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Crise identitaire et école

 

 

21 septembre  2020

 

Crise identitaire actuelle et école.

 

 

 

 

 

 

Chacun a pu remarquer ici ou là, à l’heure d'une mondialisation qui bouscule les règles et les repères, que notre société est traversée par des problèmes et questions identitaires. L’identité est une question qui, par la souffrance qu’elle manifeste, son affirmation en quête de reconnaissance, les luttes de prééminence qu’elle induit, la contestation douloureuse et passionnée, victimaire ou sectaire et suprémaciste qu’elle amène, traverse notre société jusqu’à venir en occuper le devant de la scène.

 

En traversant la société, elle traverse donc aussi naturellement l’école. Mais de plus, comme nous allons le voir, par sa fonction paternelle symbolique profonde l’école réactive la question (et la souffrance) identitaire.

 

Du point de vue psychanalytique de la construction de la personnalité, l’identité humaine se particularise du fait qu’elle se construit à partir des autres et sur une absence de fond. Elle a à voir avec le narcissisme du Moi dès son émergence lors de ce qu’on appelle "le stade du miroir". C’est une période au cours de laquelle l’enfant anticipe (idéal du Moi) dans une certaine jubilation son « unité » en voyant son image dans le miroir sous le regard de sa mère. C'est ce regard vers lequel l'enfant se tourne qui apporte ainsi comme une validation signifiante à son unité anticipée dans le miroir. Mais, du coup aussi, du fait qu’il s’agit de regard et d’image, ça installe l’identité dans une ligne de fiction imaginaire, nous dit Lacan. Et ça la fait également dépendre du regard de l’autre. Il y a jubilation, mais aussi risque subjectif de continuer de se prendre à cette image idéale aliénante au point de risquer longtemps (toujours pour certains) de la rechercher sans cesse vainement dans la séduction, l’insatisfaction douloureuse, la revendication et le ressentiment, plus tard.

 

Car l’identité, du fait que l’humain parle, c’est à dire est traversé et baigné dans du symbolique articulé en langage, a à être subjectivée. C’est à dire encore qu'elle a à devenir le produit de la mise en fonction symbolique d’un manque. Celui qui caractérise et structure la personnalité de l'humain. Il n’y a donc pas de signifiant de clôture du sujet qui pourrait « LE » figer et le dire tout. Le sujet, c’est celui qui est absent de son énoncé en tant que sujet de l’énonciation. Inconscient, il ne s’identifie qu’en passant, en creux, entre les lignes de son discours. Et, contrairement à ce qui fait parfois sa méprise, il n’est pas du tout réduit au « Moi Je » du discours. Pourquoi ? Parce qu’une coupure s’est opérée entre le sujet et son objet du fait de la symbolisation de cet objet même, lors de la "castration symbolique". La castration : c'est une coupure "symboligène" disait Françoise Dolto. Elle oblige à une re-création incessante d'un semblant de l'objet perdu qui reste perdu.  Le symbole, représente la chose. Mais il n’est pas la chose. Elle, elle s'est perdue par transformation dans la symbolisation. C’est, comme on dit, le « meurtre » de la chose qui l’élève au rang de symbole. Et il y a toujours un reste,  comme le trou dans le jeu du taquin. Ce reste est actif. C'est lui qui fait articulation et permet d’écrire et de parler; c'est lui qui relance le désir, c’est à dire la subjectivité, c’est à dire donc la mise en question opératoire de la subjectivité.

 

Cette coupure d’avec l’objet par le symbolique c’est donc ce qu’on appelle la castration symbolique. La castration symbolique, c’est en fait la castration DU symbolique, soit la castration qui s’opère par l’entrée de l’humain dans le champ symbolique et qui lui permet d’articuler sa parole et sa pensée par quoi désormais il est représenté … C'est ce qui fait son identité subjective. D'une perte la fonction symbolique a fait gain.

 

Le sujet c’est le manque mis en fonction symbolique de recherche de son objet. C’est celui qui, inconsistant, éphémère et à l’identité par construction jamais fixée et arrêtée comme totalité, ne peut que se créer par rebond en se disant. Il le fait par la pulsation même du renouvellement incessant de cette coupure qu’opère la symbolisation humanisante. Et cette re-création subjective incessante est vouée, en une demande implicite que porte le discours, à l’adressage de la reconnaissance de l’autre.

 

Cette coupure du symbolique et de la parole spécifie l’humain.

 

Du coup, doté d’humanité et donc d’incomplétude opératoire et de subjectivité, l’humain s’interroge et interroge qui il est. Il se sent coupé de son objet et ... du coup coupable d'en être rendu désirant. Incomplet et fragile, il croit avoir perdu comme la complétude passée d’un « paradis perdu » entrevue dans le miroir et le regard de sa mère. C’est là « l’objet perdu » qu’il cherche à retrouver par son désir inconscient et dans un sentiment de culpabilité, puisque le désir nait de l'effet psychique d'une ... coupure.

 

L’identité a donc initialement à voir avec le narcissisme et la mère, mais depuis la coupure symbolique faisant « castration », elle a aussi à voir avec le symbolique et le père, donc avec ses substituts, la société et ses lois, ses institutions, son école, ses valeurs, ses idéaux.

 

Encore faut-il que cette opération soit soutenue, accompagnée, assumée par tous ceux qui sont mis et assument de se mettre, comme possibles supports, en fonction de père. Et encore faut-il que le jeune qui construit son identité puisque y trouver et y intégrer les insignes d’idéaux qui le promeuvent.

