Le doigt qui montrait la lune...

Photo MB Lisbonne
Photo MB Lisbonne

 

Le doigt qui montrait la lune...

ven. 16 janv. 2015

                « Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt mais le fanatique y voit l'adresse d'un doigt d'honneur et le prétexte facile à l'assouvissement de sa haine. »

                                                                                                                                                         Proverbe

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                       Il est des jours où on est sous le choc! Et de ce choc on peut en faire quelque chose qui nous tourne encore vers l'avenir, qui nous réconforte et nous grandit. C'est certes ce que nous venons de vivre... La souffrance transformée par l'espoir et un gain d'humanité découlant d'un sursaut démocratique.

 

 

                  Mais aujourd'hui, je sens comme la pesanteur d'un recul archaïque qui nous plombe tous de son obscurantisme dans le retour exalté de notre élan de lumières. Il faut le constater et en tirer les conséquences. Nous ne sommes pas tous à la même époque ni au même niveau par rapport à la liberté de croire, de penser, de créer et de rire.

 

                   En effet, une semaine après le massacre terroriste de la rédaction de Charlie Hebdo, beaucoup de musulmans du monde entier et même certains non intégristes de notre pays, soutenus par une déclaration du pape lui-même, manifestent leur colère et se proclament offensés par la nouvelle publication du journal satirique. Celui-ci affiche à sa nouvelle Une  l'image d'un prophète qui verse une larme de compassion et peut-être de tristesse. On peut penser que c'est devant ces morts et cette sauvagerie fanatique et bête commise en son nom. Où est le mal?

 

                 Faudrait -il alors que le monde entier, sans humour ni réflexion, sans recul ni liberté de penser, y voit aussi au premier degré, un Sacrilège?  Un Blasphème? Une provocation? Une offense?  N'aurait-t-on pas le droit de penser et de l'exprimer par le dessin parce que certains, à titre privé, se l'interdiraient et y verraient un tabou? Je ne pense pas.

 

                Car de quoi s'agit-il? Voilà donc qu'un doigt, invitant à penser librement, avec distance et humour, se met à pointer ... la lune, et des centaines ou plus de gens,  venus en principe partager confraternellement notre vieille civilisation des lumières et nos valeurs démocratiques d'égalité, de fraternité, de liberté de penser et de critiquer sont quand même hypnotisés au point de se sentir offensés de ne voir que le doigt qui désigne. Et pour certains, - nombreux ailleurs qu'en démocratie mais qu'une toute petite minorité sur notre territoire national faut-il espérer- de voir même en ce doigt comme un doigt d'honneur de la profanation blasphématoire d'un prétendu interdit sacrilège auquel on devrait tous se soumettre.

 

                   Renversant!   C'est quand même un peu fort de café! Non?

 

                  Ça pourrait, ça devrait n'être au fond que leur problème, celui de la subjectivité de leur regard, ce  dont ils sont pourtant seuls responsables. Qui regarde de travers? Qui se sent ridiculisé ou offensé par une représentation?  Qui y voit un doigt d'honneur et pourquoi cette projection? Mais ce décalage de la pensée et cette prise de conscience sont-ils encore possibles au croyant? Ça dépend peut-être de sa distance d'avec le fanatisme de sa croyance. C'est comme un test. A-t-il réussi à maintenir suffisamment d'écart entre ce qu'il est et ce qu'il croit pour garder une partie de son esprit critique hors de tout endoctrinement? 

                  

                   Pas sûr apparemment, si j'en crois ceux qui par milliers, voire millions manifestent dans nombre de pays se sentir offensés par une représentation agnostique pourtant non ridiculisée ni moqueuse d'un prophète chagriné et pris de compassion pour partager la douleur criminelle et condamnable infligée en son nom par des crétins fanatiques sans humour.

                  

                   Ce n'est pourtant qu'un dessin, qui ne dit rien de juridiquement répréhensible!

 

                  Mais encore une fois, qui d'autre que celui qui s'indigne est subjectivement responsable de prendre un dessin, une statue, les personnages d'un tableau pour la représentation dénigrée d'un totem qui serait interdite car sacrilège? Qui est dans le danger de blasphème? Celui qui montre ou celui qui regarde et qui y voit du mal? Et qui tend alors, sur un mode paranoïaque pour se donner bonne conscience, à rejeter hâtivement cette culpabilité sur la faute du dessinateur ou d'une démocratie diabolisée qui le tolère et l'autorise?

