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Psychologue une profession indépendante balkanisée, déclassée et mise en tutelle ?

  

 

Psychologue : une profession indépendante  balkanisée, déclassée et mise en tutelle ?

 

 

 

 

          Alors qu’on commence peu à peu à se rendre compte de l’ampleur des angoisses, décompensations et souffrances psychiques accompagnant la catastrophe du Coronavirus, les pouvoirs sanitaires et politiques ont bien accepté que des psychologues proposent la mise en place d’une plateforme d’écoute et de soutien psychologiques.

 

           Cellule d'écoute et de soutien psychologique paradoxalement mise en place sans aucun psychologues ... dans sa conception et sa gestion!  A quoi bon des psychologues pour organiser et conduire de l'écoute et du soutien psychologiques? Pourquoi pas faire de la psychologie sans psychologues  aussi?

 

           Cellules dites "psychologiques"? Oui, mais à condition que leur conception leur organisation et leur encadrement soient assurés par des non-psychologues, administratifs ou médecins ?  Voudrait-on ainsi mettre en tutelle médicale et administrative la psychologie ? Encore heureux si l'écoute et le suivi "psychologiques" ne s'effectuent pas, paradoxalement comme parfois, sans aucun psychologue...

 

             Pourquoi ?

 

           Pourrait-on encore continuer à croire pouvoir faire de la psychologie comme M. Jourdain de la prose? L'exercice de la psychologie serait-il devenu une activité, ni professionnelle ni réglementée, où des "gens de qualité", "fins psychologues de naissance", pourraient prétendre tout savoir et savoir faire sans jamais l'avoir longuement appris?

              

         Pour le pouvoir sans doute, l’écoute et le soutien psychologiques, même quand ils émanent de psychologues cliniciens, de formation supérieure spécialisée dans cette activité professionnelle de sciences humaines et de santé psychique,  ne peuvent et ne doivent exister que sous conception et tutelle non-psychologiques, c’est-à-dire médicales et administratives.  Quitte à être médicalement ou bureaucratiquement détournés et dénaturés, pour ne surtout pas échapper aux pouvoirs symptomatiques bien en place dans les ministères et dans les institutions. Ces pouvoirs, corsetés, n'ont de cesse de tendre injustement à déclasser, vassaliser et détourner à leurs pas les psychologues et leurs pratiques psychologiques!  Pourquoi? Et, de fait en l'espèce, pour qui?

 

             Par une récente lettre aux responsables, le SNP et la FFPP ont protesté. [1]

 

               

             Pourquoi la suffisance d'un tel mépris et d'une telle méfiance?

 

 

           N’est-ce pas, au-delà des effets corporatistes certains d'un ordre médical en position historique et politique monopolisante de grande maîtrise toute puissante à conserver en l’état, que, par ce qu'il représente d'Autre intérieur divisant et angoissant  ( force sensible de vie considérée à tort comme fragile et dangereuse par l'idéal défensif de toute puissance du Moi) à néanmoins prendre en compte, mettre au travail et libérer pour mieux vivre, le psychologue fait peur et suscite défensivement rejet ou mise au pas. Chacun, fuyant ses supposés points de folie ou de faiblesse projetés sur le psychologue, voudrait, défensivement dès lors, une psychologie aseptisée restée à son image ou à sa botte flattant son narcissisme. Une psychologie "domestiquée" à laquelle devrait se conformer "La psychologie"... L'Autre psychologie, c'est à dire celle de l'Autre en nous. Celle des psychologues référée à la psychologie enseignée en fac de psychologie, s'entend... Non pas celle, psychiatrique, DSMiste et comportementale, des actuelles facs de médecine.

 

             Je ne cesse de répéter que le psychologue, comme le psychanalyste, parce qu’ils mettent au travail de libération constructive la souffrance ordinaire et commune d’un manque et d’une division intérieurs pris pour des "faiblesses" ou des "folies" qui dérangent et blessent l’amour propre d’un Moi narcissique se rêvant idéalement maître sans partage en son logis, doivent être oubliés ou tout au moins neutralisés, contrôlés étroitement, "domestiqués",  comme une intériorité névrotique dérangeante à inhiber par une mise en tutelle (2).

 

             Nous en voyons les effets notamment par la maltraitance administrative et sociale persistante de la profession de psychologue qui pourtant est placée par la loi au même niveau symbolique et juridique que celle de médecin dans son activité et ses effets psycho-thérapeutiques (3) sous l'usage professionnel réglementé d'un même titre : celui de psychothérapeute. Et donc, du même coup, par la maltraitance persistante de cette part d’humain intime, encore trop souvent méprisée par notre vie moderne et notre avidité narcissique de consommation, qu’elle « écoute », entend, prend en compte et met au douloureux mais fructueux et libératoire travail d’évolution…

 

             Des exemples ? Facile, ils abondent.

 

            Quand il s’est agi d’encadrer l’usage professionnel du titre de psychothérapeute par l’obtention d’un commun dénominateur minimal de formation théorique en psychologie, le pouvoir, méprisant la formation spécialisée et spécifiquement psychologique des psychologues, allait autoriser des médecins à exercer la psychothérapie avec le vernis d'une légère formation complémentaire en psychologie alors qu’était exigé des psychologues un surcroît de formation psychologique ….bien inférieur à celle, universitaire et pratique, qu’ils avaient déjà.  Probablement imbus de l'illusion corporatiste longtemps entretenue d'un savoir médical surplombant qui inclurait naturellement la psychologie, c’est dire la piètre idée qu’ils s’en faisaient de cette formation spécialisée en psychologie des psychologues. Une formation pourtant exigée par la loi de 85 de "haut niveau" universitaire.  D'ailleurs, il suffit de voir que le salaire moyen minable voire honteux de cette profession toujours balkanisée (4) déclassée et vassalisée est complètement inadéquat à son autonomie et au niveau de responsabilité, de compétences et de formation supérieure théorique et personnelle qu'elle requiert.

