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Céder sur les mots c'est risquer de céder sur les choses

Céder sur les mots c'est risquer de céder sur les choses

 

 

 

 « On commence par céder sur les mots et on finit parfois par céder sur les choses » nous dit Freud dans « Psychologie collective et analyse du Moi ».

 

Il analyse précisément dans cet article le côté imaginaire du Moi et des formations collectives qui en sont le produit narcissisant. Elles tendent à produire une sorte d’hypnose collective générant sa propre réalité distordue érigée en Moi idéal collectif imaginaire, bien souvent en dérive phallique totalisante et toute puissante.

 

Céder sur les choses vers le tropisme d’une autre réalité, celle de leur inféodation paramédicale, c’est ce qui risque d’arriver aux psychologues.

 

C’est un risque qui court depuis des lustres. Un risque par rapport auquel la profession de psychologue, faute de meilleure unification, et peut-être de courage et de combativité, s’est parfois contenté d’enfouir la tête dans le sable.

 

 Pour éviter le conflit et les effets d’un réel qui serait venu écorner douloureusement un contre-imaginaire rassurant d’autonomie illusoire ?

 

Le corps médical doute moins, lui qui est passé d'une logique "molle" de la clinique du malade à celle d'une science pointue et quasi "dure" de la maladie conduisant à rejeter comme inutile et non sachant le sujet et le langage pris comme système de signes et non pas de signifiants(1). Il a toujours pensé, parlé agi en conformité avec le discours administratif bureaucratique surplombant. Celui qui désormais compte, chronomètre, normalise, "manage" de façon "moderne" et dévalue implicitement et explicitement les psychologues sous forme d’auxiliaires médicaux, simples techniciens exécutants sous contrôle des actes qui pourraient enfin rentrer dans les cases préétablies à cet effet. Selon une pensée suffisante qui tend avec un certain mépris à annexer et dévaluer la psychopathologie clinique comme simple sous-branche paramédicalisée d’un savoir imaginé en pôle position.

 

A force de le laisser dire, entre-dire, mi-dire, sous-entendre avec l’idée sécurisante que ça va éviter le désagrément du conflit et que ça n’aura pas d’effet dommageable sur le réel d’une indépendance pourtant mal établie et précaire, ne court-on pas le risque de le laisser perdurer imaginairement et finalement s’établir.

Qu’a-t-on laissé dire et symboliser jusqu’ici ? Quel message a-t-on laissé courir ?

 

Ce matin par exemple en regardant sur Internet, je trouve trace de mon ancien cabinet de psychanalyste en Avignon rangé dans la rubrique « activité des auxiliaires médicaux ».  Voilà un dire erroné qu’on a laissé perdurer comme s’il était insignifiant et n’avait pas d’effet pervers trompeur sur le réel. Mes analysants n'étaient pas des malades ou ne venaient pas en tant que tels. Ils ne venaient pas sur prescription médicale. Les psychanalystes ne sont pas des auxiliaires médicaux. La pratique de la psychanalyse n'est pas remboursée par la sécu...Comme l'exercice psychothérapique de la psychologie clinique, elle n'est pas une activité d'auxiliaire consistant en l'application d'un savoir-faire ou d'une "technique" s'exerçant sous prescription et contrôle médical d'une part, susceptible de se couler parfaitement dans les cases comptables préétablies de la gouvernance bureaucratico-affairiste qui les voudrait à sa botte et à son image.

 

Il en va de même du classement INSEE qui range en une logique ringarde et inappropriée les activités de psychothérapie et de psychanalyse dans la nomenclature de celle des auxiliaires médicaux. Là encore quel en est l’effet pervers au niveau du sens ?

 

Quand j’étais psychologue clinicien-psychothérapeute  en CMPP, les demandes de remboursement de mes actes cliniques à l’assurance maladie étaient établies sur « feuilles vertes » de la sécurité sociale, celles précisément des auxiliaires médicaux. C'est par le biais implicitement "convenu" de ce détournement qu'étaient ouverts les remboursements. De façon par ailleurs parfaitement injuste et inégalitaire puisque les mêmes actes psychothérapiques conduits par les mêmes praticiens ne l'étaient pas en cabinet libéral. J’avais vainement à l’époque fait ressortir le travers à effet pervers de cette symbolique qu’on me renvoyait comme insignifiante et mon dire comme de l’ordre du « couper les cheveux en quatre »…

 

Valait-il mieux continuer, sans déranger quoi que ce soit, à consentir tacitement sans dire mot ? Qui a intérêt à ce qu’il en soit ainsi ? En douce pour ainsi dire ? En cédant sur les mots ... on voit bien qu'on a quasiment cédé sur les choses.