 

                   Et qui tendrait à nous faire prendre la vessie des restrictions toutes personnelles de son "sacré"pour la lanterne d'une loi commune ? Qui voudrait restreindre et profiler la liberté de tous au gabarit de celle de son "pré carré" ou de son regard hypnotisé? 

 

                  Si respecter la personne est un devoir démocratique laïque, partager obligatoirement son sacré, son obscurantisme ou ses anathèmes non!  S'autoriser librement un regard critique sur la pensée ou l'objet de la croyance n'est pas critiquer ni offenser la personne qui pense ou croit.



                   Sauf pour ceux qui, sans distance intérieure, s'identifient totalement à leur Dieu par le lien sacré irrationnel qu'ils ont avec lui. C'est leur affaire ... privée, ainsi que le dit la loi, non pas celle de dieu mais celle du peuple de France qui passe avant dans un État laïque de droit. Et leur affaire privé ne devrait pas s'étendre à la sphère publique, ni la prendre en otage dans nos démocraties qui veulent le rester.

                    Je sais bien qu'il y en a aussi, musulmans ou non, qui se sentiraient blessés et attaqués si l'on caricaturait  l'O.M. ou le P.S.G. ou tel ou tel artiste ou champion qu'ils idolâtrent tout autant...et en lesquels ils projettent ce qu'on appelle leur  Moi Idéal. Mais bon... Sont-ce des exemples "d'opium du peuple" à suivre? A imposer? Va-t-on pour autant sacraliser officiellement ces vedettes, ces clubs, leur équipe et leur joueur? 

 

                     Quoi que... 

                 

 

                     Du coup, quand même, ça nous pose un gros problème à tous dans notre "vivre ensemble"et ça nécessite de repréciser et peut-être ré-élaborer encore mieux nos valeurs républicaines, bien au-dessus des symptômes et croyances de chacun, dans nos "régimes" où la séparation entre l'État, les églises et les religions, pose clairement et sans discussion possible, depuis assez longtemps maintenant, la loi démocratique comme étant au-dessus de celle de toute divinité, en sa qualité de seule loi commune à prendre en compte et faire appliquer par tous. 

                     

                  La "loi" privée des religions ou de toute autre croyance, dans l'immeuble, la cité, le quartier, l'école républicaine reste et doit rester une affaire privée, non imposable à tous par une extension qui serait dès lors totalitaire et anti-républicaine.

 

                  La "loi" de la religion, celle dite de dieu ou de quelque "prophète" que ce soit, ne saurait prévaloir sur la loi républicaine dans l'espace public. Il convient de l'admettre et de le faire respecter au nom du pacte républicain car c'est la condition de notre lien social.

 

                   Jusqu'à preuve du contraire, la représentation artistique en général, celle des dieux, de leurs prophètes et de leurs fidèles en particulier, ainsi que de quelque autre objet "sacré" de croyance que ce soit hier, aujourd'hui ou demain, ne saurait être posée et imposée comme blasphème interdit ou tabou parce qu'elle porterait préjudice narcissique. Quelle que soit la religion présente ou à venir... et sa croyance. Les "objets" d'adoration ou de haine des uns ne sauraient s'étendre et s'imposer à tous comme loi commune.

 

                 Sauf recul intellectuel inadmissible pour céder sur la démocratie laïque au profit d'un droit religieux totalitaire qui nous ramènerait des siècles en arrière.

 

                  Est-ce bien cette paix que nous voulons conserver pour pouvoir vivre librement ensemble? Ne l'avons-nous pas dit massivement ces derniers temps?

                    

               Car s'il est un grand principe celui du respect de chacun dans ses idées, il n'y a peut-être pas lieu que la République suive le dictat de tous ceux qui se sentiraient humiliés ou offensés si on ne partageait pas le "sacré" qu'ils voudraient nous imposer. 

 

                  La critique et le droit d'insoumission aux croyances religieuses encadrés par la loi sont acquis et non négociables en démocratie.

 

                  Il n'y a pas de "blasphème" en droit, ni donc d'interdit de représenter subjectivement de façon artistique ou caricaturale qui que ce soit en République. C'est ainsi que nous l'avons voulu et que nous entendons continuer de le vouloir.

               En revanche les menaces, les moqueries offensantes diffamatoires, les attaques voire les crimes sauvages contre les personnes demeurent interdits et c'est à la justice, celle des hommes, de trancher.

 

                                                                                                                                        M.B.

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