 

              Et ça continue.

 

         Heureusement que l’intervention ferme des organisations de psychologues et d'enseignants en psychologie a fait rectifier en son temps pour ce qui est du titre de psychothérapeute. Mais ça en dit long sur le mal-traitement administratif et social des psychologues...dans le contexte général du peu de valeur sociale accordée à l'humain et à l'intimité psychique par une société marchande et comptable. Quand il fut autorisé par la loi d’expérimenter le remboursement par la sécurité sociale des consultations psychologiques libérales, le pouvoir administratif, bis repetita,  restreint par le fait du Prince l’application de cette loi en ajoutant l’exigence d’une prescription et d'un "contrôle" médical. Ce qui eut pour effet symbolique dénaturant et méprisant de rabattre illégitimement l’activité psychothérapique des psychologues au rang d’une activité d’auxiliaire médical. Un récent rapport de l'IGAS (5) traduit de nouveau la persistance historique des autorités médicales et administratives à vouloir assigner une sous-place, paramédicalisée et subordonnée, à l'exercice professionnel indépendant de la psychologie et de la psychothérapie par les psychologues. Ainsi, en dépit et au-delà de la loi sur l'usage d'un même titre professionnel de psychothérapeute,  il y aurait "comme" une psychologie et des psychothérapies à deux vitesses. Une d’ordre médical : directe et indépendante de niveau supérieur exercée par les médecins. Et une d’ordre psychologique, para médicalisée, subordonnée, très sous-rémunérée et donc de niveau inférieur… exercée par les psychologues.

 

              Une pour l’élite aisée qui peut s'adresser directement et confidentiellement à un psychologue et une autre « grand public », para médicalisée mais remboursée par la "sécu".  Une pour les riches qui savent et connaissent les codes et l'autre pour les pauvres...le tout venant, qui ne savent pas trop mais restent demandeurs et  confiants. Comme pour les masques : il y a les "grands publics" "mieux que rien" et ... les autres... introuvables!  A-t-on bien pensé aux effets … psychologiques féodaux d’une telle dérive symbolique ?

 

          Ainsi, paradoxalement, sur fond d'angoisse d'y perdre de la toute puissance imaginaire, selon la dérive rigide d'un cheminement mental mono-centré bardé de suffisance et de certitudes imaginaires qui pourtant « marche sur la tête », la psychologie des psychologues, certes toujours et encore à améliorer,  apparaîtrait-elle, par le passage à l'acte de ce symptôme mis en mesures médico-administratives,  comme moins « psychologique » que celle de …. non-psychologues !  Culotté et étonnant non?

 

          N'est-il pas temps que la France se mette à jour en la matière comme le demandent les psychologues cliniciens (6) (8)et comme l'a fait récemment en 2016 par exemple en Europe le Belgique voisine qui reconnait les psychologues cliniciens-psychothérapeutes comme profession autonome de santé mentale sur le même niveau d'indépendance et d'accès direct que les professions médicales de santé publique  (7).   

                                                                                                                                                            Michel Berlin

 



(1) https://psychologues.org/actualites-single/lettre-ouverte-au-premier-ministre-edouard-philippe-et-au-ministre-des-solidarites-et-de-la-sante-olivier-veran-sur-la-necessite-dune-concertation-des-psychologues-pour-la-constitution-de-l/

[2) https://psychologues.org/editos-single/edito-266-267-une-profession-sous-tutelle/

(3) La loi encadrant le titre de psychothérapeute, qu'a désormais automatiquement tout psychologue clinicien diplômé, place symboliquement et juridiquement celui-ci au même rang d'une même liste que le médecin psychiatre et tout médecin titulaire des formations complémentaires en psychologie requises pour l'usage  professionnel de ce titre protégé. La Croix Rouge l'a bien compris qui classe ses psychologues au rang professionnel de catégorie médicale, avec les médecins, dentistes, pharmaciens et sage-femmes  ( https://www.croix-rouge.fr/Je-m-engage/Espace-recrutement/Nos-metiers/Medical)

(3 bis) Le récent "Ségur de la santé" ignore sans doute superbement la dimension humaine psychologique dans les problèmes de santé puisqu'il se déroule, une fois de plus, sans psychologues et aucun représentant de cette profession relative à la santé psychique ... dans les discussions. Leur Syndicat a du écrire au président de la République.

(4Thomas Le Bianic - Une profession balkanisée : les psychologues face à l'Etat en France - Cairn Info  ( Politix N° 102 - 2013)

(5)Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution - http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article766

(6) https://psychologues.org/actualites-single/communique-commun-profession-psychologue/

(7) https://www.bfp-fbp.be/fr/la-reconnaissance-du-psychologue-clinicien-comme-profession-de-soins-de-sante

(8) https://www.marianne.net/debattons/billets/les-psychologues-n-ont-pas-vocation-devenir-des-paramedicaux-lettre-ouverte

 

 

 

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