?

 

 

                 Une vidéo montre un papy tout seul pour  Noël, ses enfants et petits enfants étant chacun occupés à vivre leur vie, ailleurs, de leur côté. Alors l’image finale les montre tous réunis chez le papy où la table est mise. Mais ils sont en deuil et le papy apparait à la surprise générale. Alors, on comprend qu’il a inventé le stratagème de faire annoncer sa mort pour les réunir tous… Il est vrai que souvent la mort réunit et même cette réunion, voire ce repas, qui est comme un rite social, c'est à dire quelque chose de presque nécessaire, facilite le "travail" de deuil...et la reprise de la vie.

 

                  Oui, mais d'un autre côté, l'enchainement des générations, comme une mue où l'on doit quitter la première "peau" pour passer à l'état suivant : c'est la vie transmise et ses plus ou moins nécessaires car structurantes coupures, pertes et séparations pour continuer la chaîne...Mais ces séparations et ces pertes (on dit que le symbole c'est le "meurtre" de la chose symbolisée et que donc le sujet, comme l'objet naissent dans la haine de cette action de perte-rejet) sont toujours plus ou moins ce qu'on garde, métabolisé, symbolisé, sous une autre forme et qui est devenu opératoire, c'est à dire permettant des transformations, une avancée.

 

                  En revanche, est c'est là le côté présent mais le moins prégnant de cette vidéo, je dirais le côté "analytique" néanmoins à relever car c'est le moins qu'on puisse attendre d'un analyste, on ne peut pas, sauf maintien symptomatique dans une position relationnelle névrotique et "toxique", se faire objet d'attirance par de la culpabilisation et du chantage à la souffrance ou à la mort...pour recoller ce qui s'est perdu ou dont on aurait dû mieux se séparer pour avancer.On voit cela par exemple quand un parent veuf ou séparé "reporte" comme on dit ce qu'il lui manque sur son ou ses enfants par un "collage" qui les empêche de vraiment s'émanciper pour vivre leur vie... C'est le poids gluant d'un non dit "illégal" au sens de la loi symbolique des Hommes, qui est de l'ordre de "si tu t'en vas", c'est à dire "si tu vis" (sans moi) "ça va me faire mourir"... d'abandon. De l' autre côté de ce piège névrotique incestueux, si tu restes, tu es piégé car alors ta place fantasmatique est de me soutenir, voire me tenir,  en tant que celui qui vient combler mon vide, mon manque. Et ça, ça se retrouve à foison dans les consultations... car ça fait des ravages.

 

 

 

                 Mais d'un autre côté en effet, on ne peut pas se couper ou être coupé du « socius » et de la famille pour vivre tout seul... Dilemme... ou juste mesure, équilibre, à trouver? Dilemme ET juste mesure sans doute. Il est des séparations psychiques qui opèrent, par ce qu'on appelle l'effet métaphorisant de la castration symbolique, des transformations qui maintiennent et réunissent... mais sous une autre forme et une autre forme de relations aussi... nous verrons.

 

 

                 La vie de l'humain, côté famille et société, c’est aussi indispensable car c’est là que sont les racines et le support. C'est en tension interactive avec la subjectivité propre. René Kaes, enseignant chercheur en psychopathologie clinique à Aix, avait inventé le concept d'appareil psychique groupal pour ceux qui se souviendraient. On pourrait l'étendre à la société et à la famille. En effet, après quelque "déformation professionnelle" de ma part dans une première réaction due à la nécessité analytique de renvoyer sur le sujet lui-même la responsabilité de sa cause symptomatique, souvent initialement par lui externalisée dans des prétextes ou alibis sociaux ( la cause de mes malheurs est dans les autres, et je tente ainsi de m'exonérer de prendre en compte et mettre douloureusement au travail analytique ou psycho-thérapeutique la part que j’y prends), il me faut revenir à un autre aspect de la réalité psychique. Celui qui dit aussi que la subjectivité de l'homme est conditionnée par le langage dans lequel elle baigne, donc de la société. Et elle est donc en interaction nécessairement forte avec le corps social qui la supporte, la contient et la vertèbre...Et la famille ... élargie ou pas, est en effet le creuset de tout ça.

 

               Et ça s'effrite dangereusement de nos jours, car le mode de vie de notre société marchande instrumentalisante et ses effets psychiques font qu’on aurait plutôt tendance à se croire au-dessus ou à côté de ces nécessités structurales qu’on ne peut « acheter », elles, et qui ne sont donc pas à la botte de notre passe-partout illusoire pour jouir : le bien de consommation fantasmé fétiche toujours là grâce au pouvoir de notre argent, c'est à dire l'argent ou le profit pris comme "phallus" aux commandes de notre temps.