 

Pourquoi ne pas travailler à exiger de l’INSEE qu’il modifie sa classification. Le faire juridiquement au besoin s'il s'obstine dans un "dire" prétendant  de façon dénégative - pour en maintenir les effets et l'irresponsabilité ? -  ne pas être signifiant ni dire ce qui est pourtant ainsi dit. Et obtenir aux fins d'effet de sens, qu'il classe les psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes, dans une catégorie spécifique, de l'ordre de l'effet de soin psychologique de niveau "médical", mais surtout "autre", différente, "à côté" et autonome dans son approche et sa logique propres non paramédicales ?

 

Pourquoi pas alors aussi une couleur de feuilles d’assurance maladie propre aux actes de soins psychologiques pratiqués par des psychologues cliniciens-psychothérapeutes ? Ni la couleur des actes de médecins, ni celle des actes d'auxiliaires médicaux ou de travailleurs sociaux.

 

D’ailleurs, à l’époque antique, quand j’étais psychologue scolaire, les comptes-rendus psychologiques pour les commissions médico-pédagogiques ayant à évaluer la nature et le degré des handicaps des enfants et des jeunes candidats à une orientation en éducation spécialisée s’établissaient sur feuilles vertes spécifiques, bien distinctes de la couleur de celle du médecin, de l'enseignant ou de l’assistant social. Il est vrai, d’un autre côté, qu’il s’agissait de commissions "médico-pédagogiques" et non pas "médico-psycho-pédagogiques" dans l'intitulé desquelles le "psy" était déjà refoulé et implicitement imaginairement "phagocytable" et phagocyté dans l’un ou l’autre terme relatif au camp institutionnalisé des professions dominant ce soi-disant pluralisme professionnel.

 

Quand je suis entré travailler en CMPP éducation nationale, je me suis demandé logiquement pourquoi il y avait seulement deux directions, une médicale et une autre pédagogique et administrative, sans alors une troisième qui serait psychologique. Question naïve de jeune martien laissant les interlocuteurs sans réponse tant il était véhiculé par le discours  que le psychologique, n’y avait pas de place marquée par son inscription institutionnelle jusque dans la chaine hiérarchique. Et qu'il était un "collègue" enseignant pour le pédagogue. Et un auxiliaire paramédical pour le médecin. Chacun, sauf moi me sentant symboliquement tordu et détourné, semblait y trouver son compte ainsi. Pas d'Autre là non plus.

 

Et ça continue. Jusqu’à l’annonce récente, coup de massue symbolique à  effet pervers dans le réel, du président Macron présentant les psychothérapies des psychologues seulement remboursées sous la dépendance paramédicalisante d’une « prescription » médicale. Comme s'il s'agissait d'un médicament ou d'une rééducation. Et comme si le psychologue-psychothérapeute n'était responsable ni de ses actes, ni de leur indication, aux yeux de ces tiers pourtant profanes en  matière d'exercice de la psychologie et du coup aussi de ses patients fragilisés dans la confiance que nécessite leur traitement. Et qui a longtemps été le "conseiller santé" de M. Macron? Et oui, c'est l'ancien syndicaliste médical spécialisé par ailleurs en "économie " de la Santé, Olivier Véran, devenu ... ministre de la santé. C'est lui qui tente bassement de faire croire que les psychologues auraient, avec une consultation indigente fixée à 30€ les 45 minutes, un gain supérieur au médecin généraliste, et comparable à celui d'un spécialiste, alors que, c'est un fait incontestable, psychologues et médecins sont en réalité d'après les études faites citées par le Syndicat Nationale des Psychologues et publiées (2) par l'Union Nationales des Associations Agrées,  dans un rapport de revenus vraiment honteusement très, très, très inférieur puisque de l'ordre de 1contre 5. 

 

 

Je laisse chacun réfléchir aux effets dommageables réels des distorsions du langage implicitement entretenues …Et à la nécessité de déconstruire l'induction symbolique de cette distorsion en faisant rectifier et entendre un autre discours propre à rétablir la symbolique d'une autre réalité.

 

Aux psychologues de dire, faire bien entendre et inscrire symboliquement leur propre voix. 

 

14 Novembre 2021

 

Michel Berlin

 

 

 

 

 

                  (1) Jean-Pierre LEBRUN - Du malade à la maladie - Toulouse Edition Eres - 2017

(2) Désinformation du gouvernement : un boycott sans précédent - publication du SNP - https://psychologues.org/actualites-single/desinformation-du-gouvernement-un-boycott-sans-concession/ 

 

 

 

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