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Coronavirus et changement de modèles

 

Coronavirus et changement de modèles

 

          "Les Hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère et l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux de n'y point penser" écrivait Pascal De n'y point penser et de consommer pourrait-on ajouter.

 

              L'Homme est ainsi fait qu'il lui faut l'expérience, renouvelée plusieurs fois, pour qu'il prenne en compte ce à quoi il doit faire face en se modifiant et en le modifiant.

                

           Vivre la souffrance du confinement qui donne l'occasion, parfois fuie (compensée) dans de l'activisme ou de la distraction, de se retrouver face à soi même et son intériorité, peut certes donner lieu par décompensation psychique à des angoisses, de la violence et des dépressions. Pareil pour les malades et les personnes âgées dépendantes, coupés des leurs face à la solitude et au risque de mort et aussi le personnel soignant confronté à de l'impuissance et de l'épuisement psychique, à de nombreuses pertes de patients ainsi qu'à des angoisses de mort pour eux-mêmes et leurs malades, des angoisses de débordement et d'impuissance (1). Des traumatismes en résultent et des troubles post traumatiques se préparent si un travail de soutien et d'accompagnement psychologique, (oui, il y a parfois des psychologues avec les équipes soignantes à l'hôpital, même si l'on n'en parle pas)  à poursuivre et intensifier dans l'après coup,  n'est pas évacué comme superflu pour continuer de "n'y point penser". (2)

 

                   Or, en psychologie clinique précisément, le "soutien" apporté ne consiste pas en conseils ou paroles savantes, lénifiantes ou apaisantes. Il s'agit d'offrir le contenant d'un espace de partage et de suivi intersubjectif d'expression élaboratrice (la parole subjective adressée est entendue par le clinicien, le sujet dès lors reconnu peut se reconnaître, se retrouver lui-même et s'accepter, relier et canaliser en lui ce qui  excède, déchire ou fait trou et aussi mieux se réinsérer dans le lien social), pour que la parole adressée, celle du souffrant, par l'effet de son "travail", puisse relancer une pensée qui panse mais aussi cicatrise les blessures ouvertes sidérantes et parfois dissociatives de l'âme. Comment? En rapiéçant ce qui, d'un trop plein émotionnel en débordement perçu ou insu (pour "n'y point penser" afin de croire ainsi pouvoir mieux "se rendre heureux"), avait fait déchirure et trou. Et reste dès lors à être relié, ré articulé dans la chaîne symbolique du psychisme (de la pensée) par des "reconstructions" associatives mentales. C'est le travail psychologique d'élaboration cicatrisante qu'a la parole dite "pleine". Elle n'est pas que simple récit, "bla bla bla" creux, dés-impliqué, inutile et inconsistant, elle est "pleine" (de ce plus qu'elle véhicule de subjectivité profonde créatrice à l'insu de la conscience). Elle est dès lors structurante, constructive et cicatrisante (3). Elle renoue, relie subjectivement ce qui s'était dénoué et déchiré de façon traumatique sous la violence du choc ... ou noué en boucle dans le symptôme. De la répétition, encore et encore en boucle, longtemps, le traumatisme, comme le symptôme, finit par se diluer dans l'articulation du nouveau pas verbal qui, faisant lien là où il y avait trou et répétition incessante,  finit par survenir ...Un cheminement psychique évolutif et résolutif qu'accompagne favorise (catalyse) et soutient le clinicien s'effectue. 

 

                  Mais, dans le meilleur des cas et pour la plupart d'entre nous,  l'expérience même violente de cette catastrophe sanitaire, et le recul réflexif qu'un confinement supportable facilite, nous permettra j'espère quelque prise de conscience quant à ce qu'il nous appartient de modifier. Là encore il s'agit, comme pour chaque évolution, de tirer enseignement d'une adversité pour réussir à faire du plus à partir de la mise au travail d'un moins.

 

                  Déjà la proximité de la mort et du risque éprouvé collectivement et individuellement qu'elle ne puisse nous être épargnée peut nous faire revoir notre système de valeurs et la façon qui en découle de vivre et d'organiser la société à partir d'un libre et "sauvage" ( le moins régulé possible) marché mondialisé qui ferait la "loi".

 

                   On s'aperçoit du coup qu'à vivre ainsi, pour aller concurrencer à moindre coup et à moindre régulation centrale les plus pauvres et leur travail à bon marché, on a pillé notre planète, cassé nos solidarités, délocalisé notre industrie, privatisé nos services publics, perdu nos emplois et une certaine indépendance, régressé dans notre pouvoir d'achat, notre réglementation du travail et nos droits.

 

                On constate qu'on n'a pas voulu entendre les alertes et qu'on manque de lits d'hôpitaux, de matériel de soin et de personnels. Tout ça parce qu'on a géré la santé publique (le Recherche, l’Éducation et bien d'autres services publics utiles qui faisaient l'honneur, l'agrément et le bien vivre évolué de notre civilisation socialement avancée) sur le modèle de gouvernance idéologique compétitif de la nouvelle entreprise ...et de la seule course aux dividendes et à la rentabilité.  Par cette logique folle décalée, on manque de masques, de gels hydroalcooliques, de réactifs pour les tests d'infection, de respirateurs et de bien d'autres choses sans doute parce qu'ils sont ... produits ailleurs à moindre coûts.

 

                  Bref, on s'aperçoit, peut-être avec notre président qui semble se mettre à prôner la nécessité d'un certain retour de l’État, qu'une "libre entreprise" acéphale, guidée par la seule rentabilité et pour le seul profit concurrentiel, sans État démocratique tiers garant de l'intérêt public dans une fonction politique régulatrice, est une erreur socialement régressive, destructrice des liens sociaux et des idéaux humanistes comme de notre environnement. Elle est de surcroît inégalitaire et contre productive. Ce modèle idéologique capitaliste néo-libéral mondialisé, de plus en plus aux commandes sans partage partout, nous envoie dans le mur si nous n'y apportons pas les rectifications que l'expérience sanitaire et climatique qui nous a échaudés nécessite. Il nous reste à changer nos valeurs et donc... notre modèle idéologique de société mercantilo-financière de consommation.

 

                                                                                                                                      Michel Berlin

 

(1) Mise à jour du 15 mai 2020 - https://www.marianne.net/societe/anxiete-depression-stress-l-onu-alerte-sur-les-detresses-psychologiques-post-confinement

 (2) Mise à jour du 22 mai 2020 - https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/05/22/coronavirus-alerte-sur-l-etat-de-sante-mentale-des-internes-en-medecine_6040392_1651302.html

  (3) Mise à jour du 23 juin 2020 : https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/06/23/confinement-deconfinement-un-traumatisme-psychique-important-pour-les-sportifs_6043815_3242.html

 

 

 

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