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Dimension psychologique et éducation nationale

Les personnes peuvent-elles encore être considérées avec leur dimension psychologique dans l'école?

 

             Y-aurait-il encore du sujet dans l'école?

 

             N'y aurait-il plus personne sous la blouse de l'élève comme sous celle du maître?

 

          Y a-t-il dès lors encore possibilité d'une place singulière authentique pour le psychologue et sa fonction première et essentielle de prise en compte et d'incitation à la mise au travail d'évolution de la dimension humaine psychologique intime des personnes considérées comme des sujets une fois franchie la porte de  l'école de la République?

 

              Et si oui, quel bout de place et pour quelle part de leur dimension?

 

           Car, actuellement encore, à une époque ou le mot même de psychologie semble de plus en plus refoulé derrière sa version "novlangue" aseptisée et moins sulfureuse de sciences cognitives, à lire les textes réglementaires propres à cette institution, et certaines professions de foi et projets à la mode d'une sorte de retour à un néo-scientisme cognitivo-biologisant des années Debray-Ritzen de ma jeunesse studieuse, on est amené à se demander de quelle dimension ou de quelle forme de psychologie il s'agit. Même dans le cadre actuel et en principe nouveau de la récente création d'un statut et d'un corps de psychologues de l'éducation nationale pour le premier et le second degré. Cette création va-t-elle pour autant reconnaître une existence et donner lieu à la reconnaissance et à la mise au travail de remaniement psychologique évolutif de la dynamique subjective humaine problématique des personnes qui y vivent intérieurement leurs difficultés d'enseigner, d'éduquer ou d'apprendre en mutuelle interaction (1) comme nous y incite pourtant la lecture du livre d'Anaïs Barthélémy?

 

            A la lecture que j'ai faite du beau livre qui vient d'être publié aux éditions de l'Harmattan de mon ancienne collègue Anaïs Barthélémy - Chaudoir m'évoquant la pratique difficile de mes débuts dans les établissements scolaires avant de passer en CMPP, c'est la question qui n'a pas manqué de me venir en écho à nos pratiques cliniques fortement désavouées des années 80 et aux difficultés persistantes rencontrées (le mot est faible vu le "combat" harassant que ça a constitué) pour tenter vainement de les faire reconnaître et accepter officiellement, comme j'ai aussi voulu, à ma manière, en témoigner sur ce site.

 

            Le psychologue, par le signifiant même de son titre et l'effet mobilisateur de son "écoute", c'est ma thèse, renvoie  chacun, en deçà de l'apparence raisonnée de son affichage public,  à cette part intime, inconsciente, de lui-même souvent en souffrance de mieux advenir à pouvoir se dire, se penser même et s'exprimer.

 

            Quelle autre place et quelle représentation toujours trop frileuse et corsetée reflètent de nouveau  les textes officiels de l'éducation nationale qui ont encore et encore beaucoup de mal à considérer l'importance du jeu de l'espace intime privé latent de la dimension psychologique humaine profonde et fragile aussi bien de l'enseignant-personne, du parent-personne que de l'enfant-élève en interaction dynamique dans les situations d'enseignement et d'apprentissage.

 

             Comme je l'ai dit plus haut, la manière, à valeur d'injonctions d'une place supérieure de "savoir méconnaissant", de présenter les fonctions psychologiques et les formations profilées à la pédagogie qui permettraient de les exercer en dit long, très long, sur le rapport corseté restrictif de leurs auteurs à leur propre dimension psychologique (2)....et à celle des autres. Celle sans doute de l'Autre en eux et en chacun de nous les humains dont précisément s'occupe le psychologue.

              

               C'est ce qui m’apparaît. Et le livre d'Anaïs, plein de vignettes cliniques faisant sentir cet écart, éclaire et nous donne à entendre l'importance de la profonde vérité humaine en action de cet aspect singulier et essentiel d'une autre réalité que celle, extérieure, de l'observation ou de la mesure de seules performances cognitives. Une réalité subjective intérieure, privée et intime toujours plus ou moins aux prises symptomatiques avec des tensions, de l'angoisse et des conflits. Cette réalité c'est la réalité psychique. Celle où, par la rencontre avec tout psychologue, il est néanmoins en principe implicitement attendu qu'une prise en compte et un un travail libératoire viennent à s'y opérer (3).