 

Car il se trouve, par construction et au travers d’un mythe : celui d’Œdipe, que c’est la fonction paternelle qui est venue métaphoriquement supporter cette de coupure opérante, comme décollement d’avec l’objet à travers sa « perte » par symbolisation et par prolongation. La fonction paternelle est (en principe et dans le meilleur des cas) venue supporter cette coupure-décollement d’avec la mère en tant qu'objet psychique et l’état narcissique bébé complet et tout puissant ou enfant-roi-phallus imaginé être antérieurement. Encore faut-il que le père et ses substituts, non démissionnaires ni invalidés, ne se sentent pas eux-mêmes socialement invalidés ou rejetés pour pouvoir soutenir leur fonction.  

 

Cette coupure promeut une identité symbolique orientée vers des idéaux -paternels et culturels - à partir de la transformation d’une identité narcissique imaginaire de complétude et de toute puissance. Cette transformation apparaît symboliquement comme l’effet nécessaire promouvant d’une Loi supportée, représentée par le père, l’école et la société civilisée.

 

Et il se trouve donc aussi culturellement que c’est l’école dans sa fonction de décollement des jupes familiales du petit des Hommes qui prend le prolongement de cette coupure substituant une promotion psychique et sociale à une perte. Il s’agit bien de mettre en perspective la transformation d’un moins – imaginaire et narcissique- en plus - symbolique. C’est une fonction de passage.

 

Il s’agit aussi de passer du Moi Idéal, imaginaire et tout puissant, à l’intégration d’un idéal du Moi, symbolique, porté et représenté valeureusement par la fonction paternelle et ses représentants culturels.

 

Et c’est donc les ratés, les contestations, les résistances, les replis, les remous de l’effet de devoir perdre pour un gain promotionnel, qu’opère cette fonction humaine de passage, en tant que Loi des humains, qui se réactivent pourtant parfois à l’école, quand ce n’est pas bien réglé avant.

 

Les ratés de la symbolisation de cette perte nécessaire se réactivent aussi quand le passage d’un espace « privé » ou même « communautaire » à un espace public et sociétal qu'a pour fonction de continuer à opérer l'école n’apparaît pas suffisamment valorisant et donc motivant.

 

Cela peut se produire, comme c’est probablement le cas de nos jours, par la conjonction de facteurs internes symptomatiques et celle de facteurs externes tenant aux délégitimations contra-culturelles des lois républicaines au profit régressif de « lois » communautaires, familiales, du quartier ou quasi tribales et au flou ou à l’absence d’intégration d’idéaux sociétaux et culturels plus valorisants et attractifs.

 

Car, si l’identité est en question opérante, c'est à dire cause d'un travail psychique, plus ou moins douloureux chez tous du fait de notre incomplétude depuis la castration du symbolique d’une part et du fait du manque de signifiant de clôture à notre subjectivité d’autre part, ce sont les circonstances diverses de l’histoire individuelle ou collective de chacun qui en apaisent le tourment, ou bien au contraire la laissent à son désarroi, voire en alimentent la détresse

 

Elle peut alors chercher à se solutionner en repli communautaire plus ou moins compensateur et passionnel, ou en plaintes, en revendications, en contestations agressives jusqu’à la cristallisation du tourment en une passion groupale dévastatrice totalisante qui donne l’illusion d’un retour du Moi Idéal tout puissant et valeureux et qui, de ce fait imaginaire et hors la loi symbolique paternelle de niveau sociétal supérieur, ne recule devant rien, surtout lorsqu’elle devient, comme c’est le cas de l’islamisme contemporain  par exemple, un phénomène d’endoctrinement fanatique de masse…

 

La communauté de repli, ainsi unie et identifiée dans une même illusion fanatique particularisée contre la loi commune, se constitue comme un glorieux idéal du Moi retrouvé. Elle se constitue comme un groupe d’enfants rois se liguant pour délégitimer perversement et ignorer le père et sa transmission…. Elle s'unit autour d’un idéal du moi collectif quasi ou pleinement déifié, placé ainsi de façon identitaire particularisé contre la République, son école, les valeurs et les savoirs scientifiques qu’elle transmet et les lois que son peuple citoyen s'est données pour en régir la vie nationale.

 

En ce sens, l'école, comme le service national militaire jadis, ne fait pas que transmettre des connaissances et instruire, elle "décolle" psychologiquement les enfants et les jeunes de leurs particularités familiales, communautaires, régionales, pour les amener à intégrer des valeurs et une appartenance identitaires plus générales de niveau collectif national citoyen supérieur.

 

Elle décolle de l'enfance et de l'infantile pour promouvoir ; accompagner et soutenir le devenir adulte et citoyen. Et, selon la "mentalité" et la culture, c'est à dire l'état psychique et sa symptomatologie, ça fait attraction ou résistance voire contestation et refus. Les problèmes de ce "décollage" se réactivent et se répercutent à l'école.

 

 

                                                                                                                                              Michel Berlin

 

 

Bibliographie : 

Fethi Ben Slama : La contestation identitaire in : L'école face à l'obscurantisme religieux - 20 personnalités commentent le rapport Obin - Max Milo - Débat

 

Michel Berlin - L'identité en question - mensuel EPFCL n° ? (https://pepsychoblog.jimdofree.com/ecrits-de-psychanalyse/l-identité-en-question/ =

 


 

 

 

  

  

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