 

               Dont acte donc. Moi qui avait répondu dans un premier temps en soulignant seulement le possible symptôme d'ordre mélancolique de souffrance de séparation. Celui-ci serait de tenter de se faire aimer en cherchant à culpabiliser l'autre de vivre sa vie "ailleurs" et, étant en manque de lui, il s'agirait de le toucher en lui adressant le symptôme de la souffrance de séparation ressentie ou même en cherchant à manquer en retour et en miroir aux autres par sa mort propre (suicide ou fausse annonce à titre de retournement sur soi de l'agressivité résultant de cette privation douloureuse) pour tenter ainsi de se faire leur objet de désir...

 

               Bien sûr qu'il peut y avoir aussi cet aspect des choses. Mais le plus souvent la tendance actuelle du vivre sa vie "ailleurs" est due à notre mode éclaté et individualiste de société un peu "déboussolée" où avec le "fétiche" comblant de l'objet et de l'abondance infinie des biens de consommation, non sans son cortège de pertes de soutiens et de repères symboliques à la subjectivité que le groupe social et familial incarne, on peut avoir l'illusion de pouvoir se passer des effets psychiques du soutien de la société, dont la famille.

 

             Parfois aussi, utilisant plus ou moins comme support prétexte, ce travers éclaté dans la consommation maniaque et contra-mélancolique de notre société, des coupures familiales réelles et plus ou moins définitives viennent pallier le risque de trop grande proximité ou de collage faute de meilleure opérativité de ce qu'on appelle en psychanalyse la"séparation". Cette séparation est en fait une symbolisation du genre "il faut avoir tué le père", ou la mère pour pouvoir le retrouver et s'en rapprocher de nouveau en l'intégrant comme repère. C'est à dire comme signifiant. Faute de cette coupure symbolique, c'est la réelle effective qui y pare et maintient plus ou moins le sujet... à l'abri de sa disparition dans le court-circuit d'une jouissance fantasmée, mal barrée par la loi de l'inter-dit..

 

             Lacan disait par exemple, "le père on peut s'en passer à condition de s'en servir". S'en servir c'est en faire un signifiant qui "booste" la vie en métaphorisant le passage subjectif, le cheminement du sujet et de son désir de vivre. Comme un tremplin et une ouverture par delà les faux interdits, les inhibitions imaginaires et l'angoisse névrotiquement déterminés. Mais si le père, la mère, le frère, la sœur, la tante, l'oncle, sont restés plus ou moins potentiellement incestueux faute de séparation par la "loi (pas celle de la société, ni celle du garde champêtre) symbolique qui le métaphorise en l'inter-disant, c'est à dire en en faisant un signifiant qui permet et soutien le désir et donc la VIE, alors des distances géographiques et des séparations réelles sont nécessaires... La mort symbolique et la mort réelle ont dans ce domaine de la réunion de soutien à la vie parfois des effets voisins voire semblables. Mais la plupart du temps, sauf névrose familiale importante, point besoin d'attendre de mourir pour de vrai...De même point besoin de fuir à des milliers de kilomètres ou pendant de très longues années voire pour toujours pour se "séparer" mentalement de positions de collages fusionnels ou incestueux...Une mutation structurale que l'on nomme de façon un peu barbare "effet de l'opération castration" y suffit... largement.

 

 

                                                                                                                     Michel Berlin

 

             Ce texte est tiré d'éléments d'un dialogue sur Facebook au cours duquel je répondais à mon ami Jean-Claude Brun partageant la vidéo émouvante  d'un papy qui annonce sa mort pour réunir sa famille.

 

              Jean-Claude Brun m'y répond par un commentaire dont voici un extrait.

 

             "Je crois que nous y sommes . Effectivement Kaes que j'ai eu l'occasion de rencontre dans un week-end de formation pour mon DESS de psychopathologie clinique analytique nous avait proposé ce concept comme moyen de voir la problématique du sujet comme microcosme psy en interaction avec le macrocosme sociétal dont la famille est le support et le représentant .


              Comme tu le dis si bien ÇA s'effrite dangereusement du côté du psychisme individuel constitutif du groupal et c'est en ça que le concept de Kaes est éclairant pour la lecture de cette vidéo au delà de la nécessité de sa forme. Cette vidéo a le mérite d'interpeller sur ce que les coupures familiales, par impératif culturels de nos temps modernes ou par névroses familiales
véhiculent de risques de désorganisation psychique."
                                                                                                                

 

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