 

              
                 Percevoir cette dimension et le jeu dynamique de sa conflictualité, comme on s'en rend compte dans le livre d'Anaïs Barthélémy-Chaudoir, c'est accepter de s'ouvrir en résonnance à ses souffrances intérieures, en écho quasi "fraternel" à celles des autres,  "entendus" et non pas "observés". Entendre suppose en effet l'intersubjectivité du passage par un écho inter-humain sensible en soi qui fait retour et un certain ... effet sur celui qui s'est fait entendre.  Ces autres, "écoutés", sont  là en effet, dans ce cas et selon cette démarche clinique, considérés comme nos semblables, bien que néanmoins différents au cas par cas dans leur humaine singularité.... Aussi différents que le sont les visages de nos, pourtant néanmoins "semblables".  Et c'est cette "écoute", profonde, qui appelle, mobilise et suscite, par la parole adressée, un travail mental de symbolisation psychique aux effets de sens libérateurs de ce qui s'était dévié et enkysté sous ce qui apparaît alors comme "symptôme" proprement humain.  Ces "effets évolutifs" ne sont pourtant ni magiques, ni médicaux, ni paramédicaux, ni non plus pédagogiques, ré-éducatifs, ou neurologiques : ils sont... proprement psychologiques. Et donc c'est à ce titre, qu'ils sont naturellement et logiquement du ressort consubstantiel d'une pratique de la psychologie des psychologues qui est et devrait pouvoir rester transversale et indépendante du lieu de son exercice.

 

                   Je vous recommande le livre d'Anaïs Barthélémy - Chaudoir (4) pour faciliter l'intelligence de cette ouverture sensible bien au-delà de la fermeture restrictive de toute mesure d'observation et d'évaluation dys quelque chose, diagnostique, scientiste, neuropsychologisante ou non, mais souvent surtout voulue a-priori défensivement pseudo rassurante de ce qui, d'une vive vérité intérieure en souffrance, serait en risque d'en profiter pour s'échapper ...

 

                                                                                                           MB

 

 (1) En s'inscrivant dans une démarche clinique, l'exercice de la psychologie, prend en compte le sujet. Et c'est pour lui donner l'issue de la parole, comme ré articulation symbolique dynamique, en lieu et place d'un blocage répétitif inhibiteur dans un "symptôme".

 (2) Juste après avoir écrit ce nouvel article, j'apprends par le site du SNP (Syndicat National des Psychologues) que l'actuel ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, notamment ancien directeur des Écoles au ministère et ... féru de cognitivisme, vient de créer un groupe scientifique chargé de mieux comprendre et mettre en place des mesures de résolution de l'échec scolaire. Ce groupe, composé exclusivement de cognitivistes, ne comprendrait pas un seul psychologue clinicien??? Voilà donc à quoi se réduirait, actuellement encore, au ministère (au seul Moi conscient et à sa raison qui pensent en terme d'une kyrielle de dysfonctions)  la dimension psychologique... et (peut-on craindre du coup?) la représentation "raisonnée" du bien-fondé de "cette" (seule?) prise en compte par les psychologues? Le bel article de notre collègue Eliane Gamond cité nous éclaire et nous alerte à ce propos.

 

(3) C'est une réponse du même acabit que m'avait conduit en son temps à faire sur Internet une probablement "collègue" enseignante ou administrative, Marine. Celle-ci, critiquant mon style, ce qui est son droit, me semblait vouloir, de la position subjective d'un savoir plein qui en tirerait du pouvoir, "castrer" le psychologue (au prétexte qu'il serait "scolaire") de toute approche et  fonction clinique dans les établissements scolaires. Elle invoquait pour ce faire le motif que l'école n'étant pas un lieu de soin, la psychologie devrait se garder de toute intervention clinique nécessairement à EFFET DE SOIN ( c'est à dire de surcroît) pour se profiler à la pruderie névrotique de "ce" qu'elle percevait "ELLE" de "normal" et non "maladif" dans un psychisme lissé "au-dessus de la ceinture" seulement. Tout le reste, c'est à dire l'intime subjectif conflictualisé de la dynamique du sujet,  était donc par là même implicitement considéré comme d'ordre maladif à renvoyer à l'hôpital comme lieu de soins.   Etant entendu que la psychologie des psychologues cliniciens à l'écoute du sujet lui apparaissait être du soin n'ayant pas sa place dans le système éducatif qui devrait rester éducatif. Alors, en effet, à quoi bon des psychologues qui ne pourraient pas tout à fait l'être, pourrait-on se dire? En est-on toujours au même point? C'est à dire la même forme d'esprit "maison" sectaire sans place pour la pleine dimension psychologique auprès du soin et de l'éducation régnerait-t-elle toujours en pôle position de maîtrise dans l'éducation nationale ?

 

(4) Ce commentaire à propos du livre d'Anaïs Barthélémy-Chaudoir "L'enfant à l'école et la psychologue" a été publié dans le N° 255 d'avril 2018 de Psychologues et Psychologies, la revue du Syndicat National des psychologues (SNP).

 

